Et vous trouvez sabot ?...

par olivier cabanel
mardi 6 octobre 2015

« Saboter »… le mot est porteur de sens, mais on oublie souvent son origine.

Ce mot vient tout simplement des « sabots », ceux que portaient les ouvriers, et qu’ils utilisaient contre les machines pour les mettre en panne, mais aussi par solidarité pour les ouvriers qui avaient déjà été licenciés.

Pour rentrer dans le détail, l’origine de ce mot est assez originale : à Lyon, capitale de la soie jusqu'au 19ème siècle, et lorsque le métier Jacquard fit son apparition, les ouvriers comprenant que la machine allait les remplacer, détérioraient le matériel avec leurs sabots, afin de garder leur emploi. lien

Ajoutons que Wikipédia donne, au-delà de cette explication, de nombreuses autres versions. lien

En Italie, depuis 23 ans, le Val de Suze se bat contre un grand projet inutile, celui d’une ligne TGV, destinée à relier Lyon à Turin, et voulue par quelques « grands » politiques français, comme Louis Besson par exemple.

Ce dernier caresse depuis longtemps le rêve d’une gare TGV dans sa bonne ville de Chambéry, laquelle deviendrait la « capitale » des loisirs alpins d’Europe et pour mieux faire passer ce grand projet inutile, il a décidé de promouvoir parallèlement à cette ligne grande vitesse, une ligne dédiée au fret, assurant, sans preuves, qu’elle permettrait de débarrasser les routes et autoroutes des poids lourds qui les encombrent.

Sauf qu’il oublie qu’aujourd’hui encore, le transport ferroviaire des marchandises coute bien plus cher que le routier, ce qui explique le choix des entreprises et à moins de recourir au principe de subventions d’Etat, qui seront finalement payées par le consommateur, cette situation perdurera. lien

Il oublie aussi que la création de cette ligne était liée à un accroissement exponentiel des marchandises, qui, affirmait-on en 1990, passerait de 10 millions de tonnes à 40 millions en 2015.

Or, depuis 25 ans, la réalité des chiffres vient contester cette prévision, puisque, pendant cette période le trafic du fret est quasi inchangé. lien

Ajoutons pour la bonne bouche qu’on oublie toujours que ce projet qui veut relier Lyon à Turin, s’arrête à 30 km de Lyon, et ne pourra aller plus loin…l’urbanisation du secteur est si dense qu’il ne peut être envisagé de faire passer un TGV de Satolas à Lyon…alors, pour se rendre dans la capitale Rhône-alpine, les voyageurs devront prendre le taxi…et les 40 petites minutes gagnées sur la ligne actuelle fondraient comme neige au soleil.

Cerise sur le gâteau, l’état français, quels que soient les gouvernements qui se sont succédés en 20 ans, s’est mis dans l’illégalité dans le cadre de ce projet…

En effet, le « grenelle de l’environnement  » oblige les promoteurs d’un projet d’infrastructure à proposer, en même temps que le projet qu’ils défendent, un projet alternatif, et préconise que celui-ci soit l’objet d’un débat public.

Rappelons qu’il était stipulé dans ce « Grenelle » qu’il fallait « optimiser le système de transport existant, notamment afin de limiter la création de nouvelles infrastructures ». lien

Or, non seulement, rien de tout ça n’a été réalisé, mais de plus, le projet alternatif porté par la coordination ADS (Ain Dauphiné Savoie) des opposants, n’a toujours pas trouvé de financement pour en réaliser l’étude, évaluée à  10 000 €…

Le député, Dominique Dord, auparavant favorable au projet, à finalement déclaré y être hostile, ajoutant qu’il y avait eu « abus de confiance  » (lien), qu’il fallait mieux se mobiliser pour un projet alternatif, et il assure qu’il n’y a pas besoin du Lyon-Turin pour assurer le report modal. lien

La députée du secteur concernée, Joëlle Lhuillier après avoir pris conseil auprès des responsables de son parti, le PS, semble décidée à ne pas participer au financement de cette étude.

Pourtant ce projet alternatif devrait coûter 2 ou 3 fois moins cher que le projet actuel, lequel est estimé à plus de 30 milliards d’euros, dont la charge principale reviendrait aux populations Rhône-alpines.

En effet, même si les promoteurs du projet assurent que l’Europe participerait à son financement, celui-ci ne concernerait que le tunnel de base, évalué à 8,3 milliards, sur la base des 40%...soit un peu plus de 3 milliards…laissant une ardoise de 27 milliards.

