La « croissance verte » au carrefour entre réalités physiques et fantasme collectif

par jjwaDal
lundi 25 juillet 2022

Cela fait en 2022, plus de 60 ans que des « Cassandres » nous prédisent sinon un effondrement de notre civilisation industrielle, du moins de sérieuses déconvenues à terme si nous continuons sur notre trajectoire collective fortement gourmande en ressources naturelles de toutes sortes.

L'inventaire des problèmes identifiés serait fastidieux, mais ce qui ressort essentiellement du bruit médiatique est que nous avons surtout un problème avec nos sources d'énergie, raréfaction des ressources fossiles en hydrocarbures et conséquences collatérales de leur utilisation et on met alors en avant l'impact supposé négatif, voire catastrophique à terme, de nos émissions de CO2.

D'où la tentation de changer de sources d'énergie majeures et le discours sur la nécessaire transition énergétique.

On pourrait commencer par ne pas occulter que ces problèmes sont dus essentiellement à l'utilisation de machines pour modifier notre environnement. Nous ne consommons ni charbon, ni pétrole, ni gaz, encore moins de l'uranium, nos machines le font.

Et ensuite, que nous avons déjà changé de sources d'énergie, dans le passé car nous n'avions que les énergies renouvelables (force humaine, animale, bois et plus tard hydraulique et éolien), puis est venu le charbon, puis gaz et pétrole, puis nucléaire. Toutes ces sources se sont empilées les unes sur les autres, les pourcentages respectifs d'utilisation ont certes changés mais toutes cohabitent et sont encore utilisées.

Or, nous envisageons de diminuer notre impact environnemental grâce à une armée gigantesque de nouvelles machines, car énergies diffuses dit collecteurs gigantesques et leur intermittence intrinsèque oblige à y pallier avec d'autres machines.

 

Oublions d'entrée l'idée que nous deviendrions indépendants sur le plan de la fourniture d'énergie en changeant de sources. En fait nous allons passer d'une dépendance envers les fournisseurs de combustibles à une dépendance envers les fournisseurs de métaux et de terres rares, voire envers les fabricants de ces divers collecteurs de soleil et de vent.

 

Mais surtout les décideurs et les médias se focalisent à tort sur l'aspect « production d'énergie » et émissions de CO2.

 

A tort parce que dans 10 000 ans, quoi que nous fassions le taux de CO2 sera retourné à un niveau proche de celui de l'époque industrielle alors que d'autres traces de notre passage, en particulier de notre « transition énergétique » se verront pendant des dizaines de millions d'années.

 

Il semble évident que le changement de ressources énergétiques qui nous est imposé (« RePowerE.U. », ici en Europe), vise à maintenir sinon augmenter notre consommation d'énergie en espérant éviter les effets collatéraux. C'est un leurre dangereux.

 

On met à tort le taux de CO2 sur le devant de la scène, en oubliant que la vie sur Terre a proliféré sans qu'un continent de 14 millions de km2 au pôle sud serve de « climatiseur », alors que l'effondrement de la biodiversité et la montagne de déchets miniers que nous avons déjà produits ne sont pas imputables aux hydrocarbures mais bien à nos pratiques sociales et économiques et en particulier à notre niveau de consommation énergétique et à la démesure de nos désirs consuméristes. On subventionne par ex massivement le transport aérien qui est un « pousse au crime » au sens où on donne à chacun le pouvoir de cramer de précieuses ressources fossiles en quelques heures, en pratique la quantité de carburant qu'il brûle sur une année avec un véhicule moyen.

 

Une espèce morte ne réapparaîtra pas dans quelques milliers d'années et la montagne de nos déchets miniers et autres (25 milliards de milliards de fragments de plastiques par ex) pourrait être détectable, loin dans le futur. Nos résidus d'exploitation minière seront encore en l'état (donc toxiques) dans 10 millions d'années.

 

Tout maintien de notre niveau de consommation d'énergie aura donc globalement les mêmes conséquences, moindres pour certains rejets (CO2 par ex), mais bien pire pour d'autres.

 

Sur le plan équipement on sait que la demande en métaux rares va exploser avec ces nouveaux équipements. M. Jancovici dans un entretien parle d'un facteur 100 de différence entre un réseau électrique classique et un réseau pilotable avec EnR et stockage (mais pas de centrales classiques).

 

Or, on semble avoir complètement oublié ce que sont les exploitations minières et même comment ça marche.

 

Dans une coquille de noix, on décape des sols « vivants » (souvent cultivables) pour mettre à jour la couche de minerai et l'extraire mécaniquement ou par explosifs. Les teneurs variant entre une fraction de gramme par tonne (or, platinoïdes) à la centaine de gramme/tonne (lithium), au mieux 10 à 30kg/tonne (nickel, cobalt, cuivre, etc...), il faut broyer ces roches ou l'élément est dispersé et lié chimiquement, puis soumettre ce broyat à des opérations de filtration, opérations chimiques, le tout gourmand en eau et en énergie.

Une petite mine d'or par ex consomme annuellement autant d'eau qu'une ville européenne de 80 000 personnes et autant d'électricité qu'une ville de 30 000 habitants.

Le résultat de toute exploitation minière est de dénaturer des superficies colossales (les surfaces déjà exploitées, exploitées en ce moment ou en passe de l'être représentant 90 fois la surface de la France) en les transformant en pustules à ciel ouvert (lacs de boues toxiques) ou au mieux en mettant la « poussière sous le tapis » à savoir sous une couche de sol qui sera recolonisé par la prairie ou forêt.

Inutile de dire que le broyage a maximisé la surface d'échange de ces boues et que tout lessivage par les eaux de pluie entrainera une dispersion aisée dans l'environnement de tous les éléments toxiques (arsenic, plomb, antimoine, etc...) auparavant piégés dans le minerai compact.

