Le bal des hérons
par C’est Nabum
lundi 18 mars 2013
Le bonimenteur émerveillé ...
Leur retour nous enchante …
Ils peuvent dire qu'ils nous ont manqués. Ils sont nos compagnons ligériens, ils ont élus domicile sur le dhuit qui délimite notre chenal de navigation. Durant quelques mois, nous étions comme des âmes en peine. L'ami castor ne se montrait plus, les hérons avaient taillé la route vers des cieux plus cléments et les sternes avaient elles aussi joué les filles de l'air meilleur ailleurs.
Il ne restaient que les mouettes et leur étrange manège. Elles se regroupent et à la nuit venue, se laissent glisser lentement au fil du courant. Arrivées à proximité du pont Royal, elle se réveille, battent des ailes et volent au ras de l'eau pour revenir à leur point de départ. La boucle semble ne jamais s'arrêter, spectacle fascinant de ce tourbillon blanc, de cette nuée ailée qui a retrouvé le mouvement perpétuel.
Les cormorans eux aussi traînaient leur sombre carcasse. Goinfres, ils pêchent de leur bec crochu jusqu'à ne plus pouvoir s'envoler. Ils sont alors lourds et leurs efforts pour décoller deviennent pathétiques. Nous ne les aimons guère, ils sont si voraces, ils ne sont pas natifs du pays. Leur invasion a causé bien des saignées dans la troupe halieutique.
Les corbeaux eux encore se plaisent sur nos quais. Compagnons indissociables des abus de l'homme, ils se nourrissent de nos immondices. Pour eux, aucun soucis, leur source d'approvisionnement n'est pas prête de tarir. Ils auront toujours quelque chose à se mettre sous le bec, les humains ne sauront jamais être propres quand ils sont au bord d'une rivière …
Non, vraiment Hérons et sternes ont, dans les airs notre préférence. Alors quand nous avons vu revenir nos si malhabiles échassiers, nous nous sommes précipités pour assister au bal des la réfection des nids. Ils reviennent au même endroit, cette petite bande de terre entre le chenal et la petite Loire. Une centaines de mètres ou les arbres sont leurs maisons.
Par une froid de canard qui ne semblait pas déranger nos amies les oies, elles aussi en préparatif pour la couvée suivante, les hérons allaient et venaient en un ballet incessant. Un envol lourd, maladroit, inquiétant est le signal de la mise en action. On craint que les larges ailes se prennent dans les branches alentour. Pourtant, il s'envole et devient subitement un merveilleux planeur, si avare de ses efforts, si élégant dans jolis rond aériens au dessus de l'eau.
Il disparaît au loin, d'autres reviennent. Mouvement incessant qui fait de nous des enfants scotchés devant un spectacle qui les fascinent. Le vent glacial qui nous vient du nord est ne nous contraint pas à rebrousser chemin. Nous restons, admiratifs, frigorifiés mais béats devant tant de grâce et de fragilité, d'obstination et de force, de beauté et d'opiniâtreté.
Ils vont, ils viennent. Rapportant au bout du bec une modeste brindille qui viendra renforcer le nid qui a résister à l'hiver. Ils volent au dessus de nos têtes, font à nouveau une large boucle d'approche pour venir se poser en une cambrure étonnante. Les pattes qui dans le vol, sont le prolongement parfait d'un corps fuselé, deviennent d'encombrantes fourches qu'il faut mettre en avant. Le corps se cabre, les pattes ressemblent à un train d'atterrissage d'un Tupolef si peu gracile !
Celui-là se pose quand cet autre s'envole. Nous ne nous lassons pas de cette chorégraphie dont nous sommes les spectateurs privilégiés. Le capitaine ne cesse de photographier, la lumière n'est pas excellente, qu'importe, il se moque de ses doigts gelés, il prend des clichés incertains qu'il faudra triller.
Soudain des cris, des mouvements confus viennent interrompre l'harmonie du moment. Les corbeaux sont déjà aux aguets. Ils se feront un plaisir de se goinfrer des œufs, ils viennent annoncer cette sournoise menace. Les oies sur les pierre disjointes de notre vieux dhuit, ajoutent les criailleries à ce brusque épisode belliqueux.
Les corbeaux s'en vont. Il n'est pas temps de se lancer dans la razzia funeste. Ils sont simplement venus rappeler la terrible loi de la nature, repérer les lieux de leurs futurs larcins. Les hérons reprennent leur ronde, indifférents ou impuissants, inconscients ou bien philosophes. Ils n'en sont que plus remarquables encore. Il fait nuit noir, nous les quittons à regrets. Ils sont là pour de longues semaines, nous n'aurons de cesse que de suivre l'aventure de la vie, sur le fait de nos arbres.
Héronnièrement leur.
Photographies de Bertrand Deshayes