Aujourd’hui, les promoteurs du projet en cours cherchent désespérément des pistes nouvelles de financement, espérant, malgré l’échec des portiques et de l’écotaxe, instaurer une taxe sur les poids lourds, qui irait financer le fret ferroviaire, oubliant que les transporteurs, si cette taxe finissait par être décidée, continueraient d’utiliser la route, et reporteraient le montant de la taxe sur les marchandises transportées, pénalisant en fin de compte le consommateur, lequel se trouvant en bout de chaine, payera plus cher ses denrées. lien

Rappelons que le scandale de l’écotaxe a couté au pays la bagatelle d’1,6 million d’euros. lien

Ce projet alternatif permettrait de relier réellement Lyon à Turin, en utilisant la voie actuelle transformée de façon à supprimer toutes les nuisances liées à l’activité ferroviaire, en s’inspirant de ce qui s’est réalisé à la sortie du tunnel ferroviaire du Brenner, en Autriche.

Il permettrait aussi de faire du fret ferroviaire financièrement compétitif avec celui de la route, en utilisant la technologie R-Shift-R, celle-ci pouvant emprunter cette voie historique, même lorsqu’elle a une pente supérieure à 3%, ce projet novateur ayant emporté le 1er prix du Prédit, et validé au niveau européen. lien

On ne peut non plus passer sous silence l’enquête menée par l’OLAF (Office Européen de Lutte Anti-Fraude) qui soupçonne une possible « influence » de la Mafia en Italie sur les fonds destinés au projet. lien

Et pour finir, alors qu’en février dernier, Hollande et Renzi, lors d’un xième sommet franco italien, un accord « définitif » était signé, le parlement italien commence à s’inquiéter de l’augmentation de la facture, laquelle s’approche des 8 milliards, soit plus de 2,4 milliards qu’initialement prévu. lien

Mais revenons à nos « sabots ».

La lutte non violente des No-Tav vient de prendre une nouvelle dimension grâce à l’écrivain Erri de Luca, lequel appelait à la résistance et à son grand frère, le sabotage, rappelant le sens étymologique du mot, et précisant qu’il ne se limitait pas à des actions physiques, et qu’il était d’abord inscrit dans le concept de désobéissance, proposition lucide surtout quand justice, et légalité s’opposent.

C’est dans un article publié dans le « Huffington Post  » italien qu’il déclarait « la TAV doit être sabotée » ajoutant que le sabotage et les actes de vandalisme étaient nécessaires pour faire comprendre que la TAV était un chantier nocif et inutile. lien

Il ajoute que l’emploi de se mot ne se limite au sens de dégradation matérielle, comme le prétendent les procureurs de l’affaire…par exemple une grève, en particulier de type sauvage, sabote la production d’un établissement ou d’un service…un soldat qui exécute mal un ordre le sabote…un obstructionnisme parlementaire contre un projet de loi le sabote… etc lien

La résistance française durant la 2ème guerre mondiale ne s’est pas privé de faire des actes de sabotage, pour la bonne cause, actes que le pouvoir pétainiste qualifiait, on s’en souvient, de terrorisme. lien

Erri de Luca, prix Fémina étranger en 2002, risque de passer 8 mois de sa vie en prison pour avoir osé utiliser le mot « saboter » dans un article portant sur contestation des No Tav en Val de Suze. lien

Dénonçant cette montagne « pleine d’amiante », laquelle amiante va se retrouver à l’air libre lors du percement du tunnel, polluant ainsi les vallées de part et d’autre des Alpes, affirmant le manque d’intérêt de cette ligne, vu le peu de demande des touristes, racontant la persécution dont sont l’objet depuis 20 ans les habitants de cette vallée italienne, il s’exprimait très clairement lors d’une émission, le 5 octobre 2015 sur l’antenne de France Culture : « les sabotages sont des actes de résistance civile, pas comme des dommages matériels (…) ce mot, sabotage, est un beau mot, c’étaient des ouvriers qui faisaient le sabotage par solidarité pour les ouvriers renvoyés, je ne regrette pas l’utilisation de ce mot, bien au contraire (…) ce verbe, saboter est un mot noble et démocratique (…) il y a eu l’intention de la magistrature d’impliquer le mot terrorisme en le liant à ce mot, sabotage, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui  ». lien

En tout cas, Erri de Luca, s’il est condamné, ne fera pas appel, car il est incriminé pour l’usage de ce mot, mot qu’il défend, ajoutant que même emprisonné, il restera libre dans sa tête, envisageant sereinement cette tentative de privation de liberté, en faisant de ces 8 mois une retraite, des moments de réflexion, de lecture et d’écriture, et il conclu utilisant une parole de la Bible, alors qu’il s’affirme athée, il faut « ouvrir sa bouche ».

Le 4 octobre, des militants ont décidé de soutenir De Luca, en escaladant la montagne Sainte Victoire, afin de porter au plus haut son message. lien

On peut signer la pétition de soutien à l’écrivain sur ce lien.

Comme dit mon vieil ami africain : « qui veut tout comprendre finit par mourir de colère  ».

L’image illustrant l’article vient de « juralib.noblogs.org »

Merci aux internautes pour leur aide précieuse.

Olivier Cabanel

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