Le film « Demain » : oł sont les solutions ?

par Bertrand Cassoret
samedi 30 juillet 2016

J’ai enfin vu le fameux film « Demain ». Moi qui suis préoccupé par les questions environnementales, qui m’inquiète des pollutions diverses, du réchauffement climatique, du manque futur de ressources en tout genre et surtout d’énergie, j’étais impatient de découvrir des solutions pour Demain.

 

Les auteurs du film font le tour du monde à la recherche de bonnes idées. Un peu de pollution en plus avec leurs voyages en avion, voiture, leurs nuits à l’hôtel, leurs appareils électroniques... Admettons puisque c’est pour la bonne cause.

 

La première partie traite de l’agriculture. On pourrait nourrir le monde avec de petites exploitations, beaucoup moins de viande, du bio, une agriculture non intensive, sans pétrole, sans produits chimiques… 

S’il est clair qu’on nourrit beaucoup plus de végétariens que de carnivores sur une même surface, savoir combien la planète peut nourrir d’humains avec quelles techniques est une question bien complexe qui fait débat chez les spécialistes.

Avec cette agriculture « il faut travailler plus » nous dit-on, il faut que le budget nourriture des gens passe de 10% à 30% des revenus. Logique, s’il faut plus de main d’œuvre, ça coute plus cher.

Avec cette agriculture, on créerait des emplois. Très bien, mais attention aux travailleurs pauvres : en remplaçant tous les engins agricoles par des êtres humains on créerait de l’emploi, mais je ne suis pas sûr que ce serait mieux. On retournerait dans un monde où une plus grande part de la population se consacre à l’agriculture alors que l’évolution humaine a justement permis que de moins en moins de gens aient besoin de se consacrer à cette tâche primaire. Certes cette évolution a contribué au chômage, mais dans les pays riches la pauvreté et la malnutrition ont bien diminué depuis 200 ans, et on a remplacé les emplois d’agriculteurs par des emplois d’enseignants, d’infirmiers, de médecins, de chercheurs, d’éducateurs, de journalistes, de travailleurs sociaux, d’informaticiens, de techniciens, d’ingénieurs… des fonctions insuffisamment remplies dans les pays pauvres où les gens mènent souvent une vie harassante à remuer la terre à la main et rêvent de vivre dans les pays riches. Plus de gens dans les champs, c’est probablement moins de chômage mais pas forcément moins de pauvreté, de malnutrition et une vie plus agréable. 

 

La question des ressources énergétiques, pour moi de loin la plus importante, est ensuite abordée. Oui plus de 80% de nos ressources énergétiques sont d’origine fossile (charbon, gaz, pétrole) et viendront forcément à manquer. Oui leur utilisation pollue énormément, crée des centaines de milliers de décès prématurés chaque année et réchauffe le climat à une vitesse folle. Oui nous sommes extrêmement dépendants de l’énergie et il faut agir. Mais c’est tout sauf simple.

On nous présente les éoliennes danoises et allemandes comme une solution. Les éoliennes peuvent produire une partie de notre énergie, mais comme le vent ne souffle pas en permanence et qu’on sait très mal stocker l’électricité, les éoliennes viennent en plus, et non à la place des autres moyens de production qui sont seulement moins utilisés. L’Allemagne, malgré des efforts considérables dans ce domaine, a produit en 2015 plus de 50% de son électricité avec des énergies fossiles (essentiellement du charbon très polluant) et 14% au nucléaire. Les émissions de CO2 par personne de l’Allemagne et du Danemark sont élevées malgré le considérable développement éolien, bien supérieures à celles de la France, à la moyenne mondiale, à celles de pays comme l’Inde, le Brésil, l’Indonésie, le Mexique ou la Turquie qui n’ont pas une image écolo mais sont tout simplement plus pauvres.

On nous présente la biomasse comme une solution de chauffage, mais sans se poser la question de son potentiel (la végétation pousse lentement !) ni de ses inconvénients : la combustion du bois émet du monoxyde de carbone, des particules fines, des oxydes d’azote, du benzène, des composés organiques volatiles…

On vante l’Islande qui réussit à utiliser largement la géothermie, mais tout le monde n’a pas la chance d’avoir des sources d’eau chaude.

On nous présente le photovoltaïque comme une solution alors que son Taux de Retour Energétique est faible : sur sa durée de vie un panneau ne produira pas beaucoup plus d’énergie qu’il n’en aura coûté pour sa fabrication, son installation, sa maintenance et sa fin de vie ; d’autant plus s’il est associé à des batteries sans lesquelles on ne peut avoir de lumière le soir. Le photovoltaïque n’existerait pas sans pétrole-gaz-charbon.

On nous vante, à juste titre, le tri des déchets et le recyclage mais sans remarquer combien les camions qui les transportent et les usines associées sont consommatrices d’énergie.

On parle d’autonomie énergétique de territoires en confondant, c’est classique, électricité et énergie (l’électricité ne représente que 18% de l’énergie mondiale).

