Les territoires à énergie positive
par Bertrand Cassoret
lundi 9 avril 2018
Cet article est extrait du livre "Transition énergétique. Ces vérités qui dérangent ! " sorti en mars 2018 aux éditions De Boeck [1].
Certains territoires, comme certaines maisons, prétendent être « à énergie positive ». On confond souvent alors énergie et électricité : si un territoire peut produire plus d’électricité qu’il n’en consomme, cela ne signifie pas qu’il est à énergie positive, puisque l’électricité représente moins du quart de la consommation d’énergie.
D’autre part, on retrouve le problème de l’intermittence et du stockage : à moins de disposer d’une géographie très favorable permettant une production d’électricité renouvelable pilotable par des moyens comme l’hydroélectricité ou des centrales au bois, des échanges d’électricité sont nécessaires pour assurer la disponibilité de la puissance électrique à chaque instant. Ces territoires ou maisons peuvent produire en moyenne plus qu’ils ne consomment grâce à des éoliennes ou panneaux solaires, mais ils absorbent à certains moments de l’électricité produite ailleurs.
Dans un de ses rapports [2], Réseau de Transport de l’Electricité prend l’exemple d’une ville qui réussirait à produire chaque année autant d’électricité qu’elle en consomme grâce à l’éolien et au photovoltaïque et précise que « bien que la puissance installée renouvelable soit pratiquement le triple de la puissance consommée à la pointe, cette ville
aura cependant besoin de la même capacité de réseau pour sécuriser son alimentation (sauf à lui substituer un stockage local, une production de secours locale ou organiser des effacements) ».
Symbolique, l’île d’El Hierro aux Canaries est présentée comme énergétiquement autonome grâce aux énergies renouvelables. Là encore, on confond électricité et énergie, les avions, bateaux et voitures fonctionnant très peu grâce à l’électricité… Cette île à faible densité de population a la chance de bénéficier d’une géographie très favorable : beaucoup de vent pour les éoliennes, et surtout du relief permettant un stockage par Station deTransfert d'Energie par Pompage grâce à deux énormes bassins de rétention d’eau de 150 000 m3 séparés par 650 mètres de dénivelé. En réalité, durant le deuxième semestre 2015, c’est le fioul qui a assuré en moyenne 70 % de la production d’électricité [3]. Sur les deux premières années de fonctionnement, l’île n’a réussi à se passer de fioul pour la production d’électricité que pendant vingt-quatre heures. C’est déjà un exploit, et il est possible que les performances futures s’améliorent. Mais cette technologie n’est absolument pas généralisable à des territoires plus densément peuplés, moins ventés, et surtout ne disposant pas de collines ou de montagnes pour y créer d’immenses bassins de rétention d’eau.
[1] Bertrand Cassoret, Transition énergétique, ces vérités qui dérangent !, éditions Deboeck, 2018.
[2] Réseau de transport de l’électricité, Les Enjeux du développement du réseau. Schéma décennal de développement du réseau de transport de l’électricité, édition 2015.
[3] Hubert Flocard, « El Hierro, une île à électricité 100 % renouvelable ? », 2016, http://sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/etudes/160129_GDV_SixMois_VF.pdf