La décroissance plus le progrès

par Liger
mercredi 2 décembre 2009

Décroissance de production ne signifie pas forcément décroissance de confort ou d’emplois. C’est ce qu’on fabrique qu’il faut changer.

Croissance ou décroissance.

Jamais le terme "croissance" n’a autant été l’objet d’intérêt ni de controverses. Paramètre essentiel pour les économistes, ce facteur est aujourd’hui vu comme le Graal absolu pour certains, comme un fléau écologique pour d’autres, mais aussi comme un vocable assez éloigné des préoccupations quotidiennes pour une grande partie des gens.

La crise financière actuelle l’a montré, la croissance est étroitement liée à la production réelle "de biens et de services", et l’oublier conduit, comme aujourd’hui, à une douloureuse gueule de bois : La cuite à l’argent virtuel a mal fini.

Dans le cas de la production de biens, doper la croissance impose, et c’est regrettable, un productivisme outrancier. Plus de croissance, c’est plus de matières premières consommées, plus de déchets et donc de pollution ou de recyclage et, à travers la production industrielle, le recyclage et les transports, plus d’énergie consommée.

Mais renoncer à la croissance, dans la mesure où la démographie continue d’augmenter, c’est créer des situations se détériorant globalement, avec comme toujours les effets les plus dramatiques et les plus immédiats supportés par les plus fragiles.
C’est aussi renoncer à une certaine représentation du progrès, qui était peut-être illusoire, mais qui renvoyait à chacun une vision de l’avenir plus encourageante que désespérante. L’idée, unanimement partagée jusqu’à peu, que la génération suivante "profiterait" davantage.

Or, si jusqu’ici on peut mettre tout le monde d’accord sur le sujet, les analyses couramment menées ne prennent en général que l’aspect quantitatif des choses : L’usine fabrique un volume de biens, l’entreprise fait son chiffre d’affaires, et le consommateur constitue son trousseau au gré de ses besoins et des réclames publicitaires, ces deux derniers souvent confondus par l’habileté redoutable de nos fils de pub et de la mercatique du toc...
Ainsi, on compte le nombre de voitures ou de téléviseurs vendus, les garages se remplissent de voitures et les chambres de télés, et globalement chacun a l’impression d’être porté par la montée des eaux. Jusqu’à la noyade.

D’autre part, gagner des parts de marché demande d’élargir sa clientèle au plus grand nombre, ce qui signifie fatalement : aux moins riches. La réponse apportée, et nous verrons à quel point elle peut être remise en cause, a toujours été de faire baisser le prix de revient des biens fabriqués.

Travailler moins pour profiter plus.

L’industrie a alors calqué ses méthodes sur un des éléments les plus moteurs du progrès : la paresse.


Cependant l’objectif n’était pas le même. Là où la paresse fait appel à l’imagination pour obtenir un résultat à moindre effort - à travers la conception d’un outil ou encore l’établissement d’une méthode - afin de faire profiter, durablement, du temps et de l’énergie gagnés, l’industrie partage l’effort initial, mais pas ses fruits.
Gagner en productivité, voilà une mission qui s’est généralisée, et qui constitue désormais une tâche implicite pour le salarié, au même titre que faire, directement ou indirectement, du chiffre d’affaires. Mais ce gain de productivité débouche inévitablement sur une perte d’emplois, à volume de production équivalent.
Et sans même introduire de polémique, on peut résumer ainsi les deux missions d’un salarié :

  1. Faire en sorte que le chiffre d’affaires soit important = produire
  2. Contribuer à supprimer son propre poste = améliorer la productivité

Cette présentation n’est pas polémique parce que "supprimer son emploi" est la chose la plus légitime qui soit, c’est même une des composantes naturelles du progrès.
Ce qui l’est moins, c’est que les bénéfices obtenus par la suppression de l’emploi ne sont pas, même partiellement, reversés au salarié.
C’est ainsi qu’a commencé le divorce entre le progrès industriel et le progrès social. Ce point mérite d’être développé à part, et fait l’objet de solutions spécifiques car il en existe. Disons que ce problème devait être identifié et cité, c’est chose faite. Et retenons que la croissance "quantitative" crée, dans les conditions actuelles de redistribution (fiscalité, droit du travail) du chômage, mais que ce n’est pas une fatalité.

