Gaz de Schiste : Quel intérêt financier pour les communes ?

par Brigitte Grivet
samedi 19 février 2011

L’extraction de Gaz de Schiste est polluante, mais serait-elle financièrement rentable ?

La redevance pour les communes :

Si nous avons étudié, dans divers blogs ou sites internet, l’exploration et l’exploitation de Gaz de Schiste sous divers aspects, il en est un que nous avons occulté : la rentabilité pour les communes.

Le sous-sol, en France n’appartient pas au propriétaire du sol mais à la collectivité.
Dans le cas d’exploitation de mines (auxquels sont apparentées les exploitations d’hydrocarbures : pétrole ou gaz), le législateur a prévu 2 redevances : une pour l’état et une pour les communes.

Examinons cette dernière. Les communes de France, quand elles sont rurales, ont peu de moyens et ne seront finalement peut-être pas mécontentes de recevoir une manne inattendue : « la redevance Gaz de Schiste ».

Tout d’abord, les textes (Extrait de l’Article 1519 du code des impôts)

I. Il est perçu, au profit des communes, une redevance sur chaque tonne nette du produit concédé extrait par les concessionnaires de mines, les amodiataires et sous-amodiataires des concessions minières, par les titulaires de permis d'exploitation de mines et par les explorateurs de mines de pétrole et de gaz combustibles.

II. 1° A compter du 1er janvier 2002, les tarifs de la redevance communale des mines sont fixés à :

- 556 euros par centaine de tonnes nettes extraites, pour les gisements de pétrole brut mis en exploitation avant le 1er janvier 1992 ;

- 186 euros par 100 000 mètres cubes extraits, pour les gisements de gaz naturel mis en exploitation avant le 1er janvier 1992 ;

1° ter Pour les gisements mis en exploitation à compter du 1er janvier 1992, les tarifs de la redevance communale des mines sont fixés à :

- 59,6 euros par 100 000 mètres cubes extraits pour les gisements de gaz naturel ;

- 206 euros par centaine de tonnes nettes extraites pour les gisements de pétrole brut ;

A priori, nous nous situons dans le cas de gisements mis en exploitation après le 1er janvier 1992.

Les volumes extraits :

 Ils sont encore inconnus, l’exploration n’ayant pas encore eu lieu. Nous nous baserons donc sur des chiffres venus des USA.

 Le Marcellus Shale : grand gisement de Pennsylvanie proche de New-York, dont les réserves pourraient assurer 2 ans de consommation de gaz des Américains.



Surface : 34 millions d’acres, soit 13,759324 millions ha ( 1 acre = 0,404686 ha)

Réserves espérées : 50 TCF, soit 141,4.1010 m3 ( 1 TCF ou 1 Trillion Cubic Feet = 2,83.1010 m3 ou 28,3 milliards de m3 )

La production attendue est donc de 102.766,67 m3/ha

Le Barnett Shale, « bon terroir » pour les Gaz de Schiste au Texas :

Superficie : 13.000 km²

Réserves espérées : 30 TCF

Production attendue : 653.076,92 m3 / ha

Le gisement « Newark East Field », grand cru du terroir du Barnett Shale :

Surface : 1.036 km²

Réserves espérées : 2,7 TCF

Production espérée : 737.544,826 m3/ha

Si nous appliquons à ces rendements attendus (et non prouvés, loin de là), la redevance possible en France pour les communes que celles-ci toucheraient au total sur la durée d’exploitation des puits forés au fur et à mesure du temps (20 ans ?) pourrait être (simulations, d’après les chiffres que nous avons pu trouver) :

Rendement du Marcellus Shale  : 59,6 euros / 100.000 m3 x 1,02766 = 61,25 € / ha

Rendement du Barnett Shale : 59,6 euros / 100.000 m3 x 6,53076 = 389,25 € / ha

Rendement du Newark East Field : 59,6 €uros / 100.000 m3 x 7,37544 = 439,70 € / ha

Le « Permis de Brignoles » avec ses 6785 km² (ou 678.500 ha) pourrait ainsi « rapporter », dans l’hypothèse optimiste d’un rendement équivalent à ceux connus aux USA, entre 41,5 millions d’euros et 298 millions d’euros à l’ensemble des communes touchées (soit une grosse partie du Var, 1er département touristique de France, et des bouts des départements voisins).

Une commune comme Lorgues (Var)avec ses 6.437 ha percevrait entre 394 000 euros et 2.830.000 euros en tout, soit entre 19 700 euros / an et 141 500 euros / an, si l’on parle d’une activité d’extraction sur 20 ans. Entre temps, il y a fort à parier qu’une partie de sa population aurait quitté la commune et que les touristes n’y viendraient plus, ce qui lui coûterait beaucoup plus cher en manque à gagner.

