La nature, amie ou ennemie ? Ou docteur Jekyll et mister Hyde ?

par écologie réaliste
mardi 20 décembre 2016

La nature, amie ou ennemie ? La nature est amie, elle est corne d'abondance et sacre du printemps. Mais elle est aussi tempêtes, ouragans, récoltes ravagées, et le général hiver. La nature serait-elle docteur Jekyll et mister Hyde ? Faut-il alors respecter toujours le docteur Jekyll, ou peut-on se permettre aussi de se défendre de mister Hyde ? Respecter la nature, mais aussi s'en défendre ; en utilisant les moyens des hommes, leur intelligence, leur science, leurs techniques.

Les réponses à ces questions abstraites déterminent en grande part nos choix dans nombre de débats très concrets sur des techniques qui font déjà notre présent et feront encore plus notre futur : les pesticides de synthèse, les OGM, le nucléaire, etc.

Des chapelles s'opposent à ces techniques. Mais on constate un phénomène curieux : ces différentes techniques n’ont rien de commun entre elles, et pourtant, ceux qui rejettent l’une rejettent aussi les autres 1 ; aussi différentes qu'elles soient les unes des autres, elles sont amalgamées dans la même opposition farouche. Il y a donc quelque part quelque chose qui les réunit… En effet, elles ont un point commun : elles sont toutes inventions des hommes pour se défendre des imperfections et insuffisances de la nature.

Voilà la racine de l'opposition à ces techniques : les utiliser, c'est admettre, avouer, que la nature n'est pas parfaite, et que les inventions des hommes permettent d'améliorer le sort qu'elle nous fait.

« Louer [les techniques des hommes] et d'autres similaires, c'est admettre qu'il faut soumettre les voies de la nature et non pas leur obéir ; c'est reconnaître que les puissances de la nature sont souvent en position d'ennemi face à l'homme, qui doit user de force et d'ingéniosité afin de lui arracher pour son propre usage le peu dont il est capable, et c'est avouer que l'homme mérite d'être applaudi quand ce peu qu'il obtient dépasse ce qu'on pouvait espérer de sa faiblesse physique comparée à ces forces gigantesques. Tout éloge de la civilisation, de l'art ou de l'invention revient à critiquer la nature, à admettre qu'elle comporte des imperfections, et que la tâche et le mérite de l'homme sont de chercher en permanence à les corriger ou les atténuer. » (Sur La Nature, John Stuart Mill (1806-1876))

Des chapelles refusent de s'avouer les imperfections de la nature. Clément d’Alexandrie, Père de l'Église, vers l'an 200, refusait déjà toute intervention dans le cours naturel des choses :

« la coquetterie est une insulte au créateur puisqu’elle vise à améliorer ce que Dieu a fait » 2.

Les fils spirituels de Clément répètent le même thème siècle après siècle, en l'adaptant aux mythes et phobies du moment. Aujourd'hui ils tonnent contre

"les pesticides qui sont une insulte à la Création puisqu’ils visent à améliorer ce que la nature fait".

Catastrophes naturelles, ou contraception ?

Le problème de la surpopulation illustre de façon cruelle cette controverse "nature" contre "œuvres des hommes". Vers l'an 200, Tertullien de Carthage, autre Père de l'Église, déplorait – déjà ! – la surpopulation : « Nous sommes un fardeau pour le monde [...] la nature va nous manquer. » Toutefois, Tertullien notait que la nature, prévoyante, avait créé des "remèdes", 100 % naturels, pour contenir la population :

« Il est bien vrai que les pestes, les famines, les guerres, les gouffres qui ensevelissent les cités, doivent être regardés comme un remède, espèce de tonte pour les accroissements du genre humain. »

Aujourd'hui, il existe un autre "remède" pour contenir les "accroissements du genre humain" : la contraception, efficace et sans drame. Mais, patatrac !, la contraception est technique des hommes, née de la chimie – une des pires techniques disent quelques chapelles ; la contraception ne serait pas naturelle, pas aussi "naturelle" qu’une épidémie, un tremblement de terre, une famine... et donc ces chapelles refusent cette contraception non naturelle.

Carences naturelles, ou riz doré OGM ?

