Le bois énergie, ou l’art de résoudre la querelle des anciens et des modernes

par mortimer
mardi 19 décembre 2006

Les mouvements de mode ont ceci de particulier qu’ils surgissent brutalement dans les pratiques quotidiennes du plus grand nombre, sans crier gare, et connaissent, après un plus ou moins long laps de temps, un phénomène de ringardisation aussi implacable que celui qui les éleva au pinacle. Les nouvelles sources d’énergie dites renouvelables n’échappent pas à la règle, à moins qu’elles ne réussissent, comme le bois énergie, à s’appuyer sur de nouveaux ressorts technologiques à même de séduire les politiques... et de garantir leur pérennité.

Le bois, une vieille histoire d’amour

En des temps où l’humanité ne se posait de question que de survie, c’est-à-dire se préoccupait de se nourrir et de ne pas servir elle-même de festin à la faune sauvage, alors toute puissante, le bois était bien plus qu’une énergie (la seule) : la véritable source du bonheur ! Non seulement il permettait de cuire et de chauffer côtelettes de mammouth et consommés d’écorce à la sauce habilis, mais, de surcroît, il apportait ce bien précieux entre tous : la douce chaleur du foyer.

Source d’énergie universelle durant des millénaires, il fallut attendre l’usage de la houille, puis, quasiment au même instant à l’échelle de l’histoire de l’humanité, celui du pétrole, pour que les énergies fossiles détrônent définitivement le bois, croyait-on, au moins dans les pays industriels. Comme source d’énergie, le bois ne devait plus satisfaire que quelques arriérés de la civilisation dont on se demandait alors, un peu comme on se dit aujourd’hui de quelques asociaux qui se refusent à commencer leur journée par la lecture de leur e-mails : comment peuvent-ils se satisfaire de ce mode de chauffage archaïque, pas même efficace et à l’origine de cette fameuse corvée chère à tant de moniteurs scouts ?

Retour à la terre, charme discret de la campagne d’antan, bref autant de "retours" qui tinrent quelque temps le rôle de catalyseurs d’un retour en force du bois comme moyen de chauffage alternatif et quelque peu désuet, dans tous les pays économiquement développés. Notons au passage que ce mouvement s’accompagnait, à l’échelle du monde, d’un usage croissant du bois comme énergie de cuisson des aliments, participant largement au phénomène de déforestation et de désertification dans la plupart des pays pauvres de l’hémisphère Sud.

En tant que vecteur, parmi d’autres, de la révolution énergétique de la fin du XXe siècle, le bois devait lui aussi connaître un retour en force dans le cadre d’un usage plus maîtrisé, comme moyen de chauffage, rentable sur le plan énergétique, du foyer moderne. Ainsi la France, premier pays consommateur de bois énergie en Europe, connut un déploiement sans précédent de ce mode de production d’énergie calorifère qui porta le nombre de résidences "équipées au bois" à des sommets : six millions de logements individuels français chauffés au bois (soit un ménage sur deux), le plus souvent en associant ce mode de production de chaleur à une autre source d’énergie, notamment électrique ! 230 000 appareils de chauffage au bois commercialisés chaque année !

Usage du bois de chauffage : halte au feu !

Le phénomène connaît donc depuis une petite dizaine d’années une croissance exponentielle en Occident, phénomène qui conduit certains à tirer aujourd’hui la sonnette d’alarme. Ainsi, le gouvernement québécois, sur son site officiel, s’interroge sur le "prix à payer" après un tel succès (www.mddep.gouv.qc.ca/air/chauf-bois, Mais à quel prix ?) : "Qu’elles proviennent d’un poêle à bois, d’un foyer ou d’un feu de camp, les fumées qui s’en dégagent ne sont pas aussi « inoffensives » qu’on voudrait bien le croire". Le constat a, en effet, de quoi inquiéter : "Selon Environnement Canada, un poêle à bois non certifié émet autant de particules fines dans l’atmosphère en neuf heures qu’un poêle certifié fonctionnant soixante heures ou une automobile de type intermédiaire parcourant 18 000 km en un an", précise l’article consacré à la question du "coût écologique" réel de certaines installations.

