Les bons produits du marché...

par Bruno de Larivière
vendredi 22 juin 2012

Après l'épisode Doux, une autre preuve du corporatisme agricole à la française : les Safer ont un demi-siècle...

La Safer Gascogne Haut-Languedoc fête ses cinquante ans. Son président Michel Baylac s'en félicite. On retrouvera l'intégralité de l'interview en note de bas de page. Je me suis contenté de relever les points principaux.

Mais qu'est-ce que qu'une SAFER ? On peut se satisfaire de la réponse officielle... Dans les faits, ces organismes intermédiaires incontournables lors de chaque transaction foncière (en zone rurale) sont gérés dans une logique purement clientéliste. Les juges sont parties prenantes, les décisions peuvent être théoriquement contestées - en pratique elles ne le sont pas - et l'argent collecté ne rentre dans aucun circuit habituel (collectivités, Etat).

Si l'on veut acquérir un bien, mieux vaut bénéficier de solides appuis, ou appartenir à un syndicat solidement implanté. Céréalier ou éleveur hors-sol sont des métiers sésame  ; polyculteur bio ferme toutes les portes... Je ne peux que regretter le satisfecit sans nuance d'un responsable local [Safer-khozes] Les cas concrets ne manquent pas qui illustrent l'impasse foncière dans laquelle se trouve la France.

Au total, le contrôle des transactions s'effectue au nom de la lutte contre l'argent-roi et aboutit au résultat inverse : la rareté organisée de la demande resserre l'offre, avec des répercussions sur les prix du foncier constructible. Les Safer alimentent par conséquent indirectement la bulle immobilière et l'étalement urbain... Les bons produits du marché, sans doute ?

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Le président de la Société d'Aménagement Foncier et d'Etablissement Rural (SAFER) n'est pas un financier ; il dit cela sans doute pour démentir la photo où l'on entraperçoit un manager en cravate acrylique et costume sombre. Il n'est pas à la solde de ses actionnaires. Non, il sert les intérêts d'une corporation surprotégée.

Il défend la veuve et l'orphelin. Comprenez l'agriculture "familiale"... Allez savoir pourquoi il se ravit de ce combat : les chiffres lui donnent tort. Lui, ses acolytes et leurs prédécesseurs ont lamentablement échoué. En 1960, plus d'un actif sur dix travaillait dans l'agriculture. On compte aujourd'hui entre 2 et 3 % d'agriculteurs. Quant aux paysans, Depardon part à leur recherche comme d'autres les derniers Peaux-Rouges en Amérique du nord.

Il 'moralise' le marché... Je renvoie à un vieux 'post' (lien). Tout y est dit (!) sur cette 'moralisation', affichage hypocrite d'un favoritisme institutionnalisé. Les terres agricoles sont vendues aux 'élus', c'est-à-dire les agriculteurs. Les autres n'y ont pas droit. Avec ce système calamiteux, on a certes réussi à maintenir des prix anormalement bas pour le foncier agricole . Mais dans le même temps, le prix des terrains constructibles a explosé ! Les agriculteurs propriétaires ont donc été poussés à se faire rentiers : dans les couronnes périurbaines, la meilleure activité - la plus juteuse (...) - pour les terres agricoles a été de faire pousser du pavillon...

Il dompte les forces de l'argent. Car la 'régulation' c'est bien. Et le président de la Safer de s'enthousiasmer ! Des étrangers viennent lui dire que le 'modèle' est extraordinaire. Là encore, un lien s'impose. Car la France 'devient moche', selon les termes mêmes d'une enquête récente. La dégradation des paysages suit les progrès de l'étalement urbain : évidemment, la photo qui agrémente l'interview laisse à penser que la région toulousaine peut se prévaloir de coteaux couverts de vignes. Dans les faits, la tache urbaine (lien) a peu d'équivalents en France. Une comparaison entre une carte de 1972 et aujourd'hui témoigne de la rapidité des phénomènes.

Le patrimoine maraîcher français a été plus généralement vendu à l'encan. Les Safer ont une part de responsabilité insigne dans cette affaire.

(1) "" A l’occasion des cinquante ans de la Société d’Aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) Gascogne Haut-Languedoc, Michel Baylac, son président depuis 8 ans, revient sur les missions de cet outil de régulation foncière, qui inspire aujourd’hui nos voisins européens.

Michel Baylac, la Safer célèbre aujourd’hui ses 50 ans. Quelle est son action ?
La SAFER Gascogne Haut-Languedoc se déploie sur quatre départements : la Haute-Garonne, l’Ariège, les Hautes-Pyrénées et le Gers. Les SAFER ont été créées par la loi d’orientation agricole du 5 août 1960 à l’initiative des jeunes agriculteurs. Nous sommes une société anonyme avec des actionnaires qui ne demandent pas de dividendes, placée sous la double tutelle des ministères de l’agriculture, et des finances. Notre conseil d’administration compte un tiers de représentants des collectivités locales, mais aussi des responsables d’associations environnementales, en plus des agriculteurs.

Quelles sont les missions de la SAFER ?
Nous contribuons à réduire la pression foncière en nous imposant comme un outil de régulation. Notre objectif est de préserver une agriculture familiale, qui ne soit pas une agriculture de firme. Nos activités se déploient autour de trois axes majeurs. Nous avons d’abord une forte implication agricole, puisque 40% des terres que nous cédons vont à l’installation de jeunes agriculteurs. Ensuite, nous travaillons main dans la main avec les collectivités. Ainsi, nous sommes présents notamment pour définir des zones de stockage des terres en compensation par exemple des hectares perdus par les agriculteurs présents sur le tracé de la LGV. La dernière dimension de notre activité est environnementale.

Pourquoi la régulation, est-elle nécessaire encore aujourd’hui ?
La régulation foncière offre la possibilité au législateur de moraliser le prix des terres. Nous ne faisons pas pour autant abstraction de l’économie de marché, mais nous mettons un cadre nécessaire, qui permet en plus de défendre les intérêts des propriétaires en assurant la transmissibilité des terres. Nous ne prônons ni la spoliation, ni la spéculation. D’ailleurs, nous ne sommes pas des « serial préempteurs » sur 9000 notifications, nous préemptons moins de 100 fois sur quatre départements. Grâce à la régulation, la France s’impose comme le pays d’Europe où le prix de la terre est le moins élevé. Les jeunes agriculteurs peuvent ainsi trouver de la terre à un prix qui n’est pas trop éloigné de sa valeur économique.

Votre travail est-il compris par tous ?
Aujourd’hui des tentatives de contournement de la SAFER existent grâce à des formules juridiques élaborées, mais le législateur veille. Par ailleurs, nous sommes sollicités notamment par les pays de l’Est, qui sont intéressés par notre outil de préservation du foncier. Notre système est scruté au niveau européen et beaucoup de pays veulent le copier.

Quel est votre message à l’occasion des 50 ans de la SAFER ?
Nous allons profiter de cet anniversaire pour mettre la SAFER sous les feux des projecteurs de manière positive en indiquant réellement ce que nous faisons, car les nouveaux élus ne nous connaissent pas forcément. Nous entendons également rappeler aux agriculteurs les bienfaits de la régulation, et tout ce qu’elle a apporté depuis cinquante ans. ""


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