La France a peur

par olivier cabanel
vendredi 19 août 2011

Cette phrase célèbre, prononcée par un Gicquel sur jouant l’émotion pour un crime, certes odieux, pouvait paraitre déplacée.

Mais aujourd’hui, la France, ou du moins une grande majorité de français a de bonnes raisons d’avoir peur.

C’est le parc vieillissant de nos 58 réacteurs nucléaires qui en est la légitime raison.

Il y a au moins 5 centrales nucléaires qui font craindre aux français qu’un accident majeur ne se produise sous peu dans notre pays.

Ce sont les centrales du Blayais, de Fessenheim, de Bugey et enfin celles du Tricastin et de Cruas Meysse sa voisine...

Celle du Blayais, inaugurée en 1983, a frôlé la catastrophe un certain 27 décembre 1999, où lors d’une tempête, qualifiée « tempête du siècle », le site se trouvant inondé, le refroidissement du réacteur se trouvant tellement problématique qu’il fallut déclencher le plan d’urgence interne, à tel point qu’Alain Juppé, maire alors de Bordeaux, avait été sur le point de faire évacuer la ville laquelle se trouve à  50 km de la centrale. lien

Comme l’affirme Hervé Kempf, « on est passé à 2 doigts de la catastrophe  ». lien

Après la catastrophe de Fukushima, un audit a été ordonné afin d’évaluer l’état de la sécurité de toutes les centrales du pays, et celle du Blayais est en première ligne. lien

Il a donc été décidé de remonter le niveau des digues, ce qui ne rassure pas la CLIN (commission locale d’information nucléaire), qui trouve la mesure insuffisante, et affirme qu’il faut absolument « que la route d’accès à la centrale soit mise hors d’eau », ajoutant qu’il faut réétudier le risque sismique. lien

Rappelons que 2 réacteurs de cette centrale fonctionnent avec du Mox, lequel est un mélange d’uranium enrichi, et de plutonium.

Depuis le mois de mai 2000 jusqu’à aujourd’hui, ce sont près de 50 « incidents » qui se sont produits dans cette centrale, allant de l’arrêt d’urgence d’un réacteur, à des rejets incontrôlés d’effluents radioactifs, en passant par l’indisponibilité des groupes électrogènes de secours durant 5 jours, ou par l’indisponibilité du turboalternateur de secours. lien

Que ce serait-il passé si ces deux dernières pannes s’étaient produites au moment de l’inondation ?

Pour Jean Pierre Dufour, professeur de physique nucléaire, qui évoque « l’imprévu majuscule », « on ne peut pas se cacher derrière des slogans du style « on a le nucléaire le plus sûr du monde » et ce qui s’est passé à Braud ne relève pas d’une défaillance dite normale (…) un jour ou l’autre il y aura une fusion d’un cœur de centrale en France ». lien

Quittons le Blayais pour Fessenheim.

Entrée en fonction il y a 34 ans, cette vieille centrale à mi-chemin entre Freiburg, la ville universitaire allemande, et Colmar pose une quantité de problèmes dont sa faiblesse en cas de séisme important,

Nathalie Kosciusko-Morizet, Fessenheim indique qu’elle est prévue pour résister à un séisme de 6,7 sur l’échelle de Richter, soit 0,5 de plus que celui qu’a connu la zone.

Or la base de ce calcul est plutôt fragile puisque ce séisme remonte au 12ème siècle et qu’on l’on cherche à savoir comment il ait pu être estimé si précisément.

De plus, cette marge de sécurité de 0,5 est totalement illusoire, car l’échelle de Richter est logarithmique : un séisme de 7 n’est pas « un tout petit peu plus puissant qu’un séisme de 6 : il se traduit par 10 fois plus d’amplitude et dégage 30 fois plus d’énergie (Lien) et donc une centrale qui résisterait à un séisme de 6,7 serait gravement endommagée s’il atteignait 7. lien

Depuis sa mise en service, la centrale a déjà connu 6 séismes allant de 3,4 à 6,5, mais de plus, le réseau « sortir du nucléaire » affirme que « EDF à falsifié des données sismologiques établies afin de s’éviter des travaux onéreux et pourtant indispensables pour la sûreté des centrales nucléaires  ». lien

Pourtant le tribunal administratif de Strasbourg à débouté les élus qui demandaient la fermeture du site pour cause de vétusté et de dangerosité, et une pétition ayant déjà recueilli 85 000 signatures, est lancée pour dire stop à l’exploitation du réacteur. lien

Quand à la liste des « incidents » qu’a connus cette centrale, celle que nous en propose l’ASN bien qu’elle soit sujette à caution, est déjà très révélatrice de l’état de délabrement de l’installation (lien) le dernier en date s’étant produit en avril 2011. lien

Ce n’est que 3 jours après que l’on a appris que 7 agents EDF ont été contaminés suite au « problème » survenu le 24 janvier 2004, incident qui a tout de suite été minimisé par la direction de la centrale, ce qui n’est pas une nouveauté. lien

