Histoire d’Eau

par Vincent Verschoore
mercredi 9 septembre 2015

 Pour un amoureux de la mer et des bateaux, la question de l’origine de l’eau a une dimension qui dépasse le pur questionnement académique. Cette eau qui recouvre les 2/3 de la surface de la Terre, et compte pour 60% de notre poids corporel, qui ne se crée ni ne disparaît, se transformant entre ses trois phases au fil du temps et sans laquelle notre planète, tel Mars aujourd’hui, ne serait sans doute qu’un vaste désert mort. Cette eau, d’où vient-elle ?

C’est une question qui taraude la communauté des géologues depuis la réalisation que l’eau sur Terre fonctionne en circuit fermé. Si rien ne se crée et rien ne se perd, c’est qu’elle a du venir de quelque part. L’hypothèse la plus commune est que l’eau est arrivée sur Terre lors d’une période de bombardement intense par des comètes, voici quelques 3,85 milliards d’années. Cette hypothèse est bien corroborée par les mesures d’iridium détectés dans les roches terrestres et lunaires, et le calcul de la masse de glace qui aurait ainsi pu être apportée à la Terre, de l’ordre de 3 400 tonnes par mètre carré, est en phase avec la réalité observée.

On aurait pu penser la messe dite, sauf qu’il restait au moins un problème gênant : la glace des comètes est plus riche en deutérium que ce que nous mesurons sur Terre. Il n’y a pas d’explication de cette différence, menant à la recherche d’autres sources de l’eau originelle.

La seule alternative “raisonnable” serait que l’eau ait fait partie de la Terre depuis le début, mais on voit mal, à priori, comment des molécules d’eau, en telle quantité, auraient pu survivre au processus, intensément chaud et brutal, de formation de la Terre ! Et pourtant.

En 2010, une équipe du University College de Londres suggéra que les grains de poussière à l’origine de la formation terrestre étaient en fait capables de s’accrocher à des molécules d’eau malgré les conditions dantesques de l’époque. Ils partirent de grains d’olivine, un minerai commun dans notre système solaire et dans les nuages de poussière qui entourent les étoiles en général. Leur modèle montre que les molécules d’eau peuvent s’accrocher à la surface irrégulière de ces grains, au prix d’un fort dégagement énergétique. Ce qui, en retour, implique qu’il faille une forte énergie pour les séparer, et qu’en fait l’eau “s’accroche” jusqu’à une température de 630 °C (1). Plus qu’assez pour résister au processus de formation terrestre. L’eau, donc, aurait pu exister sur Terre dès le premier jour, supplémentée sans doute par les comètes et astéroïdes mais ces derniers n’auraient été qu’une source secondaire.

Cette hypothèse élimine le problème du deutérium manquant. mais y a-t-il des preuves de l’existence d’une eau originelle ?

Oui. En mars 2014 une équipe de l’Université d’Alberta, au Canada, démontra l’existence d’une trace aqueuse au sein d’un diamant brésilien : du ringwoodite attaché à des molécules d’eau, dans un rapport eau/masse totale de l’ordre de 1%. Le ringwoodite est une forme d’olivine stable à haute pression et température, ne pouvant exister que dans une zone où ces conditions existent : le manteau terrestre, et sa zone de transitionsituée entre 400 et 700 km de profondeur – d’où devait provenir ce cristal. L’étude fut publiée par Nature sous le titre Hydrous mantle transition zone indicated by ringwoodite included within diamond.

Lagon bleu : un cristal de ringwoodite écrasé en laboratoire. Les cerles oranges indiquent les zones d’où l’eau s’est échappée sous la pression. (Image : Steve Jacobsen/Northwestern University)

Encore fallait-il trouver la trace d’un volume d’eau conséquent dans cette zone, inatteignable par forage. Toujours en 2014, une équipe de la Northwestern University de Evanston, USA, entrepris une étude à l’aide de 2000 séismographes créant des centaines de micro-tremblements de terre, dont les échos remontant en surface dessinaient une image de la composition de cette couche infra-terrestre. La présence d’eau ralenti les ondes sismiques, et les instruments furent calibrés pour détecter la présence de ringwoodite aqueuse. Instruments qui détectèrent effectivement la présence, massive, de ringwoodite aqueuse à une profondeur de 700 km (2). A cette pression et température, dans la zone de transition entre le manteau supérieur et inférieur, l’eau suinte de la ringwoodite. Selon Steven Jacobsen, à la tête de cette équipe, c’est de là que vient l’eau des océans, et c’est ce processus de “transpiration” qui permet à la Terre de garder une masse d’eau de surface stable, compensant ce qui est perdu par évaporation dans l’espace.

Le volume d’eau estimé, au sein de cette zone de transition, est de trois fois le volume actuel des océans. C’est énorme. Question subsidiaire : des tels réservoirs existent-ils sur la Lune, sur Mars et ailleurs ?

 

(1) (Chemical Communications, DOI : 10.1039/C0CC02312D).

(2) https://www.newscientist.com/article/dn25723-massive-ocean-discovered-towards-earths-core/


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