Les nouveaux sans-culottes : les sans-cravate

par morice
jeudi 17 juillet 2008

Dans tout le flot d’infos plus ou moins sérieuses survenues ces derniers jours, il y en a une qui m’a mis particulièrement en joie. Celle d’un député "vert", François de Rugy, qui a demandé à ne plus porter de cravate à l’Assemblée Nationale, afin de faire gagner quelques minutes de climatisation, la cravate ayant pour effet naturel de faire chauffer celui qui la porte. Refus sévère de l’étiquette  : "les huissiers nous surveillent, ils ont des consignes strictes  : interdit de rentrer habillé autrement", raconte France-Soir, le 3 juillet. "J’ai feuilleté le règlement de l’Assemblée et pour le moment, je n’ai pas lu cette règle vestimentaire" ajoute le député. Une interdiction sans réglement de référence ça, ça me tord de rire. C’est surréaliste. Ça me fait sourire pour une raison simple  : j’ai 57 ans et me targue de ne jamais avoir porté de cravate de ma vie. Pourquoi  ? Parce que j’ai toujours trouvé ce machin moche, encombrant et inutile. Et particulièrement ennuyeux à porter  : j’en ai vu des cravates atterrir dans le potage, d’autres se prendre dans les fermetures Eclair, d’autres encore aveugler celui qui la portait, courant pour prendre son train et se prendre un gadin monstrueux. La cravate est inutile et encombrante, et n’a donc qu’un intérêt de représentation. Sans elle on n’est pas un homme, sans elle on est impoli. Et depuis hier, en France , sans elle on n’est pas député  !!! Ou l’on n’a pas non plus le droit d’entrer dans l’ambassade de France au Liban. A l’Assemblée, notre homme de continuer  : "Dans le Nord — Pas-de-Calais, le président du conseil général a déjà pris cette disposition et au Japon, le Premier ministre a lancé l’idée il y a quelques années. C’est un geste simple, cela ne coûte rien de le faire. Nous légiférons pour qu’il y ait des avancées en matière de développement durable mais l’Assemblée est en queue de peloton dans ce domaine. Bernard Accoyer nous a invités à utiliser les escaliers plutôt que les ascenseurs pour lutter contre l’effet de serre. Il faut continuer sur cette lancée." C’est vrai ça  : à quoi sert donc cet acoutrement vestimentaire devenu uniforme obligatoire de députés et pompe à chaleur à la fois  ? Est-il aussi fondamental et indispensable que ça  ?

Billevesées. On m’avait dit lors d’un de mes exams, dans les années 70, "n’y va pas sans cravate, tu vas te faire tuer, le prof de géo est réac et note mal ceux qui n’ont pas de cravate"   : voyez où ça peut aller, la connerie humaine. Dans le couloir, j’étais le seul en polo. Ce n’est pas pour ça que j’ai réussi mon exam’  : tout le monde s’était mis en tête que c’était obligatoire, alors que ça ne l’était pas. Je n’ai donc jamais porté cet accoutrement que je juge ancestral et anecdotique depuis toujours. A peine ai-je porté un bolo-tie, (deux en fait  !) parfois, dont un orné d’un Remington Navy, superbe pistolet, moins bien connu que le Colt. On peut admirer une superbe collection de bolo-ties ou "bolas" au Desert Caballeros Western Museum de Wickenburg, en Arizona  : logique, ils ont été inventés dans cet état par Victor Cedarstaff, les plus beaux étant ornés de motifs des indiens Zuni. J’en ai acheté des accessoires de ce type, à une époque, tout ça chez "Cow-Boy Dream" à Paris, un magasin qui existe encore. Le must chez eux  : les pointes de col de chemise, le cauchemar du repassage et j’ai même toujours gardé depuis ce temps ma ceinture Nocona au confort incomparable  !

Ça ou un amusant petit nœud de cow-boy texan qui a l’avantage de se fixer par deux pinces, le nœud étant déjà fait. Le mettre ou le défaire prend 15 secondes, parfait avant le cocktail de mairie ou la manifestation préfectorale. On arrive, et selon l’ambiance on se déguise ou non en Robert Mitchum de la Nuit du Chasseur. On n’est pas obligé de passer ses doigts au marqueur pour autant ("Love" d’un côté, "Hate" de l’autre, ne pas se tromper, ça foit pouvoir se lire comme ça et non dans l’autre sens  !). Surtout en préfecture. J’ai fait ça vingtaine de fois dans ma vie, sans plus. Je me sens vite étranglé, sauf avec le faux-nœud à pinces, et je suis incapable de faire un nœud de cravate normal. Alors que je sais naviguer et faire des nœuds rigolos  : d’écoute, de tête d’alouette, de cabestan.... un jeu d’enfant, on m’avait dit  : je n’ai jamais été fichu d’y arriver . Quand je pense qu’il y en a pour vous faire des pages entières sur comment assortir votre étrangleuse à rayures avec votre tête des mauvais jours, j’hallucine.