Et que se passerait-il si l’on forait chez un propriétaire privé ? La commune encaisserait la redevance, certes, mais est-ce que le propriétaire du foncier serait encore tenu de payer des taxes foncières alors que son terrain serait « réquisitionné » ? S’il en était exonéré, la commune perdrait alors la part de taxe foncière qui lui revient normalement.

Ne parlons pas non plus des infrastructures mises à mal dans l’intervalle, des masses d’eau, rare chez nous, utilisées, du paysage dégradé etc … et en espérant qu’aucune pollution ne soit à déplorer (peu probable, nous l’avons vu auparavant).

Comparaison avec les fermages agricoles :

La comparaison avec les fermages agricoles est pertinente puisque l’un exclurait l’autre. Si l’on fore dans un champ ou une vigne, le champ ou la vigne ne sont plus exploitables et la coexistence des forages et de l’agriculture dans notre région très morcelée risque d’être délicate avec ce qu’un forage implique de chemins, de stockages d’eau usées, de plates-formes logistiques, de pipelines …

Pour les régions Nord et Centre du Var, touchées par le « permis de Brignoles » en 2008, les fermages moyens étaient ceux-ci :

AOC Coteaux d’Aix ou Coteaux Varois : mini : 125,60 – maxi : 449,50 d’où moyenne de 287,55 € / ha et par an

AOC Côtes de Provence : 179,60 et 606,30, soit moyenne de 392,95 € / ha et par an

Cultures fruitières : 159,10 et 561,80, soit moyenne de 360,45 e / ha et par an

Vin de Table ou de Pays : 140,50 et 581,10, soit moyenne de 360,80 € / ha et par an

Cultures maraîchères : 151,10 et 594,20, soit moyenne de 372,65 € / ha et par an

Cultures générales : 30,66 et 102,31, soit moyenne de 66,48 € / ha et par an

Parcours extensifs : 1,62 et 9,29, soit moyenne de 5,45 € / ha et par an.

On voit déjà que, sauf pour les 2 derniers types de culture, dans notre simulation, le fermage annuel équivaut à la redevance totale que peuvent espérer les communes. En ce qui concerne les « cultures générales », la redevance ne compenserait que 6 ou 7 ans de fermage annuel, en gelant un terrain plus longtemps et en le laissant probablement dans un triste état. Quant au fermage du parcours extensif, souvent non perçu car on préfère faire travailler des moutons au nettoyage des sous-bois, bords de chemin ou garrigue plutôt que d’avoir à y passer épareuse et débroussailleuse, il faudrait faire la balance du coût à long terme entre un terrain naturellement entretenu et un terrain bétonné, tassé et impropre à toute utilisation agricole ou touristique pendant des années !

En résumé, et en dehors de toute autre considération écologique, politique ou « philosophique », il est plus rentable dans une commune disposant de terres disponibles d’y installer des agriculteurs que de les faire forer !

Et pour les propriétaires des terres actuellement cultivées, il leur faudrait, peut-être, être Américains pour que cela vaille le coup. Aux USA, en effet, le propriétaire du sol est également propriétaire du sous-sol et c’est lui qui perçoit les royalties payées par les compagnies pétrolières. D’après ce que nous avons vu sur internet, elles s’établissent ainsi :

Marcellus Shale : 2000 $ / acre, soit 4.942 $ / ha (soit environ 3 660 € / ha, au cours du jour de 1 € pour 1,35 $ environ)

Barnett Shale : actuellement 18 000 $ / acre (après être montées à 30 000), soit 44 478 $ /ha (environ 32 950 € / ha)

Newark East Field : 20 000 $ / acre ou 49 420 $ / ha (environ 36 600 € / ha)

On comprend l’intérêt des entreprises américaines à venir forer en France…

Enfin, nous avons parlé en ha plutôt qu’en km², terminologie très "campagnarde", les forages étant plus attendus en zone rurale qu’en zone urbaine, même si le sous-sol parisien semble très prometteur en huile de schiste. Nous attendrons que l’on fore sous la Tour Eiffel ou dans les jardins de l’Elysée pour changer notre référentiel.

 Brigitte Grivet

 Toutes les données exposées ici le sont sur la base de données disponibles sur internet, donc sujettes à caution mais elles peuvent constituer une première base de réflexion en attendant des chiffres plus sûrs que devront nous fournir les entreprises gazières.


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