Le BIO peut-il nourrir un monde « développé » ?

par Mich K
vendredi 14 septembre 2012

Attention ! Sujet sensible, qui déchaine toutes les passions dès qu’on évoque l’idée d’une autre agriculture : Pourrait-on nourrir l’Humanité demain avec le BIO ? Question à laquelle j'ajoute la notion du "développement" (saint Graal de l'espèce humaine) qui a son importance à ce sujet...

Un modèle agricole insoutenable

Nul besoin de faire un roman aux lecteurs d'Agoravox sur les méfaits d’une agriculture désormais hyper mécanisée et productiviste, et ce depuis plus de 40 ans…
Entre les algues vertes en Bretagne, les nitrates, les pesticides qui nous empoisonnent à petite dose, l’explosion des cancers, la dramatique mort biologique des sols (les vers de terre passés en 50 ans de 2 tonnes à l’hectare à 100kg) et la baisse continue de la biodiversité… nul besoin d’être savant pour percevoir qu’il y a un problème !
L’énergie et le pétrole bon marché nous ont permis de développer cette agriculture intensive moderne qui a vidé nos campagnes, et qui nécessite souvent quelques 5 à 10 calories d’énergie fossile pour nous amener 1 calorie dans nos assiettes à l’arrivée. A partir de là, tout le monde peut comprendre que demain, le prix des énergies et du pétrole grimpant fortement, ce modèle ne sera plus viable et qu’il y a donc urgence à changer de cap (ou de PAC si vous préférez !).

« Viva l’agriculture Bio ! Moins de productivisme, plus de paysans ! » Cela parait assez évident pour nombre d'entre nous… C’est pourtant loin d’être évident pour tout le monde, et en particulier pour la FNSEA ou nos dirigeants politiques qui continuent tête baissée vers le mur !

La fausse problématique des rendements

La question qui revient le plus souvent, quant on évoque l’idée d’une agriculture paysanne et Bio, concerne les rendements : « Vous êtes bien beaux les écolos, mais avec votre Bio, vous croyez qu’on pourra nourrir 9 milliards d’Humains en 2050 !? ».
S’en suit en général des empoignades entre les sceptiques et les pro-Bio sur les rendements de telle ou telle culture ! Ca dure des plombes, c’est des batailles de chiffres, on n’y comprend pas grand-chose, et au final on en ressort sans réponse bien claire.
C’est là que « le Mich » sort sa botte secrète en affirmant que pour lui, le sujet central n’est pas celui des rendements ! Affirmation que je vais tenter de vous expliquer…

Des rendements… mais pour produire quoi ?

Les batailles de chiffres sur les rendements font souvent ressortir ce chiffre de la FAO qui estime que la Terre pourrait nourrir 12 milliards d’Humains. Aujourd’hui nous sommes 7 milliards et 1 milliards souffrent de la faim, ce qui fait ainsi dire à Jean Ziegler que « chaque enfant mort de faim est un enfant assassiné » !
Mais alors d’où vient le problème ? De la spéculation sur les matières agricoles !? Des agrocarburants qui monopolisent des terres pour nourrir les voitures des riches plutôt que l’estomac des pauvres !? Un peu oui, mais pas seulement…
Bio ou conventionnel, pour nourrir l’Humanité aujourd’hui et demain, le sujet est à mes yeux moins celui des rendements, que celui de notre régime alimentaire, excessivement carné dès qu’un pays se dit « développé ».

Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes !

