Greenwashing au Commissariat à l’Energie Atomique
par Legavot Patrick
vendredi 13 mars 2020
Le Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energie Alternatives se réorganise avec la volonté affirmée d’être un accélérateur de la transition énergétique. Dernière la volonté de s’aligner sur les attentes sociétales et gouvernementales, quelle est la profondeur du changement et la part d’affichage ?
Le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) a été fondé en 1945 par une ordonnance précisant qu’il doit conduire « les recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans divers domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale » [1]. La poursuite durant des décennies de ces activités de recherche a conduit progressivement le CEA à étendre ses compétences à de nombreux domaines connexes à l’énergie atomique. Actuellement, le CEA s’intéresse à l’atome mais aussi à la recherche fondamentale avec, par exemple, des équipes participantes aux expériences du CERN [2], à la recherche sur la microélectronique et les nanotechnologies ou encore aux sciences du vivant.
En 2009, Nicolas Sarkozy, président de la république annonce dans un discours sur l’usage des fonds du Grand Emprunt le changement de nom du CEA qui devient alors le Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives. Il s’agit de donner une image de l’organisme plus acceptable pour lui transférer des centaines de millions d’Euros du Grand Emprunt. Le terme « énergies nouvelles » désigne les travaux de recherche que le CEA conduit depuis des années dans le domaine de la biomasse, du photovoltaïque et des piles à combustible. Dans les faits, les fonds débloqués iront principalement à un nouveau projet de réacteur nucléaire nommé ASTRID et très peu aux énergies renouvelables.
Depuis sa nomination au poste d’Administrateur Général en 2018, François Jacq dirige le CEA avec une équipe de direction profondément renouvelée et très largement extérieure à l’organisme, rompant ainsi avec une longue tradition de népotisme. Interrogé par la commission des affaires économiques du Sénat lors de son processus de nomination, il avait affirmé vouloir « faire du CEA un accélérateur de la transition énergétique ». Il énonçait trois conditions pour atteindre cet objectif ; « l'excellence de la recherche » ; « la rigueur […] dans la conduite des projets et dans la gestion des
Budgets » et « avoir un projet collectif partagé par l'ensemble de la chaîne hiérarchique et du personnel, et de mettre en mouvement l'organisme par une conduite du changement ». La troisième condition se traduit aujourd’hui par une réorganisation de l’organisme qui vise, entre autres, à rapprocher le pilotage des activités sur les énergies nouvelles et l’énergie nucléaire. La Direction de l’Energie Nucléaire devient la Direction des Energies qui pilote l’ensemble des activités du CEA dans le domaine de la production d’énergie. La Direction des Energies a pour mission de conduire l’ensemble des recherches contribuant à un mix énergétique décarboné.
Au-delà des aspects organisationnels, on peut s’interroger sur la réalité budgétaire de cette transformation. L’ancienne Direction de l’Energie Nucléaire comptait 4000 salariés contre 600 dans le domaine des énergies nouvelles. La nouvelle Direction des Energies reste embourbée financièrement dans le projet de construction du Réacteur Jules Horowitz connu sous le sigle RJH. Le RJH est au CEA ce que l’EPR de Flamanville est à EDF. Le projet a pris 10 ans de retard et son prix a triplé au cours d’un chantier qui cumule les difficultés. La nouvelle organisation du CEA a aussi pour objectif d’améliorer la gouvernance de ce projet pour lequel l’état demande d’achever la construction [4]. Cette volonté d’aller jusqu’au bout impose d’y consacrer tous les moyens disponibles.
Par ailleurs, on peut noter que le CEA reste totalement focalisé sur le développement de nouveaux systèmes de production d’énergie et sur l’amélioration des systèmes existants. A l’image du plan Messmer qui, en 1974, a décidé de la construction des 58 réacteurs électronucléaires français, le CEA s’intéresse depuis son origine aux système produisant de l’énergie mais pas aux systèmes qui l’utilise ou bien qui l’économise. Le plan Messmer a permis de produire une électricité décarbonée dès la fin des années 80 mais n’a pas supprimé les usages massifs du pétrole dans les transports ou dans le chauffage domestique. Les acteurs économiques privés ont suivi leur propre logique économique qui a conduit à une explosion du transport routier consommateur de pétrole au détriment du ferroviaire qui utilise l’électricité décarbonée produite par les centrales nucléaires. Ainsi, la trafic automobile a été multiplié par 7 depuis 1973. L’arrivé des voitures hybrides et maintenant électrique est issu des travaux de recherche des firmes privées et le CEA n’y a jamais pris part. Les systèmes de pompe à chaleur qui peuvent concurrencer le chauffage au fuel ne doivent rien au travaux des chercheurs du CEA. A travers ces exemples, il apparait que la transition énergétique n’est pas qu’une affaire de production d’énergie mais aussi une affaire d’usage de l’énergie produite. Sur ce point le CEA reste à l’arrêt et le greenwashing en cours n'y change rien. L’organisme et ses ministères de tutelle semblent figé dans une logique productiviste typique des trente glorieuses et déconnectée des enjeux actuels.
[1] JORF du 31 octobre 1945 page 7065 - Ordonnance n° 45-2563 du 18 octobre 1945 instituant un commissariat à l'énergie atomique
[2] http://www.lhc-france.fr/spip.php?article104
[3] http://arcea-dif.fr/documents/2018_04_17_f-jacq%20auditions.pdf
[4] https://www.lefigaro.fr/sciences/nucleaire-le-patron-du-cea-justifie-l-abandon-d-astrid-20191023