La fin des produits agricoles à bas prix

par Nono Ladette
mercredi 21 mars 2007

« On n’a pas de pétrole, mais on a des idées. » Vieille rengaine bien connue chez nous (même si elle est moins employée depuis que la France broie du noir). Bientôt, on dira : « On n’a pas de pétrole, mais on a du maïs. » Car l’époque des produits agricoles - comme celle des autres matières premières - à bas prix est en train de se terminer...

Rappelez-vous, en 1998, les investissements ont été grands pour améliorer la sécurité des approvisionnements énergétiques, la Chine et l’Inde ne se sont pas encore éveillées. Conséquence : un baril de pétrole vaut à peine 10$ ! La suite on la connaît : une longue et forte croissance mondiale et un appétit vorace des pays émergents en matières premières amènent le pétrole à se stabiliser autour de 60$ le baril. Peu imaginent aujourd’hui que le prix du pétrole rebaissera.

Regardons maintenant l’agriculture, sujet encore plus sensible que l’énergie car il ne conditionne pas notre confort mais notre survie. Malgré les mêmes facteurs qui tirent la demande, les prix sont restés bas jusqu’à présent, pourquoi ?

Dans la seconde moitié du XXe siècle, les pays qui en ont eu les moyens (principalement en Europe et en Amérique du Nord), ont massivement soutenu leur agriculture pour produire beaucoup et garantir ainsi leur indépendance alimentaire. Ils aident tellement leurs agriculteurs que ceux-ci se permettent de déverser à bas prix des tonnes de produits dans les pays pauvres. Au niveau mondial, le surplus est tel que la demande croissante n’a pas encore permis de relever les prix. Par comparaison avec le pétrole, nous sommes en 1998. Ou en 1999, parce que la hausse a commencé, déjà.
Si les prix du pétrole ont été multipliés par six entre l’équilibre d’une abondance relative et celui d’une Terre qui donne le maximum de ce qu’elle peut donner, les prix alimentaires peuvent-ils augmenter autant ? Ou plus ? Pour le savoir, intéressons-nous aux facteurs qui déterminent l’offre et la demande sur ce marché, en les comparant à ceux qui jouent sur les prix du pétrole.

L’offre est déterminée par deux facteurs : les surfaces cultivables et les rendements par hectare.

Les surfaces cultivables sur cette Terre, comme chacun le sait, sont limitées. La question est de donc de savoir s’il existe beaucoup de surfaces non cultivées qui peuvent le devenir ; et si toutes les surfaces actuellement cultivées ou cultivables le resteront. A l’échelle mondiale, les terres arables disponibles sans déforestation sont faibles. A l’inverse, avec les constructions urbaines qui s’étendent partout (par exemple, quand des champs sont remplacés par des parkings de supermarchés), les terres cultivables se réduisent. C’est notamment le cas en Chine.

Les rendements, qui ont énormément augmenté en un siècle grâce à l’utilisation d’engrais et de pesticides, peuvent-ils progresser encore ? A l’inverse, peuvent-ils être menacés par les changements climatiques en cours et à venir ? Probablement, dans beaucoup de pays pauvres, la mécanisation et la scientifisation des récoltes peuvent-elles aider à augmenter les rendements. Mais le réchauffement climatique menace : normalement, le froid de l’hiver tue les puces et autres parasites porteurs de maladies. Mais avec un hiver plus chaud de 2° que la moyenne, cette année, ce n’est pas le cas. 2007 nous montrera vite si les maladies peuvent détruire des cultures au point de réduire significativement la production. De plus, des champs cultivés intensivement donnent des rendements décroissants à long terme. Enfin, l’eau manque et va manquer de plus en plus.

Alors que la hausse des prix du pétrole a relancé les investissements en exploration-production et en raffinerie, l’augmentation des prix agricoles ne permettrait pas à la Terre de produire plus, tout simplement parce qu’elle est déjà proche de son maximum. L’offre est contrainte, elle augmentera peu.

La demande est déterminée par trois principaux facteurs : la population, le niveau de vie et les usages non alimentaires.

La population mondiale augmente de 70 millions d’individus par an, soit 1,4%.

Si la mondialisation a d’abord profité aux plus riches, elle a été l’occasion pour les Etats de se désendetter et elle profitera de plus en plus aux populations. Le niveau de vie moyen s’élevant, les hommes et les femmes élèvent leur niveau alimentaire : ils mangent plus, et plus de viande, par exemple.

Contrairement à la consommation de carburants et d’énergie, la planète ne diminuera que très peu sa consommation alimentaire, même si les prix augmentent.

Enfin, et c’est la bombe qui va amplifier la tendance de fond, les produits agricoles vont être de plus en plus utilisés comme des produits non alimentaires, que ce soit sous forme énergétique (biocarburants) ou sous forme de sous-produits industriels. Vous remarquerez que ceci est une conséquence de la hausse des produits pétroliers. Tout cela est très connecté.

Conclusion : nous ne sommes pas sûrs que la production suffira à nourrir 7 milliards de Terriens. L’offre est limitée, la demande augmentera fortement (peu d’entre nous décideront de manger moins, même si le pain vaut plus cher). Ceci ne pourra que se répercuter dans des prix qui augmenteront beaucoup plus que ceux du pétrole.

Ceci est une opportunité pour des pays capables de produire et d’exporter beaucoup de produits agricoles, comme les Etats-Unis ou la France, mais imaginez-vous les conséquences sur l’Afrique et les pays pauvres en général ? L’alimentaire représente moins de 15% du budget d’un Français, 25% pour un Européen de l’est, 1/3 pour un Chinois et plus de la moitié pour un Africain. Si les prix doublent, cela aura un impact non négligeable sur notre inflation et sur notre pouvoir d’achat (+15%, reste à voir en combien de temps) mais ce sera un tsunami pour les plus pauvres. Et, hélas, les malchanceux vivant dans les mauvaises régions souffriront vite de famines. Si les prix triplaient, c’est tout le continent africain qui retomberait dans une malnutrition, mais aussi l’ensemble des pays émergents qui seraient menacés. Si les prix décuplaient... je préfère ne pas en imaginer les conséquences.

Hélas il n’y aurait qu’une "issue" possible : si on ne limite pas la croissance de notre population, c’est la force des choses qui s’en chargera, à coups de famines et de pandémies ou de guerres. Ayant atteint les limites de ce que peut nous donner la planète, la solidarité mondiale en prendrait un sacré coup. A côté, les luttes de pouvoir pour sécuriser les approvisionnements de pétrole ressembleraient à des contes de fées.


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