Les pétroliers nord-américains défient la planète
par Henry Moreigne
mardi 6 février 2007
Au moment où Jacques Chirac lance ce qui devrait devenir pour l’histoire l’appel de Paris en faveur d’une révolution pour l’environnement, le Canada va quintupler, sous la pression des Américains, sa production de pétrole à partir de sables bitumineux. Une catastrophe écologique en perspective. Outre les dégâts sur un environnement très fragile, l’extraction d’un seul baril de pétrole des sables bitumineux de l’Alberta génère plus de 80 kg de gaz à effet de serre (GES) et entraîne le rejet de plusieurs fois son volume en eaux usées dans les bassins de décantation.
Il y a un an, dans son discours sur l’état de l’Union, le président George W. Bush avait déploré la dépendance des Etats-Unis à l’égard des importations en provenance du Moyen-Orient et avait proposé de réduire des trois quarts les importations de pétrole provenant de cette région. Mais, ce que l’on perd d’un côté, il faut bien le retrouver ailleurs. Et, cet ailleurs, ce fournisseur proche et sûr, a pour nom Canada, déjà principal exportateur de pétrole aux États-Unis.
Pour atteindre cet objectif fixé à court terme, une seule solution. Développer l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta dont les réserves contiendraient un volume de bitume d’environ 1,7 trillion de barils. Le renforcement de l’exploitation, dégradante pour l’environnement, nécessitera également de construire de nouvelles raffineries et de nouveaux oléoducs pour transporter le brut albertain aussi loin qu’en Californie et dans le sud du Texas.
Des perspectives inquiétantes d’autant qu’un document co-produit par le ministère canadien des Ressources naturelles, recommande aux gouvernements canadien et albertain de simplifier le processus d’approbation environnementale pour les projets énergétiques.
Radio-Canada a éventé l’affaire au grand public canadien. Dans un documentaire, les journalistes ont avancé l’hypothèse selon laquelle des négociations auraient été menées en sous-mains par les président Bush et le Premier ministre Stephen Harper et auraient débouché sur un accord secret. Dans une lettre signée de sa main, le Premier ministre canadien dénoncerait notamment le protocole de Kyoto dont l’application nuirait gravement à l’industrie des hydrocarbures, qui est essentielle aux économies de Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle-Ecosse, la Saskatchewan, l’Alberta et la Colombie Britannique.
Les sables bitumineux sont un mélange de bitume brut, qui est une forme semi-solide de pétrole brut de sable, d’argile minérale et de l’eau. Leurs gisements représentent une importante source de pétrole brut de synthèse et se trouvent notamment au Canada dans l’Etat de l’Alberta et au Venezuela dans le bassin du fleuve Orénoque. Ce bitume n’est pas à proprement parler du pétrole, il est au moins cent fois plus visqueux et nettement plus dense. Pour comparer à égalité ce bitume avec des réserves de pétrole conventionnel, il faut déduire l’énergie nécessaire à son extraction et sa transformation. L’envolée du cours du baril a rendu son exploitation économiquement rentable depuis quelques années.
Son extraction, principalement de type minier, à ciel ouvert avec des camions de carrière de 300 tonnes, et sa transformation en usine sont en revanche catastrophiques au plan écologique pour la forêt boréale et les tourbières qui jouent un rôle important de pièges à carbone. Il faut traiter deux tonnes de sable environ pour récupérer un seul baril de bitume. Trop visqueux pour être transporté par canalisation et donc commercialisable, il faut, soit lui ajouter des diluants, soit le transformer chimiquement pour obtenir un mélange proche d’un pétrole brut de bonne qualité. Or, cette transformation rejette dans l’atmosphère des gaz toxiques tels que l’anhydride sulfureux responsable de l’acidification des lacs et des forêts et constitue une source importante de pollution. Cette activité, qui demande de grandes quantités d’eau et génère énormément de gaz carbonique, amènerait suivant la tendance actuelle le Canada à dépasser de 44% les niveaux permis par le Protocole de Kyoto en 2010.
"L’affaire" n’est pas seulement américano-canadienne. Jamais notre planète n’est apparue aussi petite et fragile. Les atteintes qui lui sont portées dans des contrées même les plus reculées ont des répercussions inattendues à des milliers de kilomètres. Cette globalisation de la pollution nécessite une réaction des opinions bien au-delà des seuls éco-citoyens canadiens.