Le ragondin : toujours plus de dégâts

par Fergus
lundi 6 janvier 2020

Il est très séduisant, le ragondin, avec ses faux airs de castor et son allure débonnaire. Mais il faut malheureusement se rendre à l’évidence : cet animal invasif est nuisible à plus d’un titre…

Il y a 10 ans, mon épouse et moi nous promenions à Rennes au bord de l’Ille. Parvenus près de la charmante écluse du Comte, nous avons assisté à la capture d’un énorme ragondin, piégé dans une solide nasse métallique par deux employés de la ville. « Il va finir en pâté », nous a confié l’un des deux hommes en souriant. Des milliers de ragondins sont ainsi détruits chaque année. Malgré leurs incontestables qualités gustatives* – si l’on en croit les piégeurs –, on peut le regretter si l’on est un tant soit peu sensible à la cause animale. Il n’y a, hélas, pas d’autre solution tant les dégâts occasionnés par ces rongeurs prennent chaque année plus d’ampleur. Sans compter les risques sanitaires qu’ils peuvent présenter dans les espaces humides fréquentés par les promeneurs et leurs chiens.

Pour mémoire, rappelons que le ragondin est un mammifère rodentien* – autrement dit un rongeur – semi-aquatique végétarien appartenant au genre myocastor. Son poids, en moyenne de 6 kilos, peut atteindre 9 à 10 kilos hors des élevages. Sa longévité est d’environ 4 ans. Parfois dénommé à tort « castor des marais », « castor d’Argentine » ou « castor du Chili », il est, comme l’indiquent ces dernières appellations, originaire d’Amérique du Sud.

Le ragondin a été introduit en France dans le dernier quart du 19e siècle par les pelletiers pour constituer des élevages destinés au commerce des fourrures, son pelage étant alors très prisé pour la confection de manteaux et de toques. Nul ne sait de façon certaine si cet animal est retourné à l’état sauvage dans nos contrées de façon accidentelle ou volontaire. Il est toutefois probable que la mode de la fourrure de ragondin ayant fluctué au cours du temps, des animaux devenus surnuméraires dans les élevages du fait de la grande capacité reproductrice de cette espèce ont été purement et simplement relâchés dans la nature, notamment par des éleveurs en situation de faillite durant la grande crise des années 30.

De nos jours, les spécialistes estiment que les ragondins ont colonisé la totalité du territoire national métropolitain, à l’exception de la Corse. Une colonisation heureusement freinée par les hivers les plus rigoureux qui augmentent de manière significative la mortalité naturelle de ces animaux et limite de ce fait leur prolifération. A contrario, l’accroissement de la population des ragondins est facilité par l’absence quasi-totale de prédateurs, la France n’étant pas caractérisée par ses populations de caïmans, de jaguars, de pumas ou d’anacondas  ! Le seul véritable risque concerne les jeunes ragondins, exposés au bec acéré des pygargues, des grands-ducs, mais aussi aux crocs carnassiers des fouines, des loutres et des martres. Sachant qu’un couple de ragondins peut, en deux ans, engendrer une descendance théorique de plusieurs dizaines d’individus (la maturité sexuelle d’un ragondin est atteinte en quelques mois), on prend très vite la mesure des problèmes que pose la surpopulation de ces animaux invasifs. 

Un double danger écologique et sanitaire

Les dégâts causés par les ragondins sont en effet incontestables dans les rivières et les marais où ils consomment en masse les plantes aquatiques dont ils sont friands en détruisant du même coup les zones de frayère des différentes espèces de poissons endémiques. De même, ces animaux affectent gravement les roselières où nichent de nombreuses espèces d’oiseaux. Mais c’est sur les digues, le long des voies d’eau et sur les chaussées d’étang que les ragondins provoquent les plus gros dommages par le creusement de galeries qui peuvent atteindre plusieurs mètres de longueur et minent les rives en provoquant ici et là leur effondrement.

Les ragondins mettent ainsi en péril non seulement les équilibres écologiques dans leur zone d’habitat mais aussi l’exploitation de fermes piscicoles et la sauvegarde d’espaces préservés. Sans oublier les dégradations occasionnées aux routes établies sur des digues ou aux canalisations qui les bordent. À cela viennent s’ajouter les dégâts que ces animaux occasionnent aux cultures voisines, notamment maraîchères et céréalières, tout particulièrement en automne lorsque les ressources végétales naturelles s’amenuisent et que la population des ragondins atteint son maximum. À cet égard, on ne compte plus les parcelles de blé, d’orge ou de maïs partiellement dévastées par ces rongeurs. Sachant qu’un ragondin consomme chaque jour 30 à 40 % de son poids en végétaux, on imagine sans mal les dommages qu’une colonie peut infliger aux exploitations proches de ses terriers. Cela dit sans compter l’activité fouisseuse des ragondins qui aboutit parfois à boucher les systèmes d’irrigation et de drainage des cultures.