Gare à ceux, selon ses doctes conseillers, qui ont le visage rond (ça n’est pas mon cas, ouf)  : "Si votre visage est plutôt rond ou ovale  : Il faudra alors privilégier des cravates avec des motifs simples comme des petites fleurs, des petits feuillages ou animaux d’un demi centimètre, cravates de 1 à 2 couleurs avec des petits ronds. Pour ne pas se tromper, choisissez une cravate unie  !". Je comprends mieux pourquoi mon receveur des Postes à la bouille comme un bocal à poissons rouges arbore toujours un véritable zoo autour du cou  ! Et purée, je découvre avec horreur qu’il n’y pas une seule sorte de nœuds mais... neuf (fondamentaux) J’aurais tendance personnellement à privilégier le nœud Atlantique, vu que de loin, comme ça, on dirait un noeud de lacet... C’est de loin le plus moche, ça me va très bien, puisque de toute façon... je n’en mets pas. Et puis de toute façon, question goûts, faut demander l’avis des femmes Et moi, ma femme, ça tombe bien, elle déteste les cravates. La séduction, nous disent les magazines de mode, ça passe par le vestimentaire. A voir mon bon président, je n’en suis pas persuadé. Une femme à poils, c’est bon pour faire une pub Aubade qui traîne dans tous les bureaux des gros machos. Et ça laisse la désagréable impression que rien n’est à conquérir. Tout l’inverse de la séduction, donc. Enlever, ("effeuiller" ils disent mais je suis rarement sorti avec des arbres) c’est mieux que déjà déballé, ça fait moins surgelé. Et s’échiner dix minutes sur des fermetures de sous-tifs, ça fait rire tout le monde... La maladresse est un gage de séduction masculine évidente  : un fou-rire, et déjà le courant passe. L’amour triste, aucun intérêt.

En revanche, notre bon président a plutôt l’air de faire lui une petite fixette sur cet accessoire... Une fixation démarrée jeune. Et demeurée bien vivace chez lui. Figurez vous en effet qu’il vient d’offrir aux 732 députés européens, pour se faire aimer sans doute, une malette. Dedans, crayon, bloc-notes, stylo (bleu-blanc-rouge si on compte l’effaceur  ?) et ... une cravate-surprise. Grise. Plutôt gris clair. Je sais pourquoi, au moins aujourd’hui je n’aurais jamais pu devenir député européen... moi, ça ne me fait trop rien, donc. En revanche pour le bon tiers de députés femmes qui composent l’hémicycle, le geste a plutôt été perçu comme un sommet de goujaterie ou de machisme... ou comment la cravate nous conduit directement à la parité....ou à son absence. Dans la tête présidentielle, il y a encore du travail à faire. Chez ses fistons aussi d’ailleurs.  Et si vous voulez avoir une idée de la cote d’amour à Bruxelles de notre président toujours encravaté, sauf quand il fait son jogging, (qu’il semble d’ailleurs avoir abandonné car plus assez médiatique), offrez-donc une cravate à votre femme. Et tendez la joue droite, ça ne devrait pas tarder à arriver. Nous avons un président goujat, faudra bien s’y faire. Plus de deux cent femmes sur le dos, voilà un joli chiffre venu de Bruxelles, pour ceux qui se plaignent qu’ils sont toujours mauvais.



En prime notre député anti-cravate, au moins, ne ment pas  : sur son site, il n’en porte effectivement pas. L’homme soutien une demandeuse d’asile et c’est tout à son honneur de député à idées. Il s’est engagé aussi pour restreindre l’accès aux Corridas pour les mineurs, chose que je partage également  : les bonhommes à pompons, pantalons moulants moule-fesses et chapeaux de Mickey qui trucident des taureaux, ça m’a toujours paru hors du temps et incongru, voire grotesque. Me plaît bien le bonhomme, disons  : or je ne suis pas plus vert que communiste.. ou musulman. Mais je déteste les cravates. Comme lui déteste les OGM, contre lesquels il s’était bien battu ces dernières semaines. En saluant le rejet du projet et en claironnant à l’Assemblée «  ce vote est un vote de résistance aux pressions économiques et financières effectuées par les grands groupes de l’agrochimie  ». On a beau être vert, on n’est pas un légume dans l’hémicycle. Même par 35°C et sans arrosage.

