Le prix du carbone, éternel deus ex-machina du climat

par Thibault Laconde
vendredi 11 décembre 2015

Une taxe carbone peut-elle résoudre tous nos problèmes climatiques ? Peut-être, mais l'expérience montre que c'est un outil difficile à manier.

Dès le premier jour de la COP21, six chefs d’Etat, dont Angela Merkel et François Hollande, soutenus par la banque mondiale et le FMI ont lancé un appel en faveur d’une tarification du carbone. Cette annonce n’a rien de surprenant, à l’approche de la conférence de Paris, le « prix du carbone » a été sur toutes les lèvres… Il fait aujourd'hui l’objet d’un tel consensus qu’il est défendu aussi bien par Total et BP que par les ONGs du Réseau Action-Climat France !

L’idée n’a pourtant rien de nouveau : sa généalogie peut-être remontée aux années 20 et à l'économiste Arthur Pigou. Augmenter, par une taxe ou un mécanisme de marché, le prix de produits néfastes à la société pour en diminuer la consommation n’a d'ailleurs rien d’original, les droits d’accise sur l’alcool et le tabac en étant les exemples les plus emblématiques. Il serait peut-être salutaire de se demander pourquoi une idée aussi ancienne n’a pas déjà été mise en œuvre.

Un chemin jalonné d’échecs

En réalité, il y a eu de nombreux projets de taxes carbones au cours de 30 dernières années… et la plupart se sont achevés par des échecs fracassants. On pense bien sur au projet français censuré par le Conseil Constitutionnel en 2009 puis abandonné, mais les Etats-Unis et la Communauté Européenne ont aussi eu leurs propositions de taxe pigouvienne pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Des épisodes aujourd’hui largement oubliés.

Aux Etats-Unis, le projet est porté par Bill Clinton dès son arrivée au pouvoir en 1993. La BTU Tax doit taxer l’énergie en épargnant l’éolien, le solaire et la géothermie mais la proposition provoque une levée de boucliers immédiate et une violente offensive des lobbys concernés. Le texte s’échoue au Sénat où il est transformé en impôt symbolique sur le carburant. Aux élections de mi-mandat, les parlementaires qui ont soutenu le projet voient les fonds privés affluer dans les caisses de leurs adversaires et l’initiative se solde par la « révolution républicaine » de 1994, une défaite historiquement lourde des démocrates.

En Europe, le projet porté par la Commission Delors prend naissance dans les années 80. A la veille du Sommet de la Terre de Rio un montant est même proposé : 600 francs français par tonne équivalent pétrole ce qui, corrigé de l’inflation, reviendrait aujourd’hui à faire augmenter le prix du litre d’essence d’environ 15 centimes d’euros. Le projet ne verra jamais le jour, la faute aux intérêts divergents des grands pays européens : les industriels allemands, très dépendants du charbon, ne veulent pas en entendre parler, la France dont le mix énergétique est moins émetteur en carbone préférerait une taxe sur les gaz à effet de serre et la Grande Bretagne s’oppose au transfert de nouvelles compétences à Bruxelles…

Apprendre de ces expériences

Ces échecs des deux coté de l’Atlantique devraient peut-être tempérer l’optimisme affiché ces jours-ci. Mettre en place un prix du carbone, surtout par voie fiscale, est risqué politiquement. C’est normal puisque l’objectif est de ralentir les activités les plus émettrices en gaz à effet de serre. Une taxe carbone efficace met donc forcément des entreprises en faillite et des gens au chômage, quelles que soient leurs déclarations aujourd’hui, il serait naïf de penser qu’ils se laisseront faire. D’ailleurs, une étude récente de l’ONG Influence Map montre que, malgré leurs prises de position publiques, les grandes compagnies pétrolières continuent via de faux-nez à combattre ces projets.

Donner un prix au carbone ne peut être acceptable politiquement qu’avec d’importants efforts de pédagogies et des mesures d’accompagnements destinées à soutenir l’innovation et les reconversions. Comme ces deux éléments manquent dans les débats actuels, on peut craindre que les engagements annoncés en début de semaine s’enlisent comme leurs prédécesseurs.


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