Irrigation agricole : les retenues d’eau collinaires, bonne ou mauvaise solution ?

par Fergus
mardi 25 août 2020

Les épisodes de sécheresse récurrents que subit notre pays du fait du réchauffement climatique exacerbent dans les campagnes le débat sur les « retenues collinaires ». Considérées désormais par de nombreux agriculteurs comme une nécessité vitale pour la survie de leur exploitation, elles sont dénoncées avec virulence par les écologistes. Tous ont de solides arguments à faire valoir…

Avant toute chose, il convient de définir ce qu’est une « retenue collinaire ». Comme son nom l’indique, il s’agit d’un plan d’eau artificiel créé dans un paysage rural vallonné afin de stocker des eaux pluviales en période de précipitations abondantes pour répondre à divers besoins. Certaines retenues collinaires, en nombre minoritaire, peuvent également être partiellement alimentées par les hautes eaux d’une rivière via un bief de dérivation. Enfin, d’autres ne sont pas, ou sont peu, alimentées par les eaux de ruissellement, mais principalement par pompage dans les nappes phréatiques lorsqu’elles atteignent un niveau élevé.

Il existe différents types de retenues collinaires. La majorité d’entre elles répondent à des besoins techniques tels l’alimentation d’habitations en eau potable, l’aide à l’infiltration dans les sols des eaux excédentaires, le lagunage (filtrage naturel des eaux usées), ou bien encore l’alimentation des canons à neige et la prévention des incendies dans les secteurs les plus exposés. Ce ne sont pas ces plans d’eau qui nous intéressent ici, mais ceux dont la finalité est agricole.

Il s’agit dans ce cas de « constituer des réserves d’eau durant les périodes de pluie en vue de les restituer en période de pluviométrie insuffisante à des fins d’irrigation des cultures et d’abreuvage du bétail ». Énoncé de cette manière par les agriculteurs, cet objectif semble être frappé au coin du bon sens. Et cela d’autant plus que la succession, désormais accélérée par le changement climatique, des épisodes de sécheresse durant les périodes estivales donne incontestablement du poids à cet argument. Ce n’est donc pas un hasard si la plupart des Chambres d’agriculture départementales soutiennent les initiatives d’implantation de ces retenues collinaires qui prennent la forme de bassins de rétention à fond imperméable.

Pallier le manque d’eau récurrent

« Avec des étés de plus en plus secs, on ne peut plus se passer d’arroser. Il est devenu indispensable d’irriguer pour [assurer] la production. On utilise également l’eau de la retenue, via la pompe, pour abreuver les bêtes  », expliquait l’an passé Gilles Dumond, un agriculteur de Corrèze, dans les colonnes du quotidien La Montagne. Une opinion partagée par de très nombreux exploitants agricoles dont les champs et les pâturages sont grillés. Au point, pour de nombreux éleveurs, de devoir nourrir dès l’été leurs animaux en puisant dans les fourrages séchés et ensilés qu’ils ont stockés en prévision de la saison d’hiver. Le discours est le même du côté des céréaliers, des maraîchers et des arboriculteurs qui, en l’absence de retenues collinaires, constatent une baisse significative de leurs rendements, et craignent un risque de disparition de leur exploitation pour les plus exposés d’entre eux.

Tout cela est vrai, et les écologistes ne le nient pas. Ils n’en réfutent pas moins avec détermination la pertinence de la création de nouvelles retenues collinaires. Certes, ces bassins de rétention permettraient aux agriculteurs de pallier le problème de manque d’eau récurrent qu’ils subissent été après été, et par conséquent de maintenir leur production à un niveau satisfaisant. Mais cela ne pourrait se faire, selon les porte-paroles des associations, qu’au prix de graves préjudices sur l’environnement. Les écologistes pointent notamment une évidence : les eaux pluviales collectées et stockées dans les bassins de rétention ne ruissellent pas et ne jouent donc pas leur rôle d’équilibre des écosystèmes situés en aval ; pire : en les privant d’une partie de l’eau qui leur est nécessaire, elles en accentuent la sécheresse. Autre évidence soulignée par les écologistes : ces plans d’eau artificiels sont soumis à une forte évaporation – les spécialistes évoquent des pertes pouvant atteindre localement 50 % – qui soustrait encore plus d’eau aux écosystèmes aval, les volumes évaporés étant remplacés dans les bassins par des précipitations ultérieures, elles-mêmes soumises à ce phénomène d’évaporation.

Les biotopes et les écosystèmes situés en aval sont d’autant plus durablement menacés que les facilités d’irrigation dont bénéficient les agriculteurs grâce à l’existence des retenues collinaires ne les incitent pas à modifier leur modèle d’exploitation. Résultat : les cultures très demandeuses en eau – par exemple le maïs – sont de facto maintenues, voire développées, dans des régions où l’évolution climatique devrait conduire les exploitants à entreprendre des mutations pour faire face aux prochains et inévitables épisodes de sécheresse.

Acclimater de nouveaux types de cultures

Autrement dit, pour reprendre le propos d’un militant écologiste de Dordogne, « C’est un cercle vicieux : plus il y a d’épisodes de sécheresse, plus on creuse des retenues collinaires sans adapter notre modèle de culture au manque d’eau. On marche sur la tête ! ». Un processus que d’autres écologistes qualifient de « désastreuse fuite en avant ». La responsable EELV du Lot-et-Garonne Annick Minnaert est même allé jusqu’à parler de « délinquance écologique » à propos de la retenue controversée de Caussade (Tarn-et-Garonne), créée en toute illégalité à des fins d’irrigation par un collectif d’une quarantaine d’agriculteurs avec la complicité des dirigeants de la Chambre d’agriculture départementale. Un point de vue partagé par la Justice : en juillet 2020, elle a condamné à de la prison ferme le président et le vice-président de cette chambre (lien).

De nouveaux affrontements de type Sivens, ou des affaires de type Caussade, sont-ils envisageables ? Probablement pas car les projets ambitieux comparables à ces deux-là ont sans doute été remisés pour longtemps dans les cartons des exploitants agricoles. Ils ont été remplacés par la volonté de multiplier les petites retenues collinaires, moins exposées à des contraintes réglementaires et moins susceptibles de mobiliser les militants de France Nature Environnement et autres associations de défense des écosystèmes. Il existe donc un risque réel de dégradation des biotopes, d’autant plus choquant que la multiplication des bassins de rétention a pour effet d’ajouter à la sécheresse naturelle ce que l’on nomme la « sécheresse anthropique », autrement dit directement imputable à l’influence des hommes sur l’écoulement des eaux.

Si l’on en croit les écologistes, rejoints par une minorité des agriculteurs, le temps est venu de bannir les cultures les plus consommatrices en eau des territoires les plus exposés au risque d’épisodes récurrents de sécheresse. D’ores et déjà, des exploitants agricoles ont, plutôt que d’opter pour la réalisation de nouvelles retenues collinaires, choisi – notamment pour l’alimentation du bétail et la méthanisation – d’acclimater des cultures comme le millet, la silphie et le sorgho, moins gourmandes en eaux et donc moins sensibles aux épisodes de sécheresse. Des initiatives saluées par les militants verts qui perçoivent dans ces mutations « la voie de la sagesse ». Il reste toutefois beaucoup de chemin à parcourir pour qu’en toutes régions les écologistes et les exploitants agricoles parviennent à trouver un point d’équilibre !

À lire, sur le site de France Nature Environnement : Sécheresse : les barrages, fausse solution face au dérèglement climatique.


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