Mille Vaches sur un Plateau ou comment faire de la Transition écologique… productiviste ?
par redrock
mercredi 16 octobre 2013
L’affaire des mille vaches picardes avait déjà pointé son nez dans les médias dès la fin de l’été 2011 avec l’annonce d’un projet de ferme laitière géante dite des « Mille vaches » associée à un méthaniseur industriel de 1,5MW en Somme dans les communes de Drucat-le-Plessiel et Buigny-Saint- Maclou, membre des Communautés de Communes d'Abbeville et de Nouvion.
L’association de défense Novissen -acronyme de NOs VIllages Se Soucient de leur Environnement- est créée en novembre 2011 regroupant des habitants des deux communes concernées et tous ceux que la dimension industrielle du projet inquiète.
On peut lire dans le Site de l’association Novissen les raisons de cette inquiétude :
• Raisons environnementales concernant les risques sanitaires et la pollution liés à la concentration excessive du bétail et aux résidus du méthaniseur
• Risques encourus par l’agriculture régionale : pression sur le foncier, dumping sur le prix du lait, disparition de petites exploitations, généralisation de ce modèle d’agro business.
• risques particuliers liés au complexe industriel méthaniseur-centrale électrique : incendie, explosion, odeurs, évacuation et épandage des 40000 tonnes/an des boues liquides.
L’ avis positif a été accordé par le Préfet de Région (absent !) le 9 aout 2011 ; la phrase suivante n’est cependant pas très rassurante :
« Concernant le méthaniseur, une évaluation des risques sanitaires induits par les rejets de la combustion du biogaz et du traitement de l'air vicié du bâtiment process a été menée. Elle conclut, malgré des hypothèses majorantes, à l'impact acceptable sur les populations des rejets du méthaniseur (méthane, hydrogène sulfuré, monoxyde de carbone, composés organiques volatils...) en terme toxique et cancérigène. »
Novissen a obtenu la réduction du nombre de vaches allaitantes à 500 (plus les génisses de réserve, au moins 350) car les 3000 ha d’épandage n’étaient pas réunies et le permis de construire a été signé finalement en mars 2013.
Agoravox s’est d’ailleurs fait l’écho de ce projet dans un article paru le 6 mars 2013. Le chantier a commencé dans les jours suivants.
Depuis, des manifestations diverses ont eu lieu, le 12 septembre avec la Confédération Paysanne qui a occupé le chantier, puis le 28 septembre une grande manifestation unitaire sur le site avec participation de représentants syndicaux, politiques divers.
Un recours en justice a été mené mais le dossier reste bloqué et la partie civile n’a même pas eu tous les éléments techniques à sa disposition. Une pétition sur internet a obtenu 41000 signatures.
L’ironie de l’histoire veut que la SCEA (Société civile d’exploitation agricole) porteuse du projet s’intitule « La côte de la Justice », comme quoi la justice est toujours un long chemin de croix.
Aussi l’association Novissen a-t-elle lancé depuis le 11 octobre une action-moratoire par l’envoi d’au moins 2000 lettres au Ministre de l’Ecologie Philippe Martin ; pour participer à cette action on peut en trouver les modalités sur le Site de l’association Novissen.
On peut trouver Sur le site Reporterre un excellent article du non moins excellent ex-journaliste-essayiste du Monde, Hervé Kempf, qui nous rappelle tous les dessous de cette affaire d’agro sous.
On apprend ainsi :
- comment le commanditaire du projet est un magnat local du BTP, propriétaire du groupe Ramery,
- comment il s’est associé contre finance avec des éleveurs du secteur sous forme de SCEA afin de transférer leur quota laitier à la SCEA gérante, produire des céréales pour le bétail et accessoirement épandre les boues résiduelles (il a réuni ainsi plus de 1000 ha, l’objectif final étant 3000ha nécessaires pour l’épandage du projet complet et ses 1800 tête),
- comment la rentabilisation du projet basée d’abord sur les subventions de la PAC et de l’électricité obtenue par cogénération permettrait d’obtenir huit millions de litres de lait/an à 270€ la tonne contre 350 pour une exploitation de 50 vaches,
- comment M.Ramery entend faire de cet ensemble un projet pilote qu’il pourrait ensuite reproduire et commercialiser,
- comment le groupe Ramery, très influent dans la Région, a même vu son nom cité dans les affaires récentes de financement occulte à la mairie de Hénin-Beaumont et comment, dans le projet, le maire de la commune de Buigny est également l’architecte en charge de la construction de la ferme de près de 250 m de long !
La démesure du projet nous interpelle d’autant plus qu’il se pare de l’un des plus beaux habits de la transition agricole, la récupération des déchets, leur valorisation pour la production d’énergie et l’obtention de fertilisants.
