Maintenant nous sommes plus forts, nous avons Alternatiba

par Roland Gérard
mercredi 30 septembre 2015

« Alternatiba  » veut dire « alternative » en basque et s’affiche comme « un grand évènement citoyen pour le climat ». Mais j’y étais à Paris les 26 et 27 septembre et je peux dire que c’est bien plus que ça. Pourtant rien que ça, c’est déjà énorme.

5 600 kilomètres de vélo parcourus depuis le printemps. 187 étapes avec comité d’accueil et ambiance festive, comme autant de lieux, autant de terreaux agissant, respirant, où l’on serait venu semer une graine. 400 associations et organisations mobilisées ce week-end d’automne place de la République, 25 000 visiteurs le samedi, 30 000 le dimanche. Le même jour, c’était aussi Alternatiba à Grenoble, Montpellier, Le Havre, Mimizan, La Loire, Bergerac, Marne-et-Gondoire, Audincourt, Lorient, Sancé, plus de 100 villages Alternatiba se sont montés en France et à l’étranger. Ça, déjà ça, c’est énorme ; mais il faut dire aussi les couleurs, il faut dire les sourires, dire la décontraction, dire la musique, la gentillesse, l’amitié, la fraternité qui était là à chaque pas, à chaque instant. Il faut dire le don. Il faut célébrer le don parce que l’on a mangé sans payer le dimanche midi et que c’était aussi étonnant que bon. Des centaines avaient épluché.

Nous sommes neufs

Quelle démonstration ce mouvement Aternatiba. La place de la République est devenue le lieu idéal pour changer. Alimentation, habitat, énergie, éducation… 14 quartiers thématiques composent le village, autant d’endroits où l’on peut se rendre compte que l’on peut faire autrement au quotidien, que d’autres déjà le font et que c’est bon pour le climat. Autant dire bon pour nous, bon pour nos enfants et les rouges-gorges qui en ont bien besoin. 170 organisations environnementales, sociales, solidaires et syndicales soutiennent Alternatiba, mais elles sont discrètes. On dirait que le slogan, qui est une des raisons du succès du rendez-vous de Glières tous les printemps : « ni badges, ni banderoles… », s’applique ici aussi. Les organisations sont discrètes dans leur affichage et c’est bon ainsi. Un seul mot dépasse des autres c’est Alternatiba et c’est bien. Nous sommes neufs !

Alternatiba c’est un style

Quel démonstration ce mouvement Alternatiba quand on sait qu’il s’est créé en 2013 à Bayonne. Né il y a deux ans, il fait sens pour des centaines de milliers de personnes aujourd’hui. Oui il fait sens et on peut annoncer quelques traits de caractères bien marqués. Alternatiba c’est tout sourire, c’est peut-être ce qu’il y a ici de plus merveilleux. Les visages croisés tant dans les stands que dans les allées sont souvent détendus et avenants, parfois éclatants de bonheur. Alternatiba c’est légèreté. Jamais, à aucun moment, je n’ai entendu de discours péremptoire, assommant. Pas d’idéologie ici, pas de dogmatisme, en un mot pas de domination, mais une ouverture permanente, une écoute, une disponibilité, une confiance, du pragmatisme. Voilà c’est ça Alternatiba c’est un style. Alternatiba c’est ensemble l’art et la lutte. Il fait du vélo à deux mètres au-dessus du sol, elle plante des camions, elles se déguisent en animaux des grand fonds, un énorme cheval de Troy est au pied de la statue de la République… la créativité est là qui s’impose à nous et vient nous titiller l’imaginaire à chaque instant. Alternatiba c’est un esprit résolument constructif, on est dans le faire. Alternatiba c’est cohérence avec des poubelles bien placées et des bénévoles qui nous disent comment faire pour bien trier… Alternatiba c’est en train de devenir espérance.

« En crèche on n’a pas l’Education nationale sur le dos » 

