Nucléaire civil : ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain

par Patrice Lemitre
mercredi 16 mars 2011

Les déboires – le mot est faible – que connaissent les japonais avec leurs centrales nucléaires a donné l’occasion à tout ce que l’occident compte d’antinucléaires de se livrer à une attaque à la limite de l’hystérie, mêlant, comme d’habitude, des préoccupations légitimes à quantité d’arguments fallacieux, voire même souvent totalement farfelus.

On ne peut guère contester, pourtant, que le nucléaire civil reste la source d’énergie la moins chère et la plus sûre. La plus sûre ne signifie pas sans danger. Comme beaucoup d’activités humaines, la production d’électricité nucléaire présente des risques qui ne sont pas minces. Que sommes nous prêt à risquer pour préserver notre mode de vie, voilà la vraie question. Encore faut-il avoir tous les éléments pour décider. Ce qui suppose deux choses :

Premièrement, l’existence d’une démocratie suffisamment vivante pour éviter les aventures des bureaucraties folles, telle celle qu’a connu l’ex URSS. Moi qui habite à proximité de deux centrales nucléaires, l’une à 5 kilomètres au nord (Cruas), l’autre à 20 kilomètres au sud (Tricastin), je suis beaucoup moins effrayé par ces deux là que par les 450 réacteurs des bâtiments de l’ex-flotte de guerre soviétique, qui, pour la plupart, pourrissent lentement en l’absence de tout entretien. 

La seconde condition d’un choix réellement rationnel, c’est de ne pas laisser envahir le champ de nos consciences par des fantasmes sans rapport avec la réalité. Il y a, dans l’esprit de nombreux écologistes, l’idée selon laquelle la nature est toujours bonne, alors que les créations humaines seraient toujours mauvaises. Pour eux, le nucléaire est le symbole le plus criant de cette volonté prométhéenne de maîtriser la nature qu’ils refusent désormais à l’homme. Pourtant, ce que nous constatons dans les évènements qui viennent de se produire, c’est que la nature aura tué finalement de 12 à 15 000 personnes en quelques heures. Quant au nucléaire, si le pire des scénarios advenait, c’est-à-dire une rupture majeure de l’enceinte de confinement de l’un des réacteurs, il serait responsable, à l’horizon de 10 à 20 ans, de quelques milliers de cas de maladie induites par les pollutions radioactives. Ce ne serait pas rien, bien sûr. Mais nous avons quand même de bonnes raisons d’espérer que cette éventualité soit écartée. Le danger, pour les japonais, c’est d’être contraint à habiter d’étroites plaines côtières dans une région du monde à l’activité sismique très élevée.

Ce n’est heureusement pas le cas de la France, qui fait fonctionner des centrales nucléaires depuis les années cinquante sans avoir à déplorer d’accident grave. Actuellement, nous exploitons 58 réacteurs avec lesquels nous assurons 78% de notre production électrique totale[1]. Les Etats-Unis, pour leur part, disposent de 104 réacteurs et n’ont connu qu’un seul accident grave, celui de Three Miles Island, en 1979, qui a abouti à une pollution limitée localement. En comparaison avec les activités pétrochimiques ou l’exploitation du charbon, riches d’accidents mortels et de pollutions diverses, le nucléaire fait figure de bon élève en matière de sécurité.

Par ailleurs, le bilan du nucléaire en matière écologique est assez satisfaisant. Il ne produit pas de pollution micro-particulaire, ni de gaz à effet de serre, ni de substances chimiques toxiques, comme les dioxines[2]. Reste tout de même, c’est vrai, l’épineux problème de l’élimination de déchets radioactifs, dont certains ont une durée de vie qui se compte en milliers d’années… Le coût de démantèlement des centrales devenues trop vieilles est théoriquement pris en compte dans l’exploitation sous formes d’importantes provisions. Il est malheureusement difficile d’évaluer par avance quel sera le coût réel de ces démantèlements. Il y a là, je le reconnais, une question qui doit être débattue.

Enfin, j’y reviens, le nucléaire civil est le seul moyen actuellement disponible pour contrer la hausse incessante du prix des produits pétroliers ou du gaz. Ni le solaire, ni l’éolien ne peuvent prétendre à ce rôle. D’une part, le prix de revient du kW éolien est d’environ 2,5 fois celui du nucléaire et celui du solaire de 5 fois[3]. D’autre part, on ne peut absolument pas envisager des productions importantes par ces deux moyens. La meilleure alternative est l’hydroélectrique, mais les possibilités d’implantation de sites nouveaux sont très limitées. Si nous arrêtions demains toutes nos centrales, il faudrait importer annuellement au minimum 120 millions de tonnes d’équivalent pétrole pour les remplacer[4]. Regardons les choses en face : nous n’en avons pas les moyens.

Faut-il déduire des accidents de la centrale de Fukushima que le nucléaire est a priori une technologie trop dangereuse pour être utilisée en tout lieu et en toute circonstance ? Je ne le pense pas. Le séisme qui vient de se produire se classe parmi les trois plus violents jamais enregistrés de mémoire humaine. La résistance des structures de l’usine a été calibrée pour un séisme de 8,2 sur l’échelle internationale. Sur cette échelle, le séisme japonais est évalué à 8,9. Malgré cela, les bâtiments sont restés intacts et les sécurités ont parfaitement fonctionné. Dès le début de la secousse, les réacteurs se sont mis à l’arrêt et les barres de contrôle sont remontées dans le cœur des réacteurs, afin de stopper les réactions de fissions. Malheureusement, même à l’arrêt, un réacteur nucléaire à besoin d’être refroidi. Or, après le séisme, l’alimentation externe en électricité a été interrompu. Le site disposait d’une batterie de gros moteurs diesels qui ont pris le relais mais ont été détruits, un peu plus tard, par l’impact du tsunami. La vérité c’est que le Japon a pris un bien gros risque de développer un parc nucléaire important sur un territoire aussi menacé par les secousses sismiques. Je ne lui jette pas la pierre. C’est un pays à l’industrie puissante qui a de gros besoins en énergie et ne dispose d’aucune ressource pétrolière. Mais le pari qui a été fait ressemblait un peu trop à de la roulette russe.

Si de cette expérience malheureuse les français veulent tirer la conclusion d’un arrêt du programme nucléaire français, qu’il le fasse en connaissance de cause. Il faudra organiser un débat national non pas sur le nucléaire mais sur l’énergie en général. Sans passer sous silence les vrais risques du nucléaire civil mais sans occulter non plus les bienfaits qu’on en a obtenu et qu’on peut encore en attendre. Si on continue, il faudra réfléchir à ce qui peut-être fait pour réduire les risques au maximum. Voici, en guise de contribution à ce débat, quelques points sur lesquels il faudrait insister :

1/ Les autorités de contrôle doivent être véritablement indépendantes, ce qui n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui, en France.

2/ Les contre-pouvoirs civils doivent être encouragés. Je suis souvent agacé par le militantisme anti-nucléaire de la CRIIRAD[5], mais il faut reconnaître à cette association le mérite d’avoir souvent mis les autorités publiques et EDF le nez dans leur caca.

3/ Le nucléaire civil ne devrait jamais être aux mains du secteur privé. La recherche de la rentabilité est bien souvent contradictoire avec les impératifs de sécurité et avec les investissements nécessaires à l’entretien et à la modernisation des équipements. Les citoyens que nous sommes devraient pouvoir obtenir des garanties dans ce domaine.

4/ Enfin, il faut aussi apprendre à économiser l’énergie, afin de ne pas maintenir en service plus de réacteurs que nécessaire. Les gisements sont énormes. L’éclairage public est trop dispendieux ; nous gaspillons beaucoup d’énergie pour nous chauffer en hiver, puis pour nous rafraîchir en été. Trop de logements sont des passoires à calories. Un programme national de réhabilitation, soutenu par les pouvoirs publics, serait bienvenu, d’autant plus que dans le contexte de crise économique actuel, il contribuerait à recréer de l’activité en France, sans renchérir les importations…



[1] Chiffre 2009 fourni par la World Nuclear Association.

[2] Evidemment, les activités périphériques à l’exploitation des centrales génèrent des pollutions, qui ne peuvent toutefois se comparer aux rejets des centrales à mazout, par exemple.

[3] Voir « TPE, énergie éolienne et photovoltaïque » (http://basetpe.free.fr/tpe1/criteres/cout.html)

[4] Voir « L’énergie en France », sur Wikipedia (http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_en_France)

[5] Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité


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