On nous parle de voiture à hydrogène, à batteries ou à air comprimé mais ces techniques ne sont que des moyens de stockage et non des sources d’énergie.

On nous présente les petites unités de production comme plus écologistes que les grosses alors que l’impact environnemental de 100 petites unités est, au contraire, plus important que celui d’une seule unité 100 fois plus puissante.

Et surtout on nous dit que les énergies renouvelables peuvent être suffisantes pour nos besoins, ce qui n’est possible qu’en diminuant drastiquement notre consommation. Quand Thierry Salomon, de l’Association négaWatt, affirme que l’on peut réduire notre consommation d’énergie de 65%, il oublie de dire que, d’après le scénario négaWatt, la sobriété énergétique est pour cela nécessaire, incompatible avec le niveau de vie des pays riches et la croissance économique.

Aucun scénario de transition énergétique français n’affirme que l’on puisse remplacer les énergies fossiles et renouvelables sans diviser par au moins 2 notre consommation. Les humains utilisaient les énergies renouvelables bien avant les fossiles avec le bois, les moulins à vent, à eau ou la force des animaux. C’est justement l’abondance énergétique due aux énergies fossiles qui a permis dans les pays riches d’améliorer les conditions de vie comme jamais, et de faire exploser l’espérance de vie qui ne dépassait pas 35 ans au début du 19ème siècle. On ne vit pas vieux dans les pays où on consomme peu d’énergie, c’est un fait.

Bien sûr on peut diminuer la consommation grâce à l’efficacité énergétique qui consiste à faire évoluer les techniques pour consommer moins à service rendu égal. On peut, par exemple, isoler les logements pour diminuer le besoin de chauffage. Mais n’oublions pas que cela nécessite des matériaux plus nombreux, plus complexes à fabriquer et transporter, et surtout plus de main d’œuvre. Il est donc plus compliqué de se loger quand on a moins d’énergie à disposition. L’efficacité énergétique n’est donc pas indolore dans le domaine du logement comme dans d’autres. De plus elle a ses limites : la quantité d’énergie nécessaire pour chauffer un volume d’eau, monter une masse en hauteur ou mettre une masse en mouvement se calcule aisément par des lois physiques intransgressibles. On ne peut pas toujours consommer moins à service rendu égal.

Si l’on veut vraiment baisser la consommation d’énergie, à l’efficacité il faut nécessairement associer la sobriété, c’est-à-dire traquer les gaspillages et changer les usages ce qui suppose de définir ce qui est utile et ce qui relève du gaspillage. Est-il "utile" d’aller une journée à la mer, de partir en vacances, d’aller à la piscine, d'assister à des spectacles culturels ou à des rencontres sportives ? Est-il utile d'avoir réfrigérateur, un ordinateur, un lave-vaisselle, un accès à internet ? Est-il utile de soigner les personnes âgées atteintes de maladies graves ? Est-il utile de se doucher tous les jours ? Tout cela consomme beaucoup d’énergie.

Les scénarios de transition énergétique proposés par négaWatt, Greenpeace, ou Virage énergie permettent de ne fonctionner quasiment qu’avec des énergies renouvelables mais ils nécessitent des changements fondamentaux de la société : ils préconisent des logements collectifs, plus petits, plus d’habitants par foyer, une baisse de la température de confort, une baisse de 70% de la consommation de vêtements, une baisse de 50% des produits de ménage, de 50% des cosmétiques et produits de toilettes, de 50% des sèche-linges, lave-vaisselles, congélateurs, équipements audio-visuels, une baisse de 50% de la taille des réfrigérateurs, l’utilisation de lave-linge collectifs, une forte baisse des distances que nous parcourons chaque année, la quasi disparition de l’automobile individuelle, une réduction du tourisme longue-distance et des voyages en avion, une baisse des hébergements en hôtels … Effectivement on consommera ainsi moins d’énergie mais il s’agit bien d’une baisse du niveau de vie, d’un moindre confort, de changements très complexes à faire accepter.

Toutes ces économies représentent une baisse de l’activité humaine, une baisse de la quantité de biens et de services échangés, c’est-à-dire du Produit Intérieur Brut. Il s’agit de la décroissance économique, un objectif qui ne fait franchement pas l’unanimité puisque la quasi-totalité des politiques recherchent au contraire la croissance !

 

La troisième partie est consacrée à l’économie. L’économie circulaire (le recyclage), l’économie de la fonctionnalité (le partage), l’économie solidaire, la croissance verte… sont, à juste titre, mis en avant. Mais peuvent-elles permettre le découplage entre croissance économique et croissance de la consommation des ressources de la planète ? Cette question fait débat. Je ne suis personnellement pas convaincu que ce découplage soit possible.

On nous présente les monnaies locales comme un élément de solution. Elles incitent sans doute à moins de transport donc moins d’énergie et de pollution mais les problèmes sont avant tout physiques et non financiers.