La production mondiale actuelle assure environ 300 kg équivalent céréales /humain.
Un végétarien consomme ainsi environ 200 kg équivalent céréales par an (autant que pour 1 plein de 4x4 aux agro-carburants), tandis qu’un Français moyen en consomme indirectement 900 kg. Ceci car pour obtenir une calorie animale, il faut, selon les cas, 4 à 10 calories végétales (pour nourrir l’animal).
Ainsi, Hubert Reeves fait remarquer que si toute la planète mangeait autant de viande que les pays riches, nous ne pourrions nourrir que 1/3 de l’humanité.
Notre consommation de viande a été multipliée par 3 en un siècle en France et a cru de 60% ces 40 dernières années. Un Français moyen consomme 215g de viande /jour, un américain 257g /jour, tandis qu’un congolais peine à en trouver plus de 11g /jour.
Plus d‘un tiers des cultures de céréales mondiales servent à nourrir le bétail des pays riches ou émergents. 60% du soja sud américain est ainsi destiné à l’alimentation du bétail du Nord.
Entre 65 et 70% de la surface agricole en France sert à nourrir le bétail (c’est 75% aux USA !)
1kg de bœuf nécessite par ailleurs 15000L d’eau contre 500L pour 1kg de pommes de terre.

Comme on peut le constater sur ce graphe, c’est en particulier la viande rouge qui a un impact démesuré. Et c’est vrai aussi bien sur le climat que sur l’eau et les terres mobilisées.

Le « développement » en débat

Bref tout cela pour pointer, vous l’aurez compris, cette dérive qui accompagne depuis toujours ce que l’on a coutume d’appeler le « développement économique » : Les rendements liés au productivisme agricole et notre pouvoir d’achat en hausse (tous deux liés à l’énergie fossile abondante et bon marché) nous ont permis de manger plus de viande…
Et on ne s’en est pas privé ! Celle-ci s’est industrialisée d’une part, et est devenue doucement mais surement centrale dans nos menus (avec ses « accompagnements » comme c’est si bien dit !).
D’ailleurs c’est aussi ce que font aujourd’hui les Chinois et autres pays émergents… Mais pouvons-nous leur jeter la pierre, nous qui importons pour partie des céréales pour nourrir notre bétail et faisons partie des plus gros « mangeurs » du globe !?

Dans ce contexte de « développement » allant de paire avec une alimentation toujours plus carnée, je doute fort que le Bio, ni même le conventionnel d’ailleurs, ne puissent nourrir demain 9 milliards d’humains de manière durable. Je ne vois pas, dans ce contexte, comment éviter la fuite en avant productiviste qui finira d’achever les terres (et les mers d’ailleurs, car le débat est le même pour le poisson !) à l’échelle du globe !?
Le vrai débat est là, à mon sens. Si nous voulons nourrir l’Humanité sans surexploiter notre écosystème, il y a urgence à désacraliser la viande dans nos menus, et en 1er lieu dans nos pays développés qui donnent, une fois encore, le mauvais exemple !

Changer nos habitudes… et passer le mot !

Aux USA (modèle de « développement » par excellence), il se mange 1 million d’animaux /heure, soit 24 millions /jour. Si les 300 millions d’américains venaient à réduire de moitié cette consommation et que tous les immenses champs de maïs étaient transformés en potagers Bio, combien de personnes pourraient être nourries sainement !?
Même question en France, où 66% des terres agricoles nourrissent le bétail…

Vu sous cet angle, la question des rendements parait secondaire. Manger moins de produits animaux libérerait tellement de surfaces que l’agro-écologie pourrait sans soucis nourrir l’Humanité, et ceci sans détruire notre capital Terre !
Serions-nous en moins bonne santé en mangeant 30 ou 50% de produits animaux en moins !? Rien n’est moins sûr quand on sait qu’aux USA l’alimentation est en passe de devenir la 1ère cause de mortalité (via l’obésité), et quand on observe la hausse continue des maladies cardio-vasculaires dans nos pays « développés »…
Au contraire, en consommer moins souvent nous permettrait alors de les acheter de meilleure qualité et/ou Bio, chez un boucher plutôt qu’en grande surface par exemple...

Qui veut lutter contre les famines dans le monde et promouvoir l’avènement d’une agriculture soutenable peut donc commencer par s’interroger sur ses habitudes alimentaires… Et surtout faire passer le mot comme je viens de le faire !


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