Autre volet du danger provoqué par la prolifération des ragondins : le risque de leptospirose dont ils peuvent être les vecteurs, à la fois pour l’homme et pour le chien. Les animaux d’élevage proches de l’habitat des rongeurs peuvent eux-mêmes en souffrir sous la forme d’avortements. La menace ne doit par conséquent pas être prise à la légère : la leptospirose est en effet une maladie infectieuse grave transmise par les bacilles présents dans les urines du ragondin. Elle se communique à l’homme, au chien ou au bétail par un contact de ces urines ou de végétaux souillés avec les muqueuses ou des plaies mal protégées. On recense environ 300 cas de leptospirose chaque année en France dont plusieurs se révèlent mortels ! C’est pourquoi il est formellement déconseillé – et localement interdit par des arrêtés municipaux – de se baigner dans des rivières ou des plans d’eau où la présence de ragondins est avérée.

Condamnés à vivre avec eux

Durant longtemps, les ragondins, mais également leurs petits cousins les rats musqués, eux aussi devenus invasifs depuis des lâchers d’élevages dans les années 30, ont été éliminés par empoisonnement, le plus souvent en recourant à des produits chimiques anticoagulants. Une méthode qui, fort heureusement, a été définitivement interdite en septembre 2006 au terme d’une période de transition de 3 ans actée par un arrêté ministériel du 8 juillet 2003 portant sur la destruction de ces animaux nuisibles de catégorie I (espèces non indigènes invasives). Une mesure de précaution qui, en l’occurrence, s’est révélée nécessaire car s’il était efficace, l’empoisonnement n’était pas sélectif et détruisait de nombreux animaux sauvages utiles ainsi que des animaux domestiques ayant eu accès aux appâts empoisonnés. Désormais ne sont plus utilisés que les tirs de régulation – dans le cadre d’une réglementation stricte** – et surtout le piégeage qui, au moyen de cages en métal appâtées par un fruit ou du maïs, donne d’excellents résultats sans risque pour les autres animaux ; les ragondins et les rats musqués piégés sont ensuite immédiatement abattus et leur dépouille envoyée à l’équarrissage.

Malgré le nombre des piégeurs agréés, qu’il s’agisse de professionnels ou de bénévoles regroupés pour la plupart au sein de l’UNAPAF***, les actions de régulation, le plus souvent supervisées par les FREDON*** et les FDGDON***, se révèlent impuissantes à éradiquer une menace qui a trop longtemps été prise à la légère pour que l’on puisse enrayer la propagation de l’animal sur le territoire. Chaque année, ce sont des millions de ragondins et de rats musqués qui sont abattus en France, et malgré cette hécatombe les populations ne cessent d’augmenter. Qu’on le veuille ou non, nous sommes donc condamnés à vivre avec les ragondins et les rats musqués dans les campagnes aux abords des lieux humides. À charge pour les collectivités locales de lutter sans cesse, année après année, pour tenter de limiter le nombre de ces animaux malgré les coûts financiers significatifs que cela fait peser sur leur budget.

Une chose est sûre : ce ne sont pas les enfants qui se plaindront de la présence des ragondins sur notre territoire tant ils sont fascinés par la vue de ces énormes rats débonnaires, aperçus au détour d’un sentier de marais, dans les hautes herbes d’une prairie humide ou sur la rive d’un chemin de halage. Personnellement, j’ai vu des ragondins à plusieurs reprises dans différentes régions de France, les plus nombreux dans les marais de Brière et, en Gironde, dans le delta de l’Eyre et les installations piscicoles du bassin d’Arcachon. Savoir qu’un grand nombre de ces élégants nageurs fera l’objet de campagnes de destruction est un crèvecœur. Certains piégeurs eux-mêmes le vivent mal, mais tous ont le sentiment d’agir pour le bien public en protégeant les écosystèmes et les cultures.

Dommage que les ragondins soient des animaux nuisibles ! 

Il ne s’agit pas d’une plaisanterie : la viande de ragondin est très prisée dans l’Ouest du pays, notamment de la Vendée à la Gironde, sous la forme de pâtés, de terrines et de rillettes. Il existe même du pâté de ragondin au cognac en Charente.

** Le tir des ragondins et des rats musqués est autorisé, uniquement de jour, au propriétaire muni du « permis de chasser » en cours de validité, ou par délégation écrite à une personne titulaire du permis.

*** UNAPAF : Union nationale des associations de piégeurs agréés de France. Les FREDON et FDGDON sont les Fédérations régionales et départementale de défense contre les organismes nuisibles.

Ce texte est une reprise complétée et actualisée d’un article de mars 2009.

 

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