Production de masse.

Autre condition sine qua non de la baisse du prix de production, la production de masse s’est peu à peu imposée, en priorité là où elle était nécessaire : Au Japon, historiquement pour des raisons de surfaces de production limitées (ce "besoin" anticipé les a conduit à être leader dans la robotique), et dans les pays à coût salarial élevé. La production de masse est basée sur deux principes simples :

  • Produire plusieurs pièces à la fois afin de rationaliser les efforts de production (main d’oeuvre, temps machine, stocks...) et ainsi réduire le coût.
  • Produire des lots très homogènes, ce qui permet d’utiliser des procédés nécessitant un gros travail de mise au point. Ce principe donne accès à des technologies jusque là impossible à mettre en place dans une petite production, pour des raisons de rentabilité.

On peut donc dire que production de masse n’est pas incompatible avec qualité, et même que c’est un facteur de progrès technologique. Mais les choses ne sont pas si simples, et ce modèle de production n’a pas que des vertus, notamment sur le plan social et environnemental.

  • D’abord, ce type de production demande des investissements lourds, que l’on rationalise au maximum. Ça veut dire un nombre de sites de production limité, quand ce n’est pas un site unique. En conséquence, on augmente la part de transport (approvisionnements, distribution) avec des effets néfastes pour l’environnement, et on distribue les emplois de manière très hétérogène, ce qui multiplie les zones sinistrées par le chômage.
  • Ensuite, les technologies de production associées, qui utilisent massivement des procédés incompatibles avec des actions manuelles, ou qui tendent à réunir sur la même pièce plusieurs fonctions techniques sont totalement inadaptés à une réparation. On le voit dans la plupart des biens courants (automobile, électronique, électroménager...), on change en cas de panne des éléments de plus en plus importants. Cela conduit, d’une part, à des déchets plus nombreux et plus difficile à recycler, et d’autre part à des ensembles impossibles à faire durer en les "bricolant" avec les moyens du bord.

Exemple emblématique de notre modèle de production, la lampe fluo-compacte a réuni en un seul hybride deux éléments jusque là séparés : le ballast, qui pouvait durer des années et qui est résistant aux chocs, et le tube fluorescent qui vieillit plus vite et craint la casse.
On fabriquera et recyclera donc bien plus de ballasts que nécessaire. Un comble, pour un produit considéré comme écologiquement correct...

Aussi, ce que l’on gagne en qualité pour un prix limité, on le perd dès lors que l’on souhaite faire durer le "bidule" plus longtemps. Et ce qu’on gagne en pouvoir d’achat en ayant accès à certains biens désormais disponibles dans le bas de gamme, on le perd avec... son emploi.
Il n’empêche que pour certaines technologies (électronique, plasturgie...), cette évolution a largement contribué à une amélioration de la qualité. Il s’agit donc d’utiliser cette production de masse avec intelligence, en s’intéressant notamment à la durabilité globale du produit.

L’arnaque.

Les produits bas de gamme sont une escroquerie flagrante. Mais l’ignorance de la plupart des consommateurs de certaines notions comptables, comme la durée d’amortissement, les incite à considérer le produit le moins cher à l’achat comme le plus compatible avec un petit budget. Quelle erreur...
Et voici encore un divorce entre la croissance et le progrès. La jouissance liée à la possession nous empêche souvent d’y voir clair, pire, la consommation à travers l’acte d’acheter est souvent privilégiée par rapport au simple fait de jouir de l’utilisation d’un bien. Foule sentimentale...
Il faut dénoncer ici un comportement de la part des acteurs de l’offre qui tient de l’escroquerie. Or, sans aucune obligation éthique pour eux, et concurrence oblige, il n’y a aucune chance que cela change. Car aujourd’hui, fabriquer un bien éphémère est la meilleure garantie pour renouveler rapidement la demande. C’est la prime à la mauvaise qualité.

