Les entreprises françaises prennent-elles en compte les aspects sociaux ou environnementaux dans leur communication ?

par Pascal de Lima
jeudi 10 février 2011

La loi NRE, L’aspect social et environnemental des entreprises françaises
 
Quand l’ONU a lancé le concept de « développement durable » en 1987, elle le définissait alors comme « un développement répondant aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Il s’agissait à l’époque de sensibiliser les hommes et les entreprises à l’importance des aspects sociaux et environnementaux dans la dynamique du développement économique, condition même de sa propre durabilité.
 
Deux décennies et quelques crises plus tard, de nombreuses entreprises se targuent d’inscrire le développement durable dans leurs stratégies, et prônent l’adoption de la Responsabilité Sociétale des Entreprises. En outre, ces entreprises doivent faire face à une avalanche de normes, provenant aussi bien de lois, de décrets, de directives européennes… Mais qu’en est-il de leur mise en application ?
 
En France, depuis 2001 l’article 116 de la loi NRE (Nouvelles Règlementations Economiques) impose aux sociétés cotées en bourse de publier, dans leur rapport annuel, une série d’indicateurs sociaux et environnementaux.
 
Dans ce contexte, nous avons conduit une étude pour examiner le niveau de conformité des entreprises françaises au regard de ce référentiel légal. Notre démarche se fonde sur l’analyse et la transcription des textes en une liste de critères adossés à des métriques d’évaluation permettant d’attribuer une note globale après agrégation pondérée des données relevées dans les publications d’entreprise. Dans une première campagne systématique, nous avons passé au crible les publications des entreprises du CAC 40. A terme, notre étude s’étendra à l’ensemble des entreprises cotées en bourses, notamment pour enrichir notre analyse sur les aspects spécifiques aux secteurs et caractéristiques de certaines entreprises. 
 
Notre objectif est de constituer une base de connaissances empiriques, pour mieux analyser et éclairer les interdépendances entre les responsabilités environnementales, sociétales et l’efficacité économique des entreprises. Cette étude nous permettra in fine de proposer des leviers et principes en faveur d’une « gouvernance soutenable ». 
 
Présentons d’ores et déjà les grandes tendances préliminaires qui se dégagent du premier échantillon étudié, celui des entreprises du CAC 40.
 
Ce qui frappe de prime abord, c’est qu’aucune société n’a publié la totalité des indicateurs requis par loi NRE en 2008, soit 9 ans après son entrée en vigueur ! Même en ce qui concerne le meilleur élève, près de 20% des indicateurs requis sont manquants. A l’opposé, les mauvais élèves n’en publient que 20% : nous observons donc une forte dispersion (voir Figure 1). Ce premier résultat est pour le moins inattendu, alors même qu’il concerne un échantillon de taille modeste, homogène et qui plus est constitué du « fleuron » de l’économie française. Par ailleurs, seul un quart des sociétés du CAC 40 respecte au moins 50% des obligations environnementales imposées par la loi NRE.

Figure 1 – Résultat de synthèse de la notation des entreprises du CAC40 selon notre approche : ce graphe positionne les entreprises les unes par rapport aux autres en fonction de leur score sur les composantes sociales et environnementales (normalisées par rapport à la note de l’entreprise leader selon chaque axe). La note maximale de la composante environnementale est de 8,73/10 et sociale de 9,3/10.
 
D’après notre analyse, il se dégage clairement une concentration de sociétés dans le cadran supérieur gauche, alors qu’à l’opposé, le cadran inférieur droit est quasiment vide. Schématiquement, cette distribution montre que la communication des entreprises étudiées privilégie les aspects sociaux au détriment des indicateurs environnementaux. Or, nous observons que de nombreuses entreprises privilégient dans leur communication la conformité au modèle GRI3, moins exigeant, au détriment de la loi NRE. Cet alignement sur un référentiel international semble naturel dans le cas précis des entreprises du CAC 40, puisque leurs activités se déploient largement hors les frontières…
 
Les enseignements que nous pouvons en tirer sont multiples : 1- Dans une économie mondialisée, composée de groupes transnationaux, le référentiel « durable » doit être global, homogène et unique pour faire sens ; 2- En l’absence d’un tel référentiel, les sociétés internationales tendront « mécaniquement » à s’aligner sur le référentiel le moins-disant ; 3- Les initiatives gouvernementales locales (cf. Loi NRE) semblent vouées à l’échec mais elles ont le mérite de contribuer à éduquer et éveiller les consciences dans la sphère économique et citoyenne. Il vaut mieux parier que dans la durée, la somme de ces contributions persistantes permettra d’établir les bases de nouveaux standards plus exigeants, et surtout, universels.
 
Pascal de Lima, économiste en chef au sein d’Altran Financial Services et enseignant à Sciences-po

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