Il y avait une cinquantaine de participants au débat sur l’éducation à 16 h au collège Louise Michel au bord du canal Saint-Martin. Catherine Chabrun est enseignante et rédactrice en chef du Nouvel Éducateur, la revue du mouvement Freinet ICEM. Elle parle d’une « école trop fermée », de ces enfants qu’ « on n’écoute pas assez ». Elle dit qu’il « faut décloisonner ». Charlotte Douillet est vice-présidente du REFEDD, Réseau Français des Etudiants pour le Développement Durable. Elle dit que les étudiants ont « une connaissance des enjeux, mais une connaissance concrète faible » et qu’à l’heure d’agir « ils ne savent pas comment s’y prendre ». Florence Herrero est enseignante et conseillère d'arrondissement déléguée chargée de l'éducation au développement durable dans la mairie du 20ème. Elle parle de l’écoparlement des jeunes qu’elle est en train de mettre en place dans sa classe avec le GRAINE île de France. Elle dit ses difficultés avec l’Education nationale qui ne facilite pas la mise en œuvre de projets. Elle lâche : « je suis en colère contre l’institution ». Claire Grolleau-Escriva est présidente de l'association Ecolo-Crèche. Elle lâchera : « En crèche on n’a pas l’Education nationale sur le dos », que « les enfants sont ravis de se reconnecter avec la nature »… Pascal Diard est professeur d’histoire-géographie et formateur au Groupe Français d’Education Nouvelle GFEN. Il dit qu’en classe « nous sommes ensemble pour comprendre le monde ». Il dit que « développement durable n’est pas un terme qui lui convient », que son but c’est « l’élévation des consciences », qu’ « il faut que le débat s’engage, dans le débat, les prises de conscience arrivent ». Lors du débat avec la salle une principale d’établissement dira : « l’Education nationale c’est vrai, c’est une chape de plomb ».

Coopération et non compétition

Il y a aussi des témoignages. Marianne Figarol du réseau des bâtisseurs de possibles Synlab, nous parle d’une démarche en quatre phases pour que les enfants reprennent confiance : ils observent, imaginent une solution, réalisent, puis partagent. Caroline Sost de livingschool dit que « le changement commence par nous », elle parle de « savoir être » de « logique de coopération et non de compétition ». Elle dit : « nous avons besoin, nous adultes d’avoir confiance ». L’école Vitruve parle de l’enfant qui « prend en charge ses apprentissages ». Un participant dit lui aussi qu’il « en a marre d’entendre parler de développement durable », que « les pédagogies actives ne sont pas valorisées ». Un autre participant s’érige contre le mot « éducation » et préfère parler « d’éveil ». Il ajoute : « il faut apprendre aux enfants à respirer ». Une directrice d’établissement des Ardennes s’insurge contre les magasins Leclerc, le Crédit Agricole, Total, le GNIS… qui imposent leurs marquent dans le monde de l’éducation des enfants. « S’en servent pour leur communication ».

Des enseignants et des animateurs heureux

J’ai dit lors de ce débat au nom du Collectif Français pour l’éducation à l’environnement vers un développement durable (CFEEDD) et du Réseau Ecole et Nature que nous devions nous organiser, qu’effectivement le développement durable ne nous aidait pas, que les cantines bio avançaient grâce à l’engagement des acteurs des territoires qui voulaient simplement que leurs enfants mangent correctement. J’ai dit comme c’était important que nous ayons des enseignants et des animateurs heureux, confiants en eux, que les enfants en ont besoin. J’ai affirmé que les pédagogies actives constituaient un trésor que le vingtième siècle avait négligé mais qu’aujourd’hui dans cette crise climatique où nous avons besoin de citoyens autonomes, aptes à l’esprit critique, innovants et doués d’initiatives, ce trésor il fallait s’en servir. J’ai invité pour conclure tout le monde à s’impliquer dans les quatrièmes Assises de l’EEDD dont le lancement aura lieu en février 2017 et la synthèse en novembre 2018.

« Edgar danse ! »

Les derniers mots à 19 h sur la grande scène ont été émouvants. Edgar Morin a été vibrant. Il nous invite à nous « organiser » et à « penser ». Catherine Dolto, Susan George, Patrick Viveret, Claude Alphandéry sont là autour de Txetx Etcheverry qui nous invite à poursuivre le chemin et nous rappelle la célèbre phrase de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l'ont fait ». Tous sont joyeux et solidaires avec des dizaines de bénévoles montés sur scène. La fête est faite aux artistes qui accompagnent Alternatiba, une chanson est lancée, mon voisin à côté de moi dit : Edgar danse ! Effectivement, porté par la vague d’enthousiasme, Edgar danse ! C’est beau !

Des nouveaux rendez-vous

Pendant ces deux jours on pouvait sentir un pouvoir qui circulait entre les personnes. C’est le pouvoir de la liberté. On sentait un pouvoir qui courrait parmi nous, c’était le pouvoir de la fraternité. Pas un ici qui attend la révolution, d’ailleurs ici on n’attend rien. Ici on se contente d’être là, on se contente d’être vivant, de faire, là et vivant, là dans l’ici et maintenant, disponible. Elle n’est nulle part ailleurs la révolution. Alternatiba participera aux temps forts de la COP21 avec notamment la grande marche du 29 novembre et le village mondial des alternatives au sommet citoyen de Montreuil les 5 et 6 décembre.

A suivre

Roland Gérard

Co-directeur du Réseau Ecole et Nature

 


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