Le mystère des drones, à Fessenheim et ailleurs, s’épaissit

par Patrick Samba
samedi 6 décembre 2014

L’ensemble des médias semble installer un silence grandissant sur les survols de centrales nucléaires par des drones bien que ceux-ci n’ont toujours pas cessé. Ils s’en sont un temps enflammés, mais alors que les survols continuent et qu’aucun auteur n’a toujours été appréhendé, les médias s’en désintéressent. Ainsi c’est subrepticement et sans précision, comme je le soulignais dans mon précédent article, qu’Atlantico dans son édition du 24 novembre, à la fin d’un article de Christian Combaz, donnait cette information : « (Dans la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 novembre, deux autres drones ont été repérés en Seine-Maritime et dans le Tarn, ndlr) ».

Centrale de Golfech

La Dépêche du Midi en revanche continue à informer. Néanmoins son dernier article a très nettement réduit ses précisions, et donc sa taille, contrairement aux précédents, comme si le journal craignait de déranger. En particulier la gendarmerie et l’armée qui n’ont capturé aucun drone, ni localisé le moindre télé-pilote bien que nous en soyons à plus de 35 survols sur l’ensemble du territoire. Dans son édition du 2 décembre, La Dépêche, relayée par les Echos et Le Point, annonce donc brièvement - alors qu’on aurait pu s’attendre à l’inverse dans la mesure où l’espace aérien de la centrale de Golfech subissait sa troisième intrusion - que la veille un hélicoptère de l’armée a pour la seconde fois pris un nouveau drone en chasse. Ce qui, dans cette affaire, n’est tout de même pas sans constituer un véritable évènement. La poursuite s’est de nouveau soldée par un échec, comme dans la nuit du 30 octobre au cours de laquelle un drone avait été suivi sur 9 km depuis le sol, et le 12 novembre par un hélicoptère.

Apparemment les forces de sécurité se refusent à utiliser eux-mêmes des drones avec caméra qui leur permettraient portant de pister sans doute plus facilement ces si mystérieux drones. 

Une première fois le 1er novembre, dans un article très détaillée, l’un des plus précis que l’on ait pu lire dans l’ensemble de la presse pour cette affaire de drones, la Dépêche du midi indiquait qu’un survol avait eu lieu dans le début de la nuit du jeudi 30 octobre. Un drone d’une envergure de 60 cm à quatre hélices fut pris en photo lors de ses deux passages par deux gendarmes du peloton spécialisé de protection de la gendarmerie (PSPG) de Golfech, une unité spécialisée dans la surveillance des sites nucléaires français et composée en Tarn-et-Garonne de 38 militaires qui protègent en permanence la centrale. Le drone fut ensuite suivi sur 9 km grâce à sa propre lumière visible de loin, pour être finalement perdu.

A partir du jeudi 8 novembre deux « gazelles » du 5e régiment d'hélicoptères de combat de Pau commencèrent à assurer une surveillance aérienne du site.

Le mercredi 12 novembre ce sont deux drones cette fois, et identiques à celui du 30 octobre, qui survolèrent la centrale de Golfech effectuant plusieurs passages entre 21h30 et 23h. Mais l’intervention des gazelles n’offrit aucun succès. Le maire, « actif représentant de l'association des représentants des communes d'implantation de centrales nucléaires, ne cachait pas son exaspération sur le manque d’informations des autorités locales. « Il y a de l'inquiétude d'autant que l'on se rend compte que les pilotes de ces drones ne sont pas des plaisantins et qu'il n'y a aucune revendication. Ce sujet préoccupant me gêne aussi car je n'ai aucune info, ni explication officielle de l'État. » »

Enfin le lundi 1er décembre, c’est vers 9 heures du matin qu’un drone a été pris en chasse entre Valence et Goudourville par une Gazelle du 5e régiment d'hélicoptères de Pau. Sans résultat, et bien que cette fois-ci le viol de l’espace aérien ait eu lieu en plein jour.

