Non, il n’existe pas de scénario « 100% énergies renouvelables »

par Bertrand Cassoret
vendredi 4 novembre 2016

Des politiques et journalistes l'affirment : il serait possible, en France, de passer à 100% d'énergies renouvelables. D'où tiennent-ils cette information ? Aucun scénario de transition énergétique français n'affirme qu'il soit possible de se passer des énergies fossiles et nucléaires, même avec une réduction drastique de la consommation d'énergie.

 

Electricité ou Energie ?

L'affirmation qu'il serait possible de passer à 100% d'énergies renouvelables vient généralement d'une étude de l'Agence de l'Environnement et de la Maitrise de l'Energie (ADEME) parue en 2015 portant sur une France alimentée à 100% en électricité renouvelable. Mais l'électricité représente moins de 23% de la consommation finale d'énergie française. Avec une électricité 100% renouvelable, on sortirait du nucléaire mais on résoudrait moins du quart du problème énergétique.

Pourquoi serait-il souhaitable de n'utiliser que des énergies renouvelables ? Parce qu'elles ne manqueront jamais, mais aussi parce qu'elles émettent peu de polluants atmosphériques dangereux pour la santé et de CO2 qui réchauffe le climat. Les énergies fossiles, c'est à dire le pétrole, le gaz et le charbon sont responsables de centaines de milliers de morts dans le monde chaque année à cause de la pollution qu'elles génèrent, elles représentent en nombre de morts de centaines de Tchernobyl chaque année, sans parler des conséquences du réchauffement climatique. L'important est donc de se passer des énergies fossiles, c'est à dire du pétrole, du gaz, et du charbon.

Or, en France, ces énergies servent très peu à produire de l'électricité, elles servent essentiellement au transport et au chauffage. Il parait donc souhaitable de remplacer les automobiles à pétrole par des automobiles électriques, les camions à pétrole par des trains de marchandises électriques, les chauffages au gaz ou fioul par des pompes à chaleur électriques, les processus de chauffage industriels au charbon, fioul ou gaz par des systèmes électriques... Mais cela devrait logiquement faire augmenter la consommation d'électricité. Il faut donc regarder le problème énergétique dans son ensemble et pas seulement sous le prisme de l'électricité.

 

Les scénarios de transition énergétique :

- le scénario Negawatt prévoit bien de se passer quasiment entièrement du nucléaire, mais pas totalement des énergies fossiles qui représenteraient encore 10%. Ce scénario prévoit surtout une réduction drastique de la consommation d'énergie primaire de 66%.

- le scénario Greenpeace abouti à une baisse similaire de la demande énergétique de 63% sans sortir complètement des fossiles.

Pour réduire la consommation, parmi les propositions de Negawatt, Greenpeace et de l’association Virage énergie : baisse de 70 % de la consommation de vêtements, de 50 % des produits de ménage, de 50 % des cosmétiques et produits de toilettes, de 50% de la consommation de viande, de 50 % des sèche-linges, lave-vaisselles, congélateurs, équipements audio-visuels, de 50 % de la taille des réfrigérateurs, utilisation de lave-linge collectifs, baisse de la température de confort des logements, de la taille des logements qui devraient pourtant être collectifs, hausse du nombre d’habitants par foyer, disparition du véhicule tel que nous le connaissons aujourd’hui, réduction du tourisme longue-distance et des voyages en avion, baisse des hébergements en hôtels…. On peut considérer ces changements nécessaires mais ils sont absolument incompatibles avec la croissance économique recherchée par l'immense majorité des politiques.

- l'ADEME a publié en 2013 des scénarios de transition énergétique « Contribution de l'ADEME à l'élaboration de visions énergétiques 2030-2050 ». Ils n'aboutissent pas du tout à la conclusion qu'on peut se passer aisément du nucléaire et des fossiles. Ils préconisent dans le scénario "médian" une baisse de 47 % de la consommation d’énergie finale. Les énergies renouvelables fourniraient alors 55 % des besoins, le reste étant assuré par le pétrole, le gaz et le nucléaire qui auraient un rôle non négligeable. Selon les scénarios la production nucléaire irait de 251 à 670 TWh par an (elle a été en 2015 de 417TWh).

- L'Agence Nationale pour la Coordination de la Recherche pour l'Energie a publié en 2013 trois scénarios permettant de diviser par 4 les rejets de CO2 : tout en développant largement les énergies renouvelables et sans sortir du nucléaire, les baisses de consommation d'énergie finale iraient de 27 à 41 % grâce à des efforts soutenus d'efficacité énergétique.

- le scénario Negatep de l'association "Sauvons le climat" prévoit une division par 4 des rejets de CO2 malgré une baisse de seulement 18 % environ de la consommation d'énergie finale. Les énergies fossiles seraient très largement remplacées par les énergies renouvelables (+150 %) mais aussi nucléaire (+46 %) capables de produire de l'électricité décarbonée dont la production augmenterait de 61 %.

Aucun scénario français ne prétend donc qu'il soit possible de remplacer les énergies fossiles et nucléaires par des renouvelables, même en diminuant drastiquement la consommation.