Tout ça, remarquez, ça ne nous dit pas comment on a réussi à faire porter pareil bazar idiot aux gens. A vrai dire, c’est un histoire assez tordue. Un peu comme le cou de David Martinon, expédié cravate comprise promptement aux States pour crime de lèse-majesté. Ou celui de Bachar el-Assad à qui on pourrait facilement mettre dix cravates empilées (ou dix nœuds coulants, j’en connais que ça ne gênerait pas trop). Depuis son éjection de l’autre côte de l’Atlantique, il s’est bien libéré de toutes ses contraintes, notre porte-parole muet préféré. La cravate peut donc bien être aussi la preuve d’une certaine servilité, ou le symbole de toutes les humiliations hiérarchiques. ’’La cravate est un symbole d’aliénation, de pouvoir ou le signe d’une attitude réservée ’’ nous dit il est vrai Paulo Coelho. J’approuve et les trois en même temps pour sûr. Il suffit de comparer Steve Jobs à Bill Gates pour s’en apercevoir  : l’un a tous les pouvoirs et une cravate, et n’en fait rien de bon sinon que reproduire ce que d’autres lui apportent sur un plateau, l’autre écoute, réfléchit, prend des risques et innove constamment. L’un a un polo, un jean et des baskets et lance des objets inimitables, l’autre à un costume et une coupe de cheveux ringardes et se plante à chaque tentative de faire du neuf  : le Zune, Windows Mobile, Vista. L’un est charismatique, l’autre.... banal et empesé. Le second est reçu par beaucoup de gens, dont le président, pas le premier. Oui, mais Bill Gates a une cravate, lui.

Mais revenons à l’historique de l’engin de torture pour députés. Selon tous les historiens, ce ne sont pas les Bourgeois de Calais qui ont inventé la cravate comme je l’avais toujours pensé jusqu’ici (auquel cas j’ai cru voir un soir il y a quelques mois à la télévision une tentative irakienne de relancer la mode). Non, au début, au XIVeme, c’est un bête foulard, noué d’ailleurs n’importe comment. J’aurais du naître il y a sept siècles  : le "n’importe comment" est pour moi une bonne façon de s’habiller. Le nom viendrait du croate "Hrvat", (à vos souhaits) des soldats de cavalerie légère du roi... ce qui pourrait expliquer cette immonde cravate Lustucru vue un jour sur un de mes anciens supérieurs hiérarchiques. Qui avait vite hérité dans ses services du surnom de la marque de pâtes. On passe les abominables "fraises", bidule de dentelle encore plus ridicule, pour en arriver au XVIIeme siècle et sous Louis XIV où ça devient un mélange de rubans à plus ou moins discipliner. Evidemment, s’est réservé à une partie de la population  : le paysan au champ est toujours cou nu (et tout bronzé, chanson à boire célèbre pour décérébrés). Avant le bronzage était pour les pauvres, aujourd’hui c’est réservé aux riches.