 

Mystères

Cette poursuite d’hélicoptères du 12/11, contestée par le général de Brigade de gendarmerie, Pascal Bonnaud, lors de l’audience du 24/11 de l’OPECST à l’Assemblée nationale (à écouter à 2h 01 de la vidéo. Il affirma même qu’aucune poursuite par hélicoptère n’avait eu lieu en France, et fut aussitôt contredit par Yannick Rousselet de Greenpeace évoquant, lui, le cas de Flamanville), n’est pas le seul élément de cette affaire à subir des appréciations contradictoires ou énigmatiques. L’absence de photos des drones en est un autre. Comme le journaliste de La Dépêche le précise dans l’édition du 1er novembre, « les militaires du PSPG ont eu le temps de prendre des clichés ». Et il est probable que d’autres gendarmes sur d’autres sites ont en fait de même. Mais aucune photo à ce jour n’a été publiée.

Il en est de même pour la date du premier survol sur le territoire français. Pour certains la première intrusion de l’espace aérien d’une centrale serait survenu le 5 octobre, sur le site de Creys-Malville. Pour d’autres un premier survol aurait eu lieu le 14 septembre, allongeant la durée de l’opération à désormais presque trois mois.

Mais l’aspect le plus mystérieux de cette affaire de drones demeure bien entendu le motif des survols, l’identité de leurs auteurs et l’impuissance réelle ou feinte des forces de surveillance des installations nucléaires.

 

Les pistes n’ont guère variées depuis la semaine dernière et peuvent être abordées selon trois éclairages :

-soit la DGSI et la gendarmerie ont pour consigne de ne pas intercepter les drones ni les télé-pilotes, mais seulement de les surveiller dans l’hypothèse où l’opération relèverait d’un service secret étranger.

-soit ses agents manœuvrent eux mêmes les drones, ce qui constutue l'option la plus improbable (tests de sécurité afin d’améliorer la surveillance des centrales, false-flag pour imposer une législation très sévère sur les drones, accroissement de la politique sécuritaire afin, entre autre, de lutter contre les « djihadistes verts », etc…). 

-soit ils font preuve d’une inquiétante incompétence. 

 

La dernière hypothèse s’applique dans le cas où il s’agirait de geeks antinucléaires isolés (une nouvelle génération d’activistes par exemple, ou encore les déboulonneurs de pylônes, le groupe de Tarnac…), comme l’a évoqué Greenpeace, laquelle dément par ailleurs toute responsabilité. Mais la célèbre ONG n’en reste pas moins hautement soupçonnable. Il s’agirait donc de groupes isolés, mais déterminés à faire éclater l’irresponsable mensonge de l’invulnérabilité des sites nucléaires.

Cette option est également à retenir si l’on incrimine les signataires de l’appel solennel à la fermeture de Fessenheim comportant une date-butoir au 31 décembre 2014, et signé par de nombreux représentants de partis (Noël Mamère, Martine Billard (PG), Corinne Lepage (CAP 21), Julien Bayou (EELV), Isabelle Attard (Nouvelle Donne), Clémentine Autain (Ensemble !)…), en association ou non avec Greenpeace. Ils peuvent effectivement être également suspectés soit d’avoir initié, soit de couvrir l’opération, d’autant qu’aucun démenti n’a été émis, contrairement à Greenpeace et au Réseau Sortir du nucléaire. Par ailleurs l’un des promoteurs de l’appel a reçu plusieurs mails de menace voilée, ce qui est le signe qu’ils gênent.

Et puis il ne faut pas exclure une possible collusion de tous ces groupes précédemment cités ou d’une partie d’entre eux.

En revanche la première option s’imposerait si l’opération est en rapport avec l’affaire des Mistrals russes qui devaient être livrés en novembre ; la France faisant alors l'objet de pressions sous une forme inédite. Le 25 novembre, François Hollande a annoncé la suspension de la livraison à la Russie d'un premier bâtiment « jusqu'à nouvel ordre », car la « situation actuelle dans l'est de l'Ukraine ne le permet toujours pas ». Dans un premier temps la Russie a réagi en affirmant qu’elle ne porterait pas plainte si la problématique trouvait à se résoudre avant la fin de l’année, puis elle a accentué la menace (Le Mistral au centre du jeu politique France-Russie). Ce qui pourrait expliquer la permanence des survols.

Mais la France est engagée sur bien d’autres fronts, et le projet de vote à l’Assemblée nationale de la reconnaissance d’un Etat palestinien n’en était peut-être pas l’un des moindres.

 

Patrick Samba


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