Nature contre nature
par GRL
lundi 10 novembre 2008
Ecologie, Grenelle de l’environnement, Vert, développement durable, puis aussi, effort civique, recyclage, tri des déchets et voiture propre… autant de mots qui résonnent en nous tous finalement, tant d’images confortables pour les uns, angoissantes pour les autres, des images qui tentent à grand peine de nous fabriquer une conscience planétaire, par une tentative d’appropriation globale d’une des dimensions du monde d’aujourd’hui.
Si je devais résumer les découvertes, le développement, le progrès sanitaire, médical, la venue au travers des siècles de nouveaux métiers, de nouvelles disciplines, de nouveaux savoirs, il y aurait alors une chose qui me reviendrait toujours à l’esprit. L’homme semble être mû par une conquête obsessionnelle de tout l’environnement, une conquête, une prise de contrôle du maximum de paramètres influant sur son destin. Rendons-nous compte, il recule l’échéance même de sa mort par cette somme d’efforts, il prend le quasi-contrôle sur une existence entière de risques, sanitaires, professionnels, géopolitiques et sociaux. Il prévoit incessamment, il tente de réguler tout agent extérieur ayant une incidence sur sa vie...
C’est une obsession naturelle, interne à notre espèce, propre à sa condition. Depuis des siècles, l’homme… il fait cela.Et aujourd’hui alors, qu’est-ce que j’entends, qu’est-ce que je lis, finalement ? C’est qu’au bout d’une somme d’efforts inimaginables, l’espèce humaine tout entière est arrivée à épuiser son substrat, elle ne possède plus de terre vierge à conquérir, elle ne découvre plus de procédés révolutionnaires, ne défie plus la physique, ne bouleverse plus le chemin de la conquête universelle et se retrouve devant le constat le plus improbable qu’elle eût pu imaginer : la seule chose qu’elle ne contrôle pas encore sur cette planète est... son propre développement et ses conséquences sur son habitat.
Pas d’intelligence collective de cette espèce, pour réguler sa propre implantation sur une terre devenue trop étroite, les individualités se meurent d’inquiétude aux prémices d’une montée en conscience du fameux sentiment écologique. Mais que représente-t-il ce sentiment écologique ? Quelle est la quantité de vérité qui l’habite, si je puis me permettre ? N’est-il pas en quelque sorte... CONTRE NATURE ?
Qui, au jour d’aujourd’hui, possède le pouvoir d’émulation nécessaire à la remontée en conscience individuelle, d’une situation collective alarmante ? Très peu de gens somme toute. Or, vous noterez, les campagnes, les efforts de communication, de diffusion, les menaces même sous-tendues derrière chaque constat alarmant, tant de messages ayant, depuis des années maintenant, volonté de prévenir, d’éduquer, d’orienter durablement nos choix… de modifier quelque chose dans notre façon instinctive de vivre en somme.
Mais remarquez pourtant, remarquez bien la chose suivante : prenez un quidam, parlez-lui par exemple du réchauffement climatique, avec des arguments concrets comme les chiffres indiquant la proportion de la calotte glacière qui a fondu ces cinq dernières années... Montrez-lui même des photos... et observez, observez, comme le processus planétaire reste, demeure un spectacle atemporel pour quasiment tout un chacun. Le quidam acquiesce, se dit "oh là là, c’est grave, etc.", mais aucun de ses mécanismes de survie ne se déclenche. Il est chrono-centré. L’homme vit aux cycles de sa vie, un peu moins d’une centaine d’années. Il n’arrive pas, même lorsqu’on lui dit qu’il faut penser aux générations futures, il n’arrive pas à conditionner ses actes dans un référentiel-espace de la taille de sa planète et, surtout, dans un référentiel-temps de la vie de sa planète. Il est bloqué dans une vue contemplative et béate. Lorsqu’il se soucie de "sauver-la-planète", il est maladroit, il mange bio, mais fait des kilomètres en bagnole, il n’est pas cohérent, se fait traiter de bobo ou autre, il est seul face aux initiatives quotidiennes et contraire de milliards d’individualités aveugles... Mais quel paradoxe !