- le scénario "Wind Water Sun", de l'Université de Stanford en Californie, prétend pouvoir fournir tous les besoins énergétiques mondiaux avec des renouvelables sans baisse de confort. Un projet tellement ambitieux que les critiques sur son réalisme ne manquent pas. Au niveau français, trop peu de détails sont donnés pour qu'on puisse bien comprendre par quel miracle il serait possible de faire ce que les études françaises ne prétendent pas pouvoir faire. Les potentiels de production utilisés sont supérieurs à ceux de tous les autres scénarios français, les problèmes d'intermittence et de stockage de l'électricité solaire et éolienne semblent nettement sous-estimés. Pourtant au rythme actuel d’installation d’éoliennes terrestre en France (environ 1GW par an), il faudrait plus de 150 ans pour atteindre la puissance nécessaire de ce scénario, alors que la durée de vie d’une éolienne ne dépasse pas 25 ans.

 

Une électricité 100% renouvelable ?

Si le but n'est pas de lutter contre la mortelle pollution atmosphérique et le dangereux réchauffement climatique mais de se passer du nucléaire, alors la question de savoir si, en France, on peut produire la quantité d'électricité que l'on consomme actuellement uniquement avec des renouvelables est pertinente.

L'étude de l'ADEME "Un mix électrique 100 % renouvelable" parue en 2015 n'est pas un scénario de transition puisqu'elle n'explique pas comment passer du système actuel à ce nouveau système. Il s'agit d'un travail « à caractère prospectif et exploratoire ». Il me semble que l’enthousiasme qu’a suscité cette étude peut être modéré car elle considère dans son scénario « de référence » :

- Une consommation d’électricité en baisse à 422 TWh par an contre environ 440 TWh (consommation nette) en 2015 ; et ceci malgré 10 millions de véhicules électriques (sur 38 millions de véhicules actuellement en France), malgré la croissance démographique et sans doute économique.

- L’utilisation de bois ou de biogaz pour produire de l’électricité, ces sources d’énergie seraient alors moins disponibles pour le chauffage.

- Des moments où il faudrait importer de l’électricité depuis l’étranger, non forcément produite par des renouvelables.

- Du stockage par batterie dont le bilan environnemental est médiocre, il faudrait plusieurs millions de tonnes de batteries dont la durée de vie est limitée.

- Une augmentation du nombre de Stations de Transfert d’Energie par Pompage (lacs artificiels ou barrages permettant un stockage indirect de l’électricité), sans qu’il soit précisé où construire de nouvelles immenses retenues d’eau. Rappelons la forte opposition qu’a rencontrée la construction du barrage de Sivens.

- Un important stockage par « Power to gas », technique permettant de transformer de l’électricité en gaz (hydrogène ou méthane), puis éventuellement en électricité. Cette technique est prometteuse mais encore balbutiante et sans réel retour d’expérience. Elle n’existe actuellement que sous forme expérimentale, compter largement dessus est donc assez ambitieux.

- Un énorme développement de l’éolien dont la production serait de 303 TWh par an alors qu’elle était au maximum de 160 TWh dans le rapport publié par l’Ademe en 2013. La production éolienne a été en France de 21 TWh en 2015, il faudrait au moins 10 fois plus d’éoliennes qu’aujourd’hui.

- Un facteur de charge optimiste de l’éolien terrestre de 31 % alors qu’il n’est actuellement que de 23 % (le facteur de charge est le rapport entre la puissance moyenne réelle et la puissance installée, il rend compte du fait que le vent ne souffle pas toujours suffisamment).

- Une puissance éolienne installée de 96GW contre 10GW en 2015. Sachant qu’on a installé en France moins de 1GW par an ces dernières années, il faudrait 86 ans au même rythme pour arriver à cette puissance, mais la durée de vie d’une éolienne est inférieure à 25 ans.

- D’importants reports de consommation (60 TWh) des usines, de chauffage des maisons, de chauffage de l’eau ou d’usages d’appareils électro-ménagers. Il faudrait, essentiellement en fonction du vent, parfois décaler leur mise en marche lorsque la production ne suffit pas. Il s’agit donc d’une tendance vers un moindre confort puisqu’il faudrait parfois décaler les horaires de travail des salariés, éviter de chauffer son logement lorsqu’il fait froid, de faire la cuisine lorsqu’on a faim…

- Un ajustement offre-demande modélisé trop peu finement, les auteurs soulignant eux-mêmes que la gestion de la stabilité du réseau électrique n’est pas traitée dans l’étude.

Indépendamment des problèmes d’intermittence et de stockage, cette étude de l’Ademe précise que le productible maximal théorique des renouvelables est, en France, de 1268 TWh. Mais l’Ademe souligne que « rien ne garantit l’adéquation, à chaque instant, entre production et demande ». Ce chiffre ne signifie donc pas que l'on puisse disposer de toute cette énergie : il faudrait lui soustraire les inévitables pertes de transport et de stockage, et surtout ce que l'on ne serait pas capable de stocker car pas forcément produit au moment où l’on en a besoin. Ce chiffre de 1268 TWh, bien que paraissant assez optimiste, reste nettement inférieur à la consommation d’énergie française (1900 TWh en énergie finale payée par le consommateur, presque 2900 TWh en énergie primaire avant toute transformation) et ne fait que confirmer la conclusion précédente : il faudrait considérablement diminuer notre consommation d’énergie pour sortir des fossiles et du nucléaire.

 

Historiquement on n'a jamais connu de croissance économique associée à une baisse de la consommation d'énergie et ce découplage semble très improbable. Les politiques qui préconisent le remplacement des énergies fossiles et nucléaires par des renouvelables doivent donc commencer par expliquer comment ils vont gérer le chômage, les déficits publics, la santé, les retraites, l'éducation, la sécurité, les aides sociales... en décroissance économique.


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