Les dessous douteux de la BD de Pénélope Bagieu contre le chalutage profond

par Tonio_Article50
mercredi 26 février 2014

Il y a quelques mois, vous avez sûrement vu passer cette petite BD fort sympathique de Pénélope Jolicoeur.

Vous savez ? Celle pour dénoncer la pratique du chalutage profond (impliquant notamment Intermarché) et sauver tous ensemble les petits poissons.

Lien : http://www.penelope-jolicoeur.com/2013/11/prends-cinq-minutes-et-signe-copain-.html

 

EPISODE 1 : La BD militante de Pénélope Bagieu

 

Pour commencer, pourquoi je me suis intéressé à cette BD ?

 

Pour vous remettre dans l’histoire, je vous rappelle la trame :

1 - Les poissons se développent dans le fond de l’océan.

2 - Des chalutiers les attrapent en tuant tout sur leur passage.

3 - Ces chalutiers sont français principalement et vivent grâce aux subventions.

4 - Heureusement l’Union Européenne est là pour sauver les poissons et raisonner les vilains Etats contrevenants grâce à des lois.

5 - Signez la pétitions parce-que les « méchants » français font tout pour faire capoter cette loi pour protéger les petits poissons.

 

À la lecture, plusieurs petits détails m’ont mis la puce à l’oreille.

Premièrement, cette histoire de subventions :


 

Étant très critique sur l’Union européenne, je pris l’habitude d’aller voir les textes. Lorsque j’ai vu « des subventions pour les pêcheurs », je suis allé jeter un œil dans le traité de Rome (TFUE) et la PAC*, et je suis tombé sur l’article 39 :

La politique agricole commune a pour but : (NB. L’Union définit et met en œuvre une politique commune de l'agriculture et de la pêche)

a) d'accroître la productivité de l'agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu'un emploi optimum des facteurs de production, notamment de la main-d’œuvre.

 

*(Pour retrouver des sources, allez voir le traiter de Rome et de Lisbonne, tout ça est consultable sur internet.)

 

Si on résume : dans le cadre de la PAC, les plus productifs sont les plus subventionnés. Donc qui donne de l’argent aux chalutiers français pour tuer les petits poissons ? : c’est l’UE avec ses subventions.

Alors que quelques cases plus bas Pénélope nous explique :


Dans le genre pompier pyromane, on ne fait pas mieux ! L’UE subventionne la surpêche. Puis derrière, elle vient nous dire que c’est elle qui va sauver les poissons.

Et là, c’est nous qu’il faut pas prendre pour des jambons ! Et ce n’est pas fini !

Deuxièmement, cette BD donne l’impression que les Français sont les mauvais élèves de l’Europe. Je la trouve même un peu « anti-Français ».

D’abord, elle met en avant le fait que les chalutiers sont quasiment tous français :


Dans les faits c’est la France qui a la plus grande superficie de territoire maritime (et donc de pêche) sur l’Atlantique - et cette pêche est interdite dans la Manche et la Méditerranée. C’est donc normal qu’elle y ait le plus grand nombre de bateaux sur ce territoire. Je parie que les deux autres sont soit Espagnoles, Portugais, Irlandais ou Anglais.

Pénélope nous parle ensuite des « méchants français » qui luttent contre cette loi alors que la gentille UE essaye de les en empêcher.




Je fais une petite parenthèse sur laquelle je reviendrai plus tard : il faut savoir qu’au sein du Parlement européen (766 députés), les français représentent à peine 9%. (moins de 75 députés). Si on suppose que tous les français votaient de concert contre une loi, ils arriveraient à un score de 9%. Je vous laisse en faire vos déductions sur la capacité des français à « bloquer » à eux seuls une loi, comme nous le dit Pénélope.

Je finis donc cette bande dessinée. Je suis sceptique sur la manière dont elle tourne son argumentaire mais j’aime quand même bien les poissons. Je signe donc la pétition.
 

 

EPISODE 2 : La vidéo « Ending Overfishing »

Quelques jours plus tard je tombe sur cette super belle vidéo en anglais :

http://www.youtube.com/watch?v=F6nwZUkBeas


L’aperçu de cette vidéo sur Youtube et Facebook montre le parlement européen. J’aurais plutôt pensé trouver une image d’océan ou de bateau pour illustrer un film parlant de chalutage profond et de ses dangers environnementaux.

Chose étonnante, elle suit point par point le plan de la BD de Pénélope Joliecoeur (sans certains détails comme la position des français et d’Intermarché). Elle invite à signer une autre pétition pour ce même vote.

Tiens ?

 

 

EPISODE 3 : Les financements

Je me lance dans une petite recherche sur les organisme à l’origine de ces pétitions.


- Pour la BD de Pénélope, c'était l’association Bloom qui organise la pétition (et qui a probablement fait cette commande à la dessinatrice, bien que ce ne soit pas dit clairement) :


 

Je vais voir sur le site de Bloom pour voir leurs financements :

http://www.bloomassociation.org/nous-connaitre/notre-financement/

BLOOM est soutenue par les fondations Synchronicity Earth, ADM Capital Foundation, The Pew Charitable Trusts, la Fondation AKUO, L’Orchestre de l’Alliance et la société H.Tax Planners et par de nombreux donateurs particuliers.

 

- Pour la vidéo anglophone “Ending Overfishing”, l’organisateur est Ocean2012.