Allons maintenant à Bugey, l’une des plus vieilles centrales française (1979) qui, ce qui est peu connu, comme toutes les centrales nucléaires, rejette une pollution radioactive lorsqu’elle est en fonctionnement normal (lien) et dans laquelle, le 28 juin dernier, 7 intervenants ont été « légèrement » contaminés sans que l’on puisse en expliquer la raison. lien

Plus récemment, la centrale a encore fait parler d’elle puisque des gravats radioactifs ont été déversés « par erreur » dans une décharge. lien

Elle est aussi menacée par deux évènements possibles, un séisme et la rupture du barrage de Vouglans qui la noierait sous 9 mètres d’eau, ainsi que l’explique Frédéric Boudouresque dans un article du « Progrès  ». lien

Allons à la centrale du Tricastin, ouverte en 1981 et qui a beaucoup défrayé la chronique ces dernières années (lien) à tel point qu’une évacuation de la région avait été envisagée. lien

Du rejet d’uranium de juillet 2008, qui a pulvérisé la limite règlementaire (lien) à l’accident de mai 2009 lors duquel 4 tonnes sont tombées d’une hauteur de 15 mètres dans le local ou se trouvait entreposé le couvercle de la cuve du réacteur, (lien) en passant par un « incident » de niveau 2 pour une usure prématurée de coussinets sur des groupes électrogènes de secours constatée en février 2011 (lien), l’activité de la centrale semble n’être qu’une longue suite d’accidents, (lien) ce qui n’avait pas empêché l’ASN (autorité de sureté nucléaire) de prolonger, en novembre 2010 l’exploitation de la centrale pour 10 années supplémentaires. lien

Cerise sur le gâteau, AREVA a refusé que des observateurs indépendants se joignent aux contrôleurs chargés d’inspecter la centrale. lien

Un mystère entoure le réacteur n°1, puisque après l’explosion et l’incendie du transformateur qui se sont produits le 2 juillet 2011, on constate qu’une imposante grue vient d’être installée à l’arrière des bâtiments turbines et alternateurs des réacteurs 3 et 4.

Or le réacteur n°1 était à l’arrêt depuis le 4 mai 2011 sans que l’on connaisse la cause de cet arrêt.

Il ne s’agit pas d’un arrêt programmé : celui-ci avait eu lieu du 3 juillet au 12 aout 2010, ce qui fait supposer que l’arrêt du réacteur le 4 mai pourrait être la suite d’un accident caché.

Le réacteur étant à l’arrêt, le transformateur ne pouvait être « alimenté » et on ne comprend pas les raisons de son explosion.

Il faut lire les prescriptions complémentaires de l’ASN, pour comprendre qu’il y a un (ou plusieurs) problèmes, puisque l’exploitant à jusqu’au 31 décembre 2012 pour répondre aux prescriptions demandées

Il y est question d’alarmes, de maitrise des risques d’accident…. lien

Nous sommes donc une fois de plus dans l’opacité chère au petit monde du nucléaire. lien

La C.A.N (coordination Anti-nucléaire) du Sud-Est a une explication : elle évoque la défaillance sur le réseau d’alimentation électrique principal, lequel aurait provoqué le blocage d’un groupe de grappes de contrôle, et conduit à arrêter manuellement le réacteur.

Suite à différentes manipulations, il y aurait eu montée en pression du circuit primaire, entrainant l’ouverture d’une soupape de sûreté, puis la rupture d’une membrane de protection, provoquant une fuite d’eau primaire, et la contamination du sol à un niveau de 60 Bq/cm2 sur trois étages du bâtiment réacteur.

La C.A.N. affirme qu’il y a eu là les prémices d’un déroulement inéluctable et emblématique d’une potentielle explosion atomique. lien

Entre le béton des murs éclaté, les lacunes en matière de surveillance, et l’absence de procédures dans le cas d’une indisponibilité prolongée d’une source principale externe, la C.A.N Sud-Est est plus que jamais légitime lorsqu’elle demande la fermeture immédiate de la centrale. lien

La centrale de Cruas Meysse ferme la marche avec ses 33 ans bien sonnés, et comme l’a constaté « Next-up organisation », l’enceinte de confinement est fissurée (lien) : sur cette photo, on aperçoit les ouvriers au travail et il est possible que le séisme du 3 aout (3,8 ou 4,5 ( ?) sur l’échelle de Richter) n’ait rien arrangé. lien

Si d’autres centrales auraient pu être montrées du doigt, soit à cause de leur vétusté, soit suite aux différents « incidents » qui émaillent leur parcours, une certitude s’impose : toutes ces centrales représentent un danger potentiel et la grande majorité des français se trouve menacée comme on peut le constater sur cette carte.

Heureusement, il semble que depuis Fukushima, l’opinion mondiale sur les dangers du nucléaire se réveille enfin. lien

Et comme dit mon vieil ami africain : « si tu vis dans la peur, tu ne vis qu’à moitié  ».

L’image illustrant l’article provient de « gurumed.org »


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