Et puis survient la bataille des Flandres, car le truc imméttable a été inventé...chez moi, à Steinkerque en 1692 lors d’une bataille bien classique. C’est alors un simple foulard noué dont on passe les bouts dans les boutonnières. Elle tombe très vite en désuétude, remplacée par la Crémone ("Simone, ou as-tu mis ma Crémone  ?") puis par un carré de dentelle nouée. On joue sur les tons  : noir dans la journée, blan le soir... et arrive le XIXeme, où l’étiquette royale fait place aux flonflons de la République. On passe avant par le le "stock", une sorte de col plastron montant et à partir de là ça se dégrade sec, la mode s’emparant du bidule immonde, ca devient une obligation d’en avoir une en société pour ne pas passer pour un rustre. Un freluquet prétentieux comme pas deux fait alors la une des gazettes avec ses fringues au cordeau et ses foulards noués, c’est le Beau Brummell, empereur déclaré du dandysme. C’est de lui que vient l’horreur, appellée alors Régate (ou Ascot) L’homme est anglais, et il a dû se réfugier en France car poursuivi par ses créanciers. Ruiné, il adopte le noir à la place du blanc... trop salissant. Il apporta avec lui cette satanée limace avec ses variantes de nouage et ses hauts de forme. Balzac et bien d’autres en font la renommée, puis arrive le XXeme siècle ou un couturier américain Jesse Langsdorf à (enfin) l’idée de simplifier le truc en le découpant en trois morceaux à assembler dans la diagonale du fil pour plus d’élasticité  : nous sommes en 1926 et la cravate actuelle est née. Dans les années 70, avec la vogue des t-shirts elle perd énormément de terrain, on la remplace par des foulards de couleur ou des colliers (les Stones, qui ont démarré encravatés, ou Hendrix en arborent), et il faut des grands couturiers comme pour la relancer, dont Pierre Cardin. Qui ira puiser chez Vasarely les horreurs nouvelles (et achétera quand même les incroyables maisons boules de Antti Lovag, faut bien se rattraper). On assiste au grand retour des cravates à pois et des chanteurs qui vont avec, et même aux cravates de tontons flingueurs. Au même moment, un vrai "kid" né en 1970 révolutionne les cours de tennis en abandonnant le blanc obligatoire, en s’affublant de shorts longs fluos de surfer et en arborant des coiffures invraisemblables  : c’est André Agassi, le trublion de la terre battue. Il mettra vingt cinq ans pour faire le chemin adverse et devenir le garçon encravaté le plus attachant des courts. L’habit n’a jamais fait le moine, et André le coigneur en est l’exemple vivant. Il s’habille comme un plouc de plage mais frappe comme un dieu des stades. Le vieux monde des institutions vestimentaires s’effondre progressivement, malgré la résistance émérite de Gilbert Bécaud et de Roger Gicquel. (Admirons au passage le décor de TF1 à cette époque  : tenir éveillé devant un tel psychédélisme relevait de la prouesse cérébrale).

Et comme dans les années 90 c’est une forme nouvelle de capitalisme sauvage qui s’instaure... la cravate fait son come-back. Celle du trader ou de l’attaché commercial prêt à vendre sa sœur pour remporter le marché. On a même alors droit au "manuel du bien porter la cravate" pour faire des affaires dans ce bas monde. La mondialisation vue sous l’angle de l’étrangleuse, ça devient croquignolet  : "Selon que l’on se retrouve dans une usine, un restaurant chic en ville, dans un bureau ou dans une boîte de nuit, il convient d’adapter l’appendice de tissu à la situation. Pour chaque pays enfin, il est conseillé de se renseigner sur la signification des couleurs pour éviter des erreurs qui pourraient compromettre le bon déroulement des affaires. En Chine, le jaune a une connotation pornographique tandis que le rouge porte chance par tradition. Le blanc est à éviter car synonyme de deuil dans ce pays ainsi qu’en Inde et au Japon". Je sens qu’on va me dire un jour qu’on n’a pas été fichu de vendre des Rafales au Maroc à cause d’un clampin qui arborait ce jour là un "appendice de tissu" à chameaux ou dromadaires...et dont le nœud parmi les 85 existants à ce jour n’était pas le bon  ! Même le show-bizz s’y est mis, la cravate nous joue en fait un dernier come-back. Sous la forme il est vrai de bout de ficelle infâme pour geek branché. Et ce, jusqu’au rugby, où c’est devenu une vraie figure de style... Mais ça sent la fin...

Car, finalement, on ne nous étrangle que depuis 82 ans. Historiquement, c’est assez peu, si bien qu’on peut raisonnnablement tabler sur une disparition rapide de cet accessoire de torture masculine. L’idée fait son chemin, parait-il  : même en haut lieu une révolution est en cours  : les cols roulés sont déjà de retour  !

Mais pas à l’Assemblée Nationale  : le 10 juillet, une dépêche nous annonce chaudement que "le bureau de l’Assemblée nationale a décidé de maintenir le port obligatoire de la cravate dans l’hémicycle pour les députés hommes, selon le compte rendu de cette réunion du bureau". Avec une explication à se rouler par terre à nouveau  : "le bureau, qui regroupe autour du président Bernard Accoyer (UMP) des députés de la majorité et de l’opposition, a également souhaité "rappeler à tous les membres de l’Assemblée la nécessité jusque là observée d’avoir en toutes circonstances une tenue respectueuse des lieux". Des bâtiments "respectés" par des cravates, il n’y pas, en France, à l’assemblée nationale, le surréalisme n’est jamais très loin.

PS  : Si on pouvait éviter les fines allusions sur les cravates et une autre institution chargée de rédiger des actes administratifs, je ne m’en plaindrais pas, tout au contraire. Ce qui compte, en définitive, pour ceux qui en portent une, c’est bien ce qu’il y a...derrière la cravate.


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