Le Club de Rome avait raison
par Henry Moreigne
jeudi 13 août 2015
C'est devenu ce qu'on appelle dans la presse "un marronnier". Pas un arbre mais une info récurrente qui vient meubler des colonnes en soif de remplissage. Ce 13 août 2015 correspond à ce qu'on appelle désormais "le jour du dépassement". Une formule gentillette pour un fait inquiétant. En moins de huit mois, l’humanité a déjà consommé toutes les ressources naturelles renouvelables que la planète peut produire en un an. De fait nous contractons de façon invisible une dette écologique jusqu'au 31 décembre. Les dettes financières ont ceci de commun avec les dettes écologiques qu'elles se cumulent et qu'à un moment, l'addition finit par arriver. Une différence notable cependant les différencie. On peut renégocier, étaler ou effacer une date financière. Mère nature n'est pas aussi arrangeante.
Sauf que l'anomalie n'a pas vocation à durer aussi longtemps que… les impôts par exemple.
Homo homini lupus est. On sait depuis les Romains que l'homme est un loup pour l'homme. Mais pas seulement. Notre étrange espèce peut s'enorgueillir de quelques faits d'arme. Comme, avoir entraîné en seulement 40 ans la disparition de plus de la moitié des animaux sauvages de la planète et ce n'est pas le lion Cécil qui dira le contraire. Comme continuer à gaspiller avec une rare désinvolture les ressources naturelles et à saccager les écosysytèmes.
La pente est là et l'on glisse dessus, allègrement, de plus en plus vite, année après année. La date du dépassement avance de trois jours par an, en moyenne, depuis 1970. Dernièrement, c'est Ugo Bardi dans un rapport publié récemment en français, "Le Grand pillage", qui s'inquiétait du déclin des ressources minérales que la Terre a mis des centaines de millions d’années à former. "Nous menons une guerre contre la planète que nous allons forcément perdre" estime l'universitaire Italien qui fonde tous ses espoirs sur l'économie circulaire.
L'insouciance de nos contemporains sera jugée sévèrement par l'Histoire. Outre la cupidité des affairistes qui ont pris le pouvoir, elle peut s'expliquer aussi par une foi indéfectible dans un progrès technique qui nous permettrait de réparer nos erreurs. La mythologie grecque nous enseigne pourtant la prudence. On sait ainsi ce qu'il advint de Dédale, l'ingénieur du roi Minos et des évènements en chaîne qu'il déclencha et qui firent son malheur.
Capable du pire et du meilleur, l'homme est parfois doté d'une rare acuité. On connaît les visionnaires politiques, espèce également en voie de disparition, beaucoup moins les visionnaires tout court. L'Italie n'est pas seulement la patrie de Léonard de Vinci. Elle abrite aussi l'Academia nazionale des Lincei, l'Académie nationale des Lynx, fondée en 1603 à Rome en référence à un animal réputé pour sa vision juste et lointaine. C'est elle qui accueille un 6 avril 1968, à l'initiative d'Aurélio Peccei un industriel humaniste et ancien résistant, une vingtaine de personnes au profil hétérogène, pour procéder en toute simplicité à un remue-méninges de haut vol sur le désordre qui règne alors sur la planète.
Le Club de Rome est né. Son objectif est simple : lancer des idées, bonnes ou mauvaises pour mieux appréhender les transitions profondes qui affectent l'humanité.
On connaît la suite. En 1972 est publié le rapport "Les limites de la croissance" qui découle d'une étude de 18 mois menée par une équipe du MIT dirigée par Denis Meadows. Dix millions d'exemplaires seront vendus. La force de l'ouvrage, c'est qu'il dit en mots simple une vérité dérangeante : si rien ne change, l'exploitation forcenée de la planète conduira à un effondrement de la société. Une vérité pressentie en leur temps par Ricardo et Malthus.
Las, on peut se demander à quoi sert d'avoir raison trop tôt si c'est sans effet. Quarante trois ans plus tard, au bord du précipice, les choses semblent vouloir bouger. La COP 21 qui se tiendra à Paris sera peut être l'occasion derrière les grands discours d'arrêter quelques décisions concrètes. Mais déjà, dans les esprits, le basculement s'opère.
Dans notre société judéo-chrétienne, malgré la déchristianisation qui s'opère, la parole du Pape a encore un certain poids. Et pour une fois l'évêque de Rome ne manque pas de courage. Dans son encyclique Laudato si’ sur l’écologie humaine présentée le 18 juin à Rome, le pape François ne mâche pas ses mots, n'hésitant pas à stigmatiser "une écologie superficielle", "un certain assoupissement et une joyeuse irresponsabilité", "un comportement évasif qui permet de maintenir nos styles de vie et de production".
Mais le souverain pontife va plus loin. "J'adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l'avenir de la planète" et, de pointer "la soumission de la politique à la technologie et aux finances qui se révèle dans l'échec des sommets mondiaux sur l'environnement" mais aussi, la fragilité d'un environnement sans défense "par rapport aux intérêts du marché divinisé, transformés en règle absolue".
Avec un tel avocat, aussi bien placé, on est en droit d'attendre un miracle.