Par ailleurs, les tenants du projet se réclament habilement du modèle écologique allemand que nos amis écologistes nous donnent si souvent en exemple ; ils se réfèrent même à des fermes semblables du nord de l’Allemagne : coopérative Milchquelle à Stüdenitz, au nord-ouest de Berlin, héritée de la RDA avec :
23 associés, • Main-d’œuvre : 40 UTH (dont 23 détenteurs de parts sociales) et 4 apprentis dont 24 personnes affectées aux 2040 bovins, • SAU : 1388 ha dont 395 ha de maïs ensilage, 393 de prairies naturelles, 190 ha de blé, 174 ha de seigle, 95 ha de colza, 89 ha de triticale, 24 ha d’orge. • Cheptel : 1030 Prim’holstein et leur suite, soit 984 jeunes bêtes
• Quota : 8 984 565 litres • Référence : 39,7 de MG. Et un méthaniseur de 500 KW.
Vous vous demandez ce qu’est la UTH ? : unité de travail humain ; et la SAU ? :surface agricole utile. J’ai découvert ces termes en lisant les comparatifs de différentes exploitations agricoles bio dans une revue professionnelle.
L’Allemagne a effectivement un temps d’avance sur nous en matière d’écologie et d’agriculture –bio compris-mais tout est loin d’être aussi rose que cela au pays des Verts. Leur bilan carbone global en atteste d’ailleurs : 9,1t CO2/h en Allemagne contre 5,6 en France.
Pourtant des fermes durables utilisant le système herbager d’ André Pochon dans le Nord de la France obtiennent sur des surfaces très moyennes des ratios comparables à la ferme des Mille vaches :
37 ha de polyculture-élevage, 10 ha de céréales (blé, escourgeon, avoine/orge), 3 ha de maïs ensilage,4.5 ha de prairies de fauche (ray-grass hybride / trèfle violet), 19.5 ha de pâtures (ray-grass anglais / trèfle blanc). Environ 2 ha de blé vendus. 136 500 litres de quota laitier pour 30 vaches laitières. L’exploitant annonce même un excédent brut d’exploitation EBE de 40% sur lequel le MEDEF ne cracherait point !
Je suppose qu’il intègre dans ce calcul le montant des subventions européennes de la PAC qui doivent bien avoisiner les 20000 €/an mais que perçoivent aussi de manière proportionnelle les grosses fermes. On peut discuter du principe de la PAC et de la fixation des prix mais c’est un autre débat, et encore faudrait il connaitre la distribution de ces aides européennes.
Le service telepac nous donnait accès jusqu’en 2011 au montant des subventions reçues, mais suite à des demandes de la FNSEA cet accès public est depuis lors très réduit ; ainsi en 2011 le montant des subventions perçues par une structure comparable à la SCEA « Cote de la justice » de l’époque devait être voisin de 115000 euros.
Je connais un exploitant en élevage bovin-viande bio avec auto production de céréales et maïs irrigué sur une quarantaine d’hectare qui touchait alors 54000 €/an.
Pour clore les infos sur la PAC on peut rappeler également que l’agriculture rapporte 11,2 Milliards au commerce extérieur de la France (2012) et que c’est à peu de chose prés le montant perçu de la PAC.
En conclusion quelle peut être la dimension et le mode optimal pour une exploitation agricole ?
Les fermes usines ne peuvent en aucun cas être la bonne solution car dans tous les domaines, social, environnemental, sanitaire, énergétique, la balance avantage/risque penche du mauvais côté.
Les enjeux énergétiques futurs et la conservation des sols doivent nous orienter vers l’agriculture bio plus économe en intrants externes si elle est bien conçue. La dimension optimale dépend alors du type d’exploitation et de la structure foncière locale. Il faut savoir que l’agriculture bio a largement dépassé maintenant le stade expérimental et qu’elle approche voire dépasse dans certains cas les rendements des méthodes classiques mais elle nécessite des apprentissages et des connaissances précises.
J’ai eu l’occasion très récemment (18 septembre 2013) de visiter le plus grand salon européen des techniques et méthodes des agricultures bio et alternatives Tech & bio à Valence capitale de la bio-vallée de la Drome. Ce fut pour moi l’occasion de constater toute la richesse et toute la diversité de ces filières arrivées maintenant à maturité ; tout comme l’agriculture actuelle l’agriculture bio ne sera pas non plus homogène.
Il y avait, représentées dans le salon, des structures allant de 4 à 200 ha (avec 2 associés +1 salarié CDI). Pour l’instant les fondamentaux de l’esprit bio semblent bien ancrés : le respect de la terre, l’équilibre des relations avec l’environnement personnel, social et professionnel, la coopération, la recherche de circuits courts, la volonté d’évolution technique et de connaissances.
Les problèmes du foncier agricole, de l’installation des jeunes et de la pression de l’agro-business resteront cependant les sempiternelles ornières à éviter.