 

A savoir qu'en 13 ans, de 2002 à 2015, nos activités minières ont généré plus de 1000 Gt de déchets miniers, qui ne sont pas uniquement des gravats mais des boues de traitement (mélange de broyat de roches, eau, produits chimiques (style cyanure, soude, acide nitrique)) et la courbe décolle.

 

Avec des teneurs en l'élément recherché en baisse partout, cela implique plus de roches à extraire, broyer, plus d'énergie plus d'eau, plus de produits chimiques, plus de boues de traitement. L'aspect « protection de l'environnement » pourrait péniblement se justifier si l'augmentation des émissions de CO2 nous mettaient en péril avec certitude, mais c'est bien plus une crainte qu'une certitude.

 

Par ailleurs on semble oublier qu'il n'y a pas de source d'énergie propre et les EnR ont leur cortège de pollutions et d'inconvénients. Il faudrait commencer par faire des économies d'énergie, ce qui est incompatible avec le paradigme économique actuel depuis les années 1980 qui a multiplié par un facteur 7 en 30 ans le nombre de km parcourues par les marchandises que nous achetons et qui pourrait diminuer du même facteur les surfaces agricoles pour nous nourrir, mais qui n'en fera rien. Nous sommes piégés dans une outrance consumériste au dernier degré et par ex une Tesla contient 75 des 85 éléments du tableau périodique qu'on peut trouver dans notre environnement. Comment recycler ça sans y consacrer un gouffre de temps et d'énergie ? Bien sûr on ne fera que partiellement.

 

C'est bien notre façon d'agir qu'il faut changer et pas les modalités pour continuer à avoir des pratiques aberrantes de gaspillage.

C'est pourtant ce que promet de faire la « révolution verte » telle qu'elle est reprise par les politiques.

 

Disons le simplement : si la science du climat était capable de convaincre des décideurs responsables que les émissions de CO2 sont un danger, alors la relocalisation de toutes les productions qui peuvent l'être serait un préalable. L'arrêt de nos nombreux gaspillages serait au programme de toute évolution moins gourmande en énergie et par ex la diminution progressive de la consommation de viande, car une société végétarienne a besoin de 7 à 10 fois moins de terres agricoles pour se nourrir.

Par ailleurs, on devrait impérativement passer à un programme de « contre émissions » dont l'exemple le plus simple consiste à recréer des forêts qui sont des pompes à CO2 majeures durant leur croissance.

Mieux encore : un calcul de coin de table (vérifié néanmoins) montre que consacrer 10 millions d'ha chez nous à une culture énergétique à haut rendement permettrait de soustraire par an l'équivalent du CO2 que nous émettons annuellement sur le territoire français (pas toutes nos émissions vu nos importations chinoises, mais cela donne une idée des ordres de grandeur).

Avec soit l'option de chauffer l'hiver le parc de logements (de préférence isolé, y compris par l'extérieur quand c'est l'unique solution), soit de pyroliser cette masse végétale en charbon de bois et de l'enfouir.

Premier cas on retourne le CO2 pompé à l'atmosphère, second cas on extraie du CO2 de l'air pour le stocker durablement dans le sous-sol (enfouissement sous une couche d'argile à l'abri de l'oxydation). Le charbon de bois brûlant bien ,on fabriquerait ni plus ni moins des dépôts de charbon (de bois).

 

A l'examen on a donc, théoriquement, sur le papier, des possibilités de contrer un éventuel dérèglement climatique (on se demande ce qui nous empêche d'aider les pays demandeurs à reverdir leurs déserts), mais le système économique étant ce qu'il est et la culture de la population étant ce qu'elle est, on ne fera quelque chose que le dos au mur bien sûr.

 

On peut faire le pari sans risque que sur les 30 prochaines années, l'ensemble des indicateurs de détérioration de notre biosphère vont se dégrader un peu plus encore et même s'accélérer, car on refuse de voir que ce sont nos machines qui sont le problème et non la solution, à travers leur utilisation sans limites autre que financières.

Et le business plan, bien sûr consisterait à produire bien plus de machines pour résoudre le problème posé par d'autres machines...

 

Il faut relocaliser d'urgence les productions qui peuvent l'être, démécaniser, freiner les usages de l'électronique et l'informatique, renoncer à vouloir aller toujours plus vite et toujours plus loin, renoncer à être joignable 24/7 comme si on était détenteur des codes de déclenchement d'une frappe atomique, se servir de ses jambes, aller vers le low tech, etc...

 

On ne va pas sortir de l'ornière environnementale où nous nous sommes mis en continuant à faire la même chose, différement. Si on continue à aller dans la mauvaise direction, y aller à pied, plutôt qu'en vélo ou en avion électrique ne changera que la durée du voyage, mais ne permettra pas d'atteindre le but qu'il faudrait atteindre, qui est dans notre dos, dans la direction opposée.

 

C'est pourtant ce que nous faisons et c'est le programme « ambitieux » qui nous est imposé.

 

Quelques vidéos :

Planet of the humans (sous-titré français) Moore (sur le verso des nouveaux renouvelables).

https://www.youtube.com/watch?v=Zk11vI-7czE

Ruée minière au 21ième siècle (Stephant) Sur les conséquences des activités minières et leurs limites.

https://www.youtube.com/watch?v=i8RMX8ODWQs

Fin des métaux rares (Stephant)

https://www.youtube.com/watch?v=7bh3Z78e68Q

Débat sur les 50 ans du rapport Meadows.

https://www.youtube.com/watch?v=vgCEi9yFqHg

Vers une pénurie de métaux (Bihouix)

https://www.youtube.com/watch?v=LsWc-9CrRkk

 


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