Si la croissance économique est recherchée par la quasi-totalité des politiques, ce n’est pas seulement parce qu’elle permet d’enrichir des actionnaires et d’augmenter le PIB, mais aussi parce qu’elle correspond à une augmentation des échanges de biens et de services qui est logiquement censé être utile aux humains. Moins d’échanges économiques, c’est moins de biens et de services, c’est donc moins de smartphones, d’écrans plats et de voitures de luxe ; c’est aussi moins de nourriture, de logements, de soins médicaux, d’éducation, de culture… Concrètement la décroissance économique c’est la baisse des recettes de l’état et des caisses publiques, donc la baisse des budgets de l’éducation, de la recherche, de la santé, de la police, de la justice, de la culture, du sport pour tous, des aides sociales, des retraites…

Quand Pierre Rabhi dit que la croissance perpétuelle n’est pas possible car elle nécessiterait une croissance infinie de ressources dont la quantité est finie, il a raison. Mais ce que les êtres humains recherchent avec cette croissance ça n’est pas seulement l’argent, c’est avant tout une vie plus agréable. Moins de ressources pour plus d’êtres humains, ça signifie moins de ressources par personne, donc une vie plus compliquée. Les problèmes sont physiques et aucun gouvernant ne pourra y remédier, aussi honnête et compétent soit-il.

 

Le film nous parle ensuite de la démocratie en soulignant les défauts de nos sociétés. Les démocraties dans lesquelles nous avons la chance de vivre ont bien sûr leurs défauts mais je n’ai pas l’impression de vivre en dictature. Je crains que l’inéluctable dégradation des conditions de vie ne pousse davantage au repli sur soi, aux révoltes, aux conflits, aux guerres, aux extrémismes en tout genre, et aux dictatures. Michel Rocard affirmait « Mon intuition, c'est que la décroissance …nous conduirait tout droit à quelque chose ressemblant à une guerre civile ».

Expliquer aux gens que Demain ce sera bien est peut-être dangereux : les gens seront d’autant plus déçus et fâchés qu’ils croient qu’il y a des solutions et que les dirigeants sont responsables des problèmes. Mon avis est que Demain ce sera plus dur parce qu’on est de plus en plus nombreux à se partager un gâteau qui ne peut pas toujours grossir.

 

Dernier volet du film, l’éducation. Oui, elle est fondamentale et ne doit pas consister seulement à faire ingurgiter des connaissances aux enfants. Mais pour mettre comme en Finlande 2 enseignants pour 18 élèves dans une école moderne et équipée, il faut des moyens qui me paraissent incompatibles avec la décroissance économique, la baisse de la consommation d’énergie, la baisse de la consommation de ressources en tout genre et la nécessité de remettre plein de monde dans les champs pour travailler la terre à la main. Dans les pays pauvres les enfants ne vont pas à l’école parce qu’on a besoin d’eux dans les champs.

 

Il y a donc plein de bonnes idées dans ce film. On y vante un bon état d’esprit, une vie plus simple, des valeurs de partage et de fraternité auxquelles j’adhère.

Le problème fondamental de Demain est à mon avis la question des ressources énergétiques. Sur ce sujet le film fait preuve d’un optimisme que je ne partage pas. Il fait l’erreur de compter sur de nouvelles technologies. Les humains ont été capables de faire des choses extraordinaires et de solutionner d’immenses problèmes, oui, mais toujours en consommant plus d’énergie alors qu’il faudrait en consommer moins !

J’aurais aimé qu’on parle davantage d’un autre gros problème : la démographie. La croissance de la population mondiale est exponentielle. L’augmentation annuelle de la population, comme de la consommation d’énergie mondiale, correspond grosso-modo à une France supplémentaire chaque année ! Il me parait clair que l’augmentation de la population amplifie les problèmes et oblige à partager des ressources limitées en un nombre plus grand d’êtres humains, donc à en avoir moins par personne.

La plupart des interviewés sont des habitants de pays riches organisés en fonction d’une énergie abondante qui leur permet de consacrer du temps à ces réflexions. Ces habitants, même en faisant très attention, sont très dépendants de l’énergie et des ressources naturelles. Ceux qui vivent déjà vraiment dans la sobriété, en particulier les habitants des pays pauvres, désirent généralement dépenser plus. Les gens qui s'imaginent heureux dans un monde plus sobre se rendent-ils compte de ce que sera ce monde ? Il faudra travailler plus, habiter des logements moins confortables, moins d’hygiène, il sera plus difficile de se soigner, de se cultiver, de se déplacer, de se distraire, de s’informer, de s’éduquer…. car tout cela nécessite de l’énergie. Rien de bien réjouissant.

Je n’ai donc pas vu dans ce film de quoi être optimiste. Et je ne pense pas qu’il faille l’être. Il me parait au contraire important d’être pessimiste, cela permet à nos esprits de se préparer, cela nous permettra d’être moins déçu.


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