1) - Alors un exemple qui éclaire maintenant : les urbanistes ont étudié Lagos (Project on the city / Rem Khoolaas, Stephano Boeri), la plus grande ville Africaine, au Nigeria. La pauvreté qui y règne est, comme dans beaucoup de villes d’Afrique, incomparable aux yeux du reste du monde. Les mécanismes de survie de chacun sont actifs. C’est-à-dire que la question est : comment vais-je me nourrir demain (court terme). Quelle réponse apporte le collectif ? Par exemple, chaque bouteille plastique, boulon, fil de fer, chaque pièce, bout de circuit électronique ou pièce mécanique, d’où qu’elle provienne est récupérée par quelqu’un, tout au long de la journée, quelqu’un qui espère en tirer profit et donc substance vitale. Et sur un marché immense, chaque pièce est ainsi revendue, et on y trouvera ainsi le vendeur de boulons, le vendeur de fil de fer, de sac plastique, de pièces de télé explosée, etc. Tout, pour ainsi dire, passe de main en main, il n’y a de fait que très peu de véritables ordures. Tout est remis en circulation. Lagos, plus de 15 millions d’habitants, est ainsi étudiée pour son taux de recyclage des plus élevés du monde. Paradoxe ? Non, car les mécanismes de survie individuels ont mené, inconsciemment, une collectivité entière à agir pour sa propre survie, sans aucune concertation, sans aucun plan écologique. Tout devient important lorsque l’on manque et, comme tout devient important, l’entropie, le déchet, devient minime. La ville n’a pas un aspect propre, elle n’est pas nettoyée à l’eau, non justement, mais tout ce qui y traîne est source potentielle de maigres revenus. Et les urbanistes hallucinent ! Ils tentent de transposer ce système aux villes des pays riches, mais sans succès.
Et le court terme, la quête nourricière quotidienne (cycle de l’appétit), le très court terme a fini par créer du long terme dans une vue des plus cyniques en apparence, mais surtout dans une dynamique d’actions non planifiées, sans concertation aucune. Et ceci, révèle bel et bien une première partie d’un secret : tant que la misère règne dans la ville, le recyclage devient une question substantielle et donc réelle, il devient économie, et le déchet est de fait... minime.
2) - A contrario maintenant : la survie quotidienne n’étant pas la condition de nos villes européennes par exemple, nous imaginons éduquer la population à trier, à jeter intelligemment, mais l’effort demandé ne récompense pas l’individu dans un cycle court de son existence, et il ne peut associer ni plaisir ni substance en contrepartie du geste écologique. Il serait ici, plutôt appelé à la philosophie, qui déplie le temps en longues projections et inflexions possibles d’un destin voulu commun, et préservé.
Et cela est évidemment beaucoup plus dur. De fait, personne n’a su pour l’instant dompter le commerce et l’intérêt marchand, et son incroyable faculté de transformer à grande vitesse, des ressources naturelles en déchets. Les promesses de réduction de quoi que ce soit de 4 % sur trente ans sont autant de douces plaisanteries que d’énergie gaspillée à se donner l’espoir ou l’illusion que... l’homme puisse un jour contrôler son espèce sans être dans un état de sagesse collective ultime. Mais, pourtant, nous persistons et tentons avec nos contradictions, de créer des initiatives, de lancer des mouvements.
Alors fort du constat d’un tel paradoxe, quel écologiste, ministre ou responsable environnemental s’est occupé de savoir à quel tenant de l’intelligence collective humaine ces initiatives s’adressent ? En regard de l’exemple précité, pourquoi ne sont-elles pas inscrites, dans le cadre, la ligne de ce que l’homme fait naturellement pour ne pas… mourir… ailleurs, dans le respect de ce qui se passe chez les oubliés de l’histoire du profit ? Pourquoi l’action écologique n’intervient-elle pas dans un processus de survie individuel dont le référentiel espace/temps ne serait pas celui de la planète, mais bien celui des êtres humains, d’une simple vie humaine ?
Eh bien parce que créer de la menace est impossible, acculer les peuples à leur seule survie est annoncé contraire à la marche, à l’idéal humaniste de toute société progressiste. Voilà, le paradoxe qui réduit à néant l’initiative d’éducation écologique, tout simplement parce que la menace n’est pas encore arrivée d’elle-même jusqu’aux portes de la survie des individualités qui décident et orientent le vaste système de collecte et distribution des ressources humaines à travers le monde.
Et pourtant, je ne peux rester sur ce seul paradoxe et constat qu’on lira négatif. Non, car l’exemple de Lagos montre la deuxième partie du secret à mon sens. Le paradoxe pourrait ainsi être renversé sur le schéma de notre civilisation surproductrice de déchets. Oui, l’avenir est dans nos ordures. Je répète, l’avenir… est dans nos ordures, nos déchets. Car Lagos, comme beaucoup de grandes villes africaines, ne nous montre pas seulement un exemple d’intelligence collective humaine acculée à la survie qui, par la somme de ses initiatives individuelles, boosterait naturellement son action écologique de recyclage.
