Marin d’eau douce ...
par C’est Nabum
lundi 17 décembre 2012
Le bonimenteur s'encolère
Une critique qui ne manque pas de sel !
Voilà bien la pire insulte qui puisse sortir de la bouche de notre cher capitaine Haddock. Elle a fait recette, elle est devenue référence dans le petit monde de la navigation. Elle se permet également de naviguer en eaux troubles quand deux automobilistes jouent les coqs de basse-cour et s'invectivent perchés sur leurs ergots.
Il me semble urgent de redonner à la marine fluviale, à la navigation en eau douce un peu de ce lustre que l'absence de sel lui a retiré dans l'imaginaire de tous les forbans. La salinité de l'espace de circulation n'en rend pas celle-ci plus complexe. Les difficultés sont d'ailleurs fort différentes sur l'océan ou sur une rivière. Il n'y a pas lieu de vouloir comparer.
Les esprits aventureux et solitaires, les adeptes des grands espaces et des aventures au long cours diront alors que la rivière a deux rives qu'il est bien rare de perdre de vue. J'admets cette remarque, elle limite le champ visuel du marinier quand le marin a l'horizon pour unique compagnon. Ce n'est pas une raison pour mépriser celui qui doit composer avec les courbes et les méandres, les obstacles et les pièges qui n'ont pas besoin d'infini pour menacer le bateau.
Si tout est plus grand, plus fort, plus violent en mer, les difficultés sur la rivière n'en sont pas pour autant négligeables. Il y en a de toutes natures. Les pièges ne manquent pas, les tracas sont innombrables et surviennent bien plus souvent que sur la grande étendue salée. Il est possible d'avoir à surmonter bien des ennuis en l'espace d'une seule journée de navigation.
Alors cessez de nous regarder d'un air condescendant avec ce « marin d'eau douce » qui nous chavire le cœur. Pour aller sur la rivière, il faut la connaître, apprécier ses hauts-fonds, repérer ses cailloux, déjouer ses fausses pistes, ses impasses et ses bancs de sable. Il y a bien des dangers qui paraissent anodins et qui peuvent nous jouer vilains tours et grands tracas.
Les ponts sont les premiers de ceux-là. A part celui de Tancarville, je ne vois pas ceux qui vont troubler l'existence de nos marins d'eau salée. Ils ignorent le risque de s'écraser contre la pile d'un pont, d'être pris par les remous et les restes de l'histoire. Il n'y a pas un pont de Loire qui se franchisse sans difficultés et quand les marins d'antan n'avaient que la force du vent, du courant ou de leurs bras pour surmonter l'obstacle, ils y laissèrent bien des doigts et parfois quelques compagnons.
Alors vos railleries m'exaspèrent d'autant que bien souvent elles ne viennent que de ceux qui sont restés à terre. Que les moqueurs se jettent à l'eau et ils verront s'il est si simple de mener sa barque à bon port ! Qu'ils mettent aussi un peu d'eau dans leur vin et condescendent enfin à venir sur nos bateaux de bois apprécier le paysage tout autant que se rendre compte de la complexité de la manœuvre !
Je pourrais encore vous parler des gués qui nous barrent le passage, des champs de cailloux qui menacent nos coques, des hauts-fonds qui arrêtent notre progression. Il faut avoir l'œil aux aguets, scruter l'onde, regarder chaque indice qui nous permet de lire la rivière. Il faut encore se mettre à l'eau, pousser ou tirer le bateau pris au piège. Nous ne nous en plaignons pas, mais de grâce cessez de penser que ce n'est qu'un jeu d'enfant !
Marin d'eau douce devrait à n'en point douter être un signe distinctif, une remarque glorieuse. C'est une navigation complexe et changeante, un jeu de piste et d'indices, une fusion entre un bateau et une rivière forte de son histoire. C'est un acte d'amour entre des hommes et onde merveilleuse.
Alors, faites-moi plaisir, n'usez plus jamais de cette remarque oiseuse, de cette réplique qui veut blesser. Prenez la peine de nous rejoindre sur nos rivières, d'écouter nos histoires et de regarder les yeux de celui qui tient la barre. Alors, bien douce vous semblera la vie quand vous partagerez ce bonheur ineffable de naviguer sur l'eau qu'elle fut douce ou bien salée !
Marinièrement vôtre.