On retrouve le même genre de scénario en bien d'autres domaines. Par exemple la vitamine A. Des populations souffrent de carence en vitamine A ; selon l'OMS, 250 millions d'enfants de moins de cinq ans sont touchés. En éliminant cette carence, on éviterait la mort de un à deux millions d'enfants par an. Le "riz doré", plus riche en vitamine A, permettrait de réduire et peut-être éliminer cette carence. Mais, patatrac !, le riz doré est lui aussi œuvre des hommes, né de la technique OGM – une des pires techniques disent quelques chapelles. Le riz doré ne serait pas naturel, pas aussi naturel qu'un enfant qui meurt par manque de vitamine A... et donc ces chapelles, Greenpeace par exemple, refusent le riz doré 3.

Selon ces chapelles, les OGM produiraient des tarés de naissance, qu'il faudrait exterminer.

En août 2013, des Vandales Volontaires, des faucheurs volontaires, ont exterminé un essai de riz doré aux Philippines.

La nature ? Mais qu'est-ce que c'est ?

Ces quelques exemples montrent que des souffrances très concrètes sont dédaignées au nom de considérations très abstraites telles que : la nature est-elle parfaite ? Peut-on oser améliorer le sort que la nature nous fait, oser combattre famines et maladies ? Peut-on oser les techniques des hommes, la contraception, les pesticides, le riz doré OGM ?

Le vrai débat sur les nouvelles techniques n'est pas un débat technique ; il porte en réalité sur l'idée de nature que nous avons les uns et les autres, l'idée de la place des hommes dans la nature, de la place des techniques des hommes.

Le problème est que des chapelles ne veulent voir dans la nature que le docteur Jekyll, refusant de s'avouer qu'elle est aussi mister Hyde. Elles considèrent que les imperfections constatées ne sont pas de la nature, mais un résultat de l'action des hommes. A force d'entendre ces discours partiaux, on finit par ne plus savoir ce que sont réellement la nature et le naturel.

 

L'agriculture et l'élevage, est-ce "naturel" ? Quel besoin avaient-ils, les premiers agriculteurs, d'inventer les artifices de l'agriculture et de l'élevage, alors qu'ils vivaient déjà "naturellement" de chasse et de cueillette ?

La médecine, avec son arsenal chimique, ses radiothérapies, est-elle "naturelle" ? Quelques chapelles considèrent que non, ne faisant confiance qu'à diverses médecines dites "naturelles".

Est-il naturel de manger de la viande ? Quelques chapelles considèrent que non.

La vaccination est-elle naturelle ? Quelques chapelles considèrent que non et la refusent.

La contraception est-elle naturelle ? Quelques chapelles considèrent que non et la refusent, et même la combattent.

Les OGM sont-ils naturels ? Quelques chapelles considèrent que non, les refusent, et même les combattent.

La nature qui ronge les monuments d'Angkor Vat, est-ce naturel ? Les monuments d'Angkor Vat sont-ils naturels ?

La musique est-elle naturelle ? Quelques chapelles considèrent que non, la refusent, et même la combattent.

Une hanche artificielle est-elle naturelle ?

La Joconde est-elle naturelle ?

La nature, amie ou ennemie ?
Les hommes, destructeurs ou bâtisseurs ?
La science, espoir ou désespoir ?

 

1 Par exemple, le site de l'Association Générations Futures ; son objectif déclaré est de combattre les pesticides de synthèse ; mais il combat aussi les OGM, le nucléaire... qui n'ont rien à voir avec cet objectif.

2 Les Créatures étant ce qu'elles sont, font mine de ne pas entendre les sermons de Clément. Sephora, L'Oreal, etc., ont peu à craindre de cette contre-publicité.

3 En 2016, plus de 100 prix Nobel ont signé une lettre "À l’attention des dirigeants de Greenpeace, des Nations Unies et des Gouvernements à travers le monde". Extraits :
« NOUS APPELONS GREENPEACE à cesser sa campagne contre le riz doré en particulier et contre les cultures et les aliments améliorés grâce aux biotechnologies en général. […]
Combien de pauvres gens dans le monde doivent mourir avant que nous considérions cela comme un crime contre l’humanité ? »


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