Le consommable est un des moyens les plus efficaces pour permettre à une entreprise de renouveler la demande. Au point que le client est maintenu captif autant que possible.
Exemple : la cartouche d’encre d’une imprimante à jet d’encre. Certains fabricants vont même jusqu’à rendre impossible la recharge d’encre, ce qui est une aberration sur le plan environnemental.

D’autre part, pour un acheteur modeste, la barrière du prix d’achat d’un bien de qualité est souvent trop élevée, même si cet achat se révélait le plus rentable. Ceci est lié au coût du crédit, qui empêche tout simplement, pour des raisons évidentes de trésorerie, de faire cet achat. C’est l’injustice d’une société où l’argent coute cher : pour être économe, il faut être riche.

Vive la qualité.

Au delà des aspects nocifs pour le consommateur, c’est pour l’environnement qu’une qualité médiocre a les effets les plus catastrophiques. Car en précipitant la mise hors d’usage de produits fabriqués, on raccourcit le cycle de vie du produit, et par conséquent on multiplie le nombre de fois où il faudra relancer un nouveau cycle.
Cela signifie que pour un même besoin, et donc une même fonction, on multiplie par 2 ou 3 le volume des différentes activités, à savoir :

  • l’extraction et la transformation des matières premières, alors que les pays émergents font exploser la demande
  • les transports liés à l’approvisionnement du site de production et des sites commerciaux, alors que ces transports sont déjà excessivement polluants
  • les activités de production, gourmandes en énergie
  • les activités de recyclage, elles aussi consommatrices d’énergie
  • les déchets de ce qui ne sera jamais recyclé, dans un volume d’autant plus important que le produit aura été conçu à la va-vite

A l’opposé, produire de qualité limite le nombre de cycles de production, et a donc des effets inverses à ceux sus-cités, tout en faisant bénéficier l’utilisateur du produit d’un confort supplémentaire lié au "haut de gamme". La qualité a également d’autres vertus :

  • le niveau requis pour le personnel est meilleur, et favorise la gratification de l’expérience,
  • la nécessité, pour des raisons techniques incontournables, d’effectuer des opérations de maintenance préventive, crée des emplois mieux répartis,
  • le nombre d’emplois est globalement plus important (R&D, production, revalorisation de l’activité commerciale...)

On le voit, la qualité permet de gérer une forte décroissance industrielle, tout en laissant sa place à la notion de progrès.

Des solutions.

Mais c’est bien la volonté politique de favoriser la qualité qui permettra d’utiliser ce levier pour que la notion de progrès revienne en force. Des mesures dans ce sens sont possibles :

  • D’abord, en rendant obligatoire un certain niveau de qualité à travers une période de garantie minimale élevée, et augmentée progressivement. C’est à ce prix que l’on pourra inciter les concepteurs à réaliser de véritables progrès en matière de durabilité des produits. Cela nécessitera, de la part des entreprises, faire davantage appel à la recherche fondamentale.
  • Ensuite en finançant le crédit permettant aux plus modestes de s’équiper de la manière la plus économe. Cette mesure serait financée en pratiquant un système de malus selon le niveau de garantie, et l’on conditionnerait l’obtention du crédit à une durée de garantie élevée pour le bien acquis. Le gain pour l’acheteur modeste sera triple : accéder à une meilleure qualité, accéder à un prêt sans frais, et disposer d’actifs qui se déprécieront moins vite, au cas où une situation difficile l’oblige à revendre son bien.
  • En pratiquant la pédagogie à travers des campagnes d’information sur la meilleure façon d’acheter,
  • En rendant obligatoire l’affichage du prix d’usage annuel, au même titre que le prix d’achat. Ce prix tiendrait compte de l’amortissement, calculé sur la période de garantie, et des consommables ou de l’entretien nécessaires lors d’une utilisation moyenne.
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