Non, en plus de cela, cet exemple nous montre qu’à l’intérieur du déchet de la macro-production industrielle, se trouvent les éléments et les ressources d’une micro-production qui échappent complètement à nos cycles économiques et à nos circuits de consommation européens. La pièce détachée, la collecte de matière triée, l’objet usuel réutilisable ou simplement l’acte de réparation… sont autant d’éléments qui pourraient faire vivre quantité de gens chez nous aussi, mais dont l’usage et le commerce ont presque totalement disparu. Plus de réfection, la réparation étant plus chère que l’achat du neuf, pas de désassemblage, pas de récompense à des initiatives de collecte spécifiques comme le faisaient les ferrailleurs, il y a encore quelque temps. Aujourd’hui, vous enfoncez l’aile de la voiture et faussez un peu le châssis… autant la changer. Et toutes les pièces opérationnelles du véhicule alors ? Broyées avec la tôle et tout le reste de l’équipement ? Oui, l’assurance couvrira tout cela et, en écho, la durée de vie de chaque produit sera ainsi prévue courte. Notre production est ainsi devenue celle du... tout jetable.
Mais voilà maintenant que l’on peut, à la lumière de solutions écologiques venues de loin, dénicher des manques chez nous… Vous en trouverez évidemment beaucoup d’autres et vous verrez alors que chacun d’entre eux est potentiellement susceptible de provoquer une action de collecte et de remise en circulation d’une matière, d’une pièce ou de produits finis. Pourquoi n’est-ce pas chez nous un travail possible ? Pour protéger une économie qui a besoin de notre acte consumériste. Certes… Alors puisqu’elle va mal en ce moment et que ça pourrait durer, nous serons peut-être amenés qui sait à réveiller quelques vieux instincts et à commencer à faire feux de tout bois… Eh bien, moi, ce que j’aimerais, c’est que plutôt que d’attendre d’y être obligés, que l’on s’y dirige et que l’on permette à quiconque de pouvoir faire légalement commerce du « service de collecte », de « tri » ou de « remise en circulation », d’une matière, d’une pièce ou d’un produit.
Un travail libre, non imposé car au service d’une cause dont l’éducation et la sensibilisation coûtent cher et n’engage que peu d’actes significatifs pour l’instant.
Que font les ministres du Travail et de l’Ecologie ?
Car, en attendant, le paradoxe est total, l’on vend nos décharges, nos ordures… A l’Afrique, peut-être à Lagos qui sait... Incroyable, non ?
* * *
Epilogue… Parfois, je regarde les animaux dans leur milieu naturel, subissant docilement notre pillage et nos dévastations. Ils ne bougent pas, sagesse ultime, ils ont déjà en eux le processus, le sentiment écologique, toute réaction concertée serait accélération du processus global de dégradation. Non, ils ne bougent pas, meurent, mais ne bougent pas, ne s’organisent pas ou très peu. Ils se contentent de faire ce qu’ils ont toujours fait, survivre.Voilà donc un hic, un hic qui peut faire encore couler beaucoup d’encre, qui peut gaspiller du Grenelle en veux-tu en voilà, un hic lié à une dimension de notre condition, une obsession jadis transposée, de la primitive survie, à la prise de contrôle de tout ce qui existe sur terre... sauf de notre propre espèce. Géo-centrés, ethno-centrés, puis chrono-entrés, tant de centrismes qui aveuglent, tant de centrismes qui ont accouché de tout ce que nous aimons de nos sociétés, tous nos progrès et toutes nos inventions… paradoxe. Curieuse créature que l’homme sur cette terre.
Notre nature individuelle possède encore ses mécanismes de survie, mais elle est aujourd’hui doublée des prémices d’une éducation qui, si le message ne prend que peu dans les actes, a tout de même fait du chemin dans les esprits. C’est donc le moment pour s’en servir. Alors, pourquoi ne pas s’inspirer de ce qui fonctionne naturellement ailleurs ? S’inspirer de ce qui s’est fait sous la pression de la nécessité ? S’inspirer de ce qui appartient profondément à notre nature, plutôt que de créer un malaise et de dépenser de l’énergie en voulant à tout prix éduquer, responsabiliser les gens à travers tant d’attitudes… contre nature ?