C’est que les faits parlent d’eux-mêmes : "Monoxyde de carbone (CO), composés organiques volatils (COV), particules fines (PM2,5), oxydes d’azote (NOx) et hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). La fumée dégagée par la combustion du bois est présente à l’extérieur comme à l’intérieur des maisons". Selon des chiffres avancés par l’organisme gouvernemental canadien Environnement Canada, dont la mission est "d’aider les Canadiens à entrer en communication, à échanger de l’information et à partager des connaissances afin d’être en mesure de prendre des décisions en matière d’environnement", la combustion du bois en secteur résidentiel serait même à l’origine d’un peu moins de la moitié des particules contaminantes toxiques d’origine humaine au Québec (voir schéma).

Développement des nouvelles technologies dans la filière bois énergie

Ce chiffre particulièrement alarmant, pour inquiétant qu’il soit en ces temps de disette pétrolière, devrait cependant diminuer assez rapidement, tant la mise en application des progrès portant sur l’amélioration du rendement énergétique des installations collectives et individuelles est encouragée par de nombreux Etats qui ont décidé de prendre en main le destin de la filière bois énergie (et celui de leur environnement, par la même occasion...). Les gouvernants ne sont donc apparemment pas prêts à retenir n’importe quelle idée en matière d’énergie, au simple prétexte qu’elle permettrait d’économiser la fameuse "facture pétrolière"...

l’ITEBE (Institut des bioénergies), institution professionnelle française et internationale créée en 1997, qui intervient comme outil de promotion et de soutien pour les acteurs des filières bioénergies, signale ainsi sur son site (www.itebe.org) les critères de rendement énergétiques des appareils de chauffage que les fabricants s’engagent à fournir en signant la charte "Flamme verte" qu’elle promeut : "Les entreprises signataires de la Charte s’engagent à commercialiser des appareils modernes et économiques (...), apportant sécurité et performances énergétiques et environnementales. Les inserts, foyers fermés et poêles mixtes ou transformables bénéficiant du label Flamme verte, contribuent à économiser l’énergie, par un rendement énergétique minimum de 65 % (rendement énergétique = rapport entre l’énergie produite et la consommation de combustible)"...

En France, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) soutient la démarche de l’ITEBE qui présente la particularité de viser, avec un succès croissant, tous les pays de tous les continents... D’autres expériences, également soutenues par l’Ademe, sont menées en région et fournissent des résultats encourageant (voir article Bois énergie sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bois_%C3%A9nergie).

Dans cet article, l’auteur montre en effet combien "les différentes applications du bois énergie se caractérisent par leur rendement. Les dernières générations de matériel permettent des rendements (...) supérieurs à 90%". On notera ainsi l’utilisation de techniques très pointues comme les réseaux de chaleur (transport de chaleur à plusieurs clients à partir d’un point de production unique) ou la cogénération (combinaison de ressources énergétiques fossiles et renouvelables pour la production d’énergies) qui, associées dans des usages collectifs ou particuliers tels que des inserts fermés de cheminées ou des chaudières de cheminées, font bondir le rendement énergétique du bois de 15% (rendement d’une cheminée ouverte) à... 95% (rendement d’une chaudière à granulés de bois ou d’un réseau de chaleur).

Bois-énergie : combinaison de savoir-faire technologiques et de volontés politiques

Si, comme le montre l’étude d’Environnement Canada citée au début de notre article, le chauffage au bois résidentiel peut être une source importante de pollution atmosphérique s’il n’est pas pratiqué au moyen d’appareils modernes et contrôlés, il n’en demeure pas moins l’une des solutions de substitution aux énergies fossiles le plus en vue. Ce plébiscite est en grande partie dû à une efficacité calorifère remarquable que des efforts technologiques sans précédent ont peu à peu poussée à son maximum. Mais gageons que le politique aura sans doute perçu qu’outre l’argument "environnemental" dont la filière bois énergie aura su se parer, celle-ci s’offrait à lui comme un remarquable vecteur d’application, extraordinairement et "ataviquement" populaire, des engagements internationaux pris il y a quelques années, lors d’un sommet, à Kyoto, qui réunit alors toutes les meilleures intentions d’un monde malade de son énergie.


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