Sur le site d’Ocean2012, je trouve les financeurs ci-dessous :

http://ocean2012.eu/funders

Oak Foundation, Pew Charitable Trusts, The Tubney Charitable Trust

 

Tiens ? Pew Charitable Trusts finance ces deux ONG se manifestant sur un même sujet avec la même valorisation de l’Union européene ? Qui sont ces gentils sauveurs de poissons ? Et pourquoi ce parti pris vis à vis de l’UE ?

Je fais donc une petite recherche toute simple sur Wikipedia.

The Pew Charitable Trusts est une organisation à but non lucratif indépendante et non-gouvernementale, fondée en 1948 avec un crédit initial de 5 milliards de dollars américains.

Sa mission est de se mettre au service du grand public pour « améliorer les politiques publiques, informer le public et stimuler la vie civique »1.


J’avoue, je ne vois pas le rapport entre les américains, la vie civique et les poissons… Je continue donc.

The Pew Charitable Trusts, en tant qu'entité unique, est le successeur et seul bénéficiaire de sept organismes de charité établis entre 1948 et 1979 par le fondateur de la Sun Oil Company, Joseph N. Pew, et sa femme Mary Anderson Pew.

 

Tiens ? The Pew Charitable Trusts est financé par une famille qui possède une compagnie pétrolière ? Le lien Pétrole / Environnement me semble à moitié louche. Disons que ça n’est pas vraiment le genre de personne de qui j’attendrais des leçons d’écologie… De là à imaginer que la Sun Oil Company veuille fermer les territoires de pêche pour mettre des puits de forage, il n’y a qu’un pas que je ne franchirais pas…

Je continue ma lecture de la page Wikipedia :

la J. Howard Pew Freedom Trust avait pour mission de « libérer le peuple américain des maux de la bureaucratie, de le rallier aux valeurs du libre marché et de l'informer sur le combat, les persécutions, les sacrifices et les morts qui ont permis la liberté de l'individu. »

Si je synthétise, la vocation initiale de la fondation serait de promouvoir le libre marché !

En fouillant un peu plus sur Internet je découvre aussi que cette fondation finance le troisième Think Tank américain : Pew Research Center. Je continue et vois que Joseph N. Pew a été un agent de la CIA entre 1954 et 1979 (on ne sait rien des liens qu’il a gardé par la suite).


En conclusion, tout ça sent un peu la sphère d’influence d’une officine néo-libérale aux intérêts douteux. Il faut vraiment être très attentif à tout ce qui tourne autour de la propagande sur l’Union européene.

 

En effet, qui pourrait être contre sauver les poissons, contre la paixcontre la démocratie, contre les droits d'auteurs des petits artistes, etc.

Il faut toujours faire attentions aux trucs trop "bon" (dans le sens manichéen) qui émanent des lobbys bruxellois, il y a souvent une embrouille dessous.


 

ÉPILOGUE

Je finis cet article et une question deumeure. Quels intérêts et mécanismes allient dans un même scénario : une officine néoliberale américaine, une pétition pour sauver des poissons, l’Union européenne, nous français et le blog tout à fait fascinant de Pénélope Bagieu.

 

Je continue de m’interroger sur ces faits :

- Qu’est ce que raconte l’identité des financeurs de ces campagnes contre le chalutage profond ?

- Est-ce que de la BD et de la vidéo, on ne garde pas l’idée essentielle que : l’UE c’est bien, qu’elle ramène dans le droit chemin les Etats qui n’en font qu’à leur tête (nous français dans ce cas précis).

- Pourquoi nous faire croire que nous, citoyens, avons un quelconque poids sur les décisions de l’UE en nous invitant à signer cette pétition ?

- Pourquoi sous-entendre le mauvais rôle de la France seule contre le reste de l’union !
Il y a de quoi se poser des questions...


Malgré tout ça, je réussis à me réjouir que les deux pétitions (celle de Bloom et celle de Ocean2012) ont récolté plus d’un million de signatures. On va quand même pouvoir sauver les poissons !

Ironie du sort, le vote a eu lieu quelques jours plus tard (le 10 décembre 2013) et la proposition n’est pas retenue - Ou plutôt, la proposition de “laisser-faire” est retenue (notez la nuance).


Vous pouvez constater les votes sur Votewatch : http://www.votewatch.eu/en/north-east-atlantic-deep-sea-stocks-and-fishing-in-international-waters-draft-legislative-resolution-2.html

Dans l’histoire, les français ne sont pas vraiment les méchants « bloqueurs » de vote comme le dit Pénélope. En effet avec 37 voix POUR et 31 CONTRE, le pourcentage français est proportionnel au vote global européen.

Une pétition regroupant plus d’un million de signatures n’aurait donc absolument aucun poids sur un vote. (1 Million c’est la population chypriote, ou deux fois la population du Luxembourg). Et on essaie de nous faire croire que le parlement représente le peuple ? J’ajouterai que les textes à voter ne sont pas proposés par le parlement mais par la Commission européenne. Cette dernière n'étant pas élue par les peuples européens peut t’on vraiment parler de démocratie ?


Voilà comment une bande dessinée pour sauver les petits poissons permet d’y voir un peu plus « clair » sur la « démocratie » à l’Européenne.

Merci à Clem & Gilles pour leur aide bien précieuse !

N'hesitez pas à consulter Article50.eu pour en savoir plus sur l'Union européene


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