Pourquoi je ne suis pas (trop) inquiet pour les réacteurs nucléaires japonais

par wesson
lundi 14 mars 2011

Depuis les terribles evènements qui se sont produits au Japon, les médias ont largement évoqué la possibilité d'un accident nucléaire majeur comparable à celui de Tchernobyl.

Inquiet comme tout le monde, j'ai passé un bon moment ce week-end pour tenter de comprendre ce qui a pu se passer, et décortiquer le vrai du faux dans ce que l'on nous a raconté.

Et j'en suis arrivé à la conclusion qu'il n'y a pas eu, et qu'il n'y aura pas un dégagement significatif de radioactivité depuis l'usine nucléaire de Fukushima. Par significatif, je veