Perruches : faut-il craindre un « grand remplacement » ?
par Fergus
mardi 3 décembre 2019
C’est un fait avéré : les perruches à collier et les perruches moine sont de plus en plus nombreuses dans les villes d’Europe. Non contentes d’être omniprésentes dans les régions méditerranéennes de notre continent, on trouve désormais des colonies de ces petits perroquets colorés et bruyants jusqu’en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Doit-on s’en réjouir ou s’en inquiéter ?
Dans un article du 7 novembre 2019 intitulé La palmeraie bretonne, j’avais mentionné la présence de ces colonies de perruches, originaires d’Afrique subsaharienne ou de la péninsule Indo-Pakistanaise pour les unes, et d’Amérique du Sud pour les autres, en de nombreux lieux du continent européen. Un constat loin d’être anecdotique : force est en effet de reconnaître que l’on a affaire, avec ces volatiles de la famille des psittacidés – celle des perroquets –, à un phénomène potentiellement préoccupant. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais les scientifiques des pays concernés par cette « invasion » en cours et ses possibles conséquences sur les écosystèmes et sur les productions agricoles.
Elles sont pourtant charmantes, ces perruches aux teintes vives, lorsqu’elles s’ébattent dans les frondaisons, tout particulièrement des palmiers qui, eux aussi, ne cessent de progresser toujours plus vers l’ouest et le nord. L’ensemble donne une couleur exotique de plus en plus appréciée à nos villes. Mais tout le monde ne voit pas ce changement d’un bon œil. À commencer par les riverains des « dortoirs » où s’installent ces oiseaux grégaires particulièrement bruyants du fait de leur concentration. Une inquiétude qui touche également les spécialistes aviaires, du fait des conséquences de la colonisation sur des espèces endémiques qui se trouvent chassées de leur territoire, à l’image des moineaux, des sitelles, des étourneaux, ou bien encore des hiboux et des chauves-souris.
C’est le cas en Île-de-France où les perruches à collier – psittacula krameri – sont désormais au nombre de 5 300, réparties dans 6 « dortoirs » principaux (principalement constitués de platanes, très appréciés pour leurs cavités) si l’on se réfère aux données de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (cf. Communiqué de presse du 27 février 2019). Et la région parisienne n’est évidemment pas la seule impactée : on observe des colonies identiques à Marseille, Montpellier, Nice, Toulon et Toulouse – ce qui n’est pas très surprenant –, mais aussi à Nancy, dans le triangle Lille-Roubaix-Villeneuve d’Ascq, et sans doute d’autres lieux où ces oiseaux ne sont encore présents qu’en nombre trop limité pour constituer des colonies significatives. Au total, l’effectif des perruches présentes en France s’éléverait actuellement au minimum à 7 500 individus, le nombre de 10 000 étant de plus en plus souvent évoqué.
Des dégâts aux cultures
En Espagne, cela fait longtemps que la présence de perruches ne surprend plus personne, eu égard aux importantes colonies qui vivent dans les villes, notamment en Andalousie et à Barcelone où les oiseaux se comptent par milliers. Mais pas seulement : malgré des mesures de lutte contre leur prolifération, l’on observe désormais des perruches moine – myiopsitta monachus – dans des villes castillanes et jusqu’en Galice. Une situation jugée d’autant plus insupportable que les nids de ces oiseaux peuvent dépasser… 120 kg et constituer de ce fait un danger pour les passants en cas de chute ou de rupture des branches qui les soutiennent. Autre risque mis en avant, les possibles maladies qui pourraient être transmises par contact avec ces perruches ou leurs excréments : la psittacose, la grippe aviaire, voire la salmonellose. Mais rien de tel n’a été constaté à ce jour. Beaucoup plus problématique est l’accumulation des fientes de ces oiseaux en termes de propreté des espaces urbains.
Une chose est sûre : les édiles madrilènes ont décidé, nous dit le quotidien La Nacion en date du 7 octobre, de tenter d’« exterminer » d’ici à l’automne 2020 les 12 000 perruches moine d’origine argentine qui ont envahi la capitale espagnole. D’une part, en les piégeant dans des filets pour les capturer ; d’autre part, en stérilisant leurs œufs. Si l’on en croit les experts aviaires, cet objectif d’éradication semble avoir bien peu de chances de réussite.
En Italie, on évalue à un minimum de 15 000 individus le nombre des perruches moine. Selon le zoologiste Piero Genovesi, responsable du service de coordination de la faune sauvage de l’ISPRA, elles seraient présentes dans une douzaine de régions italiennes, Sicile comprise. Dans National Geographic Italia du 17 octobre 2019, cet expert estime que les colonies les plus fertiles sont capables de doubler leur population en 5 ans, au risque de causer des dégâts toujours plus importants sur les cultures : « C’est déjà arrivé dans d’autres pays, notamment en Israël, où les cultures de tournesol et de céréales ont été affectées. Cela nous arrivera aussi », affirme-t-il en guise d’avertissement.
Le problème posé par les perruches ne se limite en effet plus au remplacement progressif de quelques espèces endémiques dans les zones urbaines ; leur présence pénalise également l’économie locale, nous informe le journaliste Riccardo Liguori dans un article de l’agence de presse italienne AGI en date du 19 octobre 2019. Par exemple dans les Pouilles où les perruches moine qui ont essaimé dans les campagnes s’en prennent aux productions de fruits et aux lieux de stockage des olives. Idem dans le Latium (région de Rome) où ces oiseaux causent de sérieux dommages aux plantations d’amandiers.
Un phénomène accéléré par le réchauffement climatique
Curieusement, c’est au Royaume-Uni que l’on constate le plus grand nombre de perruches à collier. En 2012, il en était déjà dénombré 29 000, en majorité réunies dans des habitats du Grand Londres. Un nombre déjà largement dépassé. Selon les projections des experts du British Bird Atlas, l’effectif de ces oiseaux pourrait atteindre en Grande Bretagne 100 000 individus dans un avenir relativement proche ! Des chiffres de nature à inquiéter les populations de l’autre côté de la Mer du Nord : on compte en effet déjà environ 11 000 perruches à collier en Allemagne – notamment dans le bassin Rhin-Neckar –, près de 11 000 en Belgique – principalement dans la région de Bruxelles – et plus de 10 000 en divers lieux des Pays-Bas (certains ornithologues avancent même le nombre de 15 000 perruches). Cette proximité, ajoutée aux colonies en formation dans la Flandre française conduit de plus en plus de spécialistes à abandonner progressivement les comptages par nation pour s’intéresser à la métapopulation que constitue l’effectif global de l’aire constituée par les régions concernées.
Car c’est un fait évident : les populations de perruches de perruches à collier et de perruches moine sont appelées à se développer et à étendre leur territoire en Europe. À cet égard, le réchauffement climatique constitue de fait un élément d’accélération du phénomène. En conclusion d’une étude publiée le 27 avril 2016 sur le site The Open Ornithology Journal, les chercheurs le confirmaient : « Les schémas de croissance globale de la population et les prévisions statistiques de la distribution potentielle [des perruches] suggèrent fortement que d’autres augmentations de population sont probables. »
Dès lors, peut-on agir pour limiter l’expansion territoriale de ces oiseaux ? Les ornithologues ne le pensent pas. Le 8 novembre 2019, Olivier Païkine – chargé d’études à la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) – confiait ceci à la journaliste Charlotte Anglade (LCI) : "En France, il est a priori un peu tard pour agir. Par précaution, il aurait fallu le faire le plus tôt possible. [Les perruches] commencent à être trop nombreuses pour que l’on puisse s’en débarrasser complètement. Il faudra vivre avec et s’adapter. » Et ce qui est vrai pour la France l’est à l’évidence également pour la dizaine d’autres pays concernés (outre ceux qui ont déjà été cités, des colonies significatives ont été recensées en Grèce et au Portugal).
Il faudra vivre avec les perruches
Faut-il craindre cette impuissance et redouter de graves atteintes aux écosystèmes actuels ? Les avis divergent sur ce point. Nombre d’espèces animales et végétales endémiques ont en effet été elles-mêmes des espèces invasives qui, au fil du temps, se sont acclimatées à leur nouvel habitat sans pour autant que les écosystèmes en aient été bouleversés. Et dans le cas des perruches, il est probable que les modifications des équilibres actuels resteront limitées, possiblement au détriment de quelques espèces de passereaux chassés de leur habitat par l’accroissement des populations. Plus problématiques sont en revanche les conséquences sur les cultures, mais il est trop tôt pour en mesurer pleinement le préjudice, même si l’on estime localement en Italie les pertes de récoltes fruitières à 20 %, voire 30 %.
Une chose est sûre en revanche : tout doit être fait pour éviter les importations et la dispersion d’espèces animales exogènes potentiellement invasives, à l’image de la grenouille taureau, du raton laveur ou de la tortue de Floride. En 2007, l’Union Européenne a considérablement limité l’introduction d’oiseaux exotiques sur son territoire, et interdit l’entrée des perruches. Une mesure vaine : les perruches à collier et les perruches moine étaient déjà présentes depuis les années 70 et 80 dans plusieurs pays, le plus souvent échappées d’animaleries et de volières*, ou sciemment remises en liberté par des propriétaires qui ne supportaient plus leur agitation et leurs cris stridents. Il a donc fallu s’habituer à la cohabitation, principalement dans les nombreuses villes où les perruches côtoient désormais les pigeons, et cela sans prédateurs naturels, les éperviers et les faucons étant presque totalement absents des zones urbaines.
D’ores et déjà, les évolutions de ces perruches réjouissent la plupart des visiteurs qui se promènent dans les parcs et jardins, comme on peut le constater à Londres dans les allées de Kensington Gardens ou de Regent’s Park. Une présence jugée a contrario insupportable, tant par les nombreux riverains des « dortoirs », victimes des nuisances sonores et sanitaires, que par les producteurs de fruits dont les récoltes sont partiellement détruites par les perruches. Malheureusement pour les uns comme pour les autres, il sera sans doute impossible d’enrayer l’accroissement des populations de perruches moine et de perruches à collier. Autrement dit, que l’on apprécie ou pas leur voisinage, il faudra bien apprendre à vivre avec ces oiseaux !
* Pas seulement : en France, à deux reprises des perruches se sont échappées sur des tarmacs d’aéroport, à Orly en 1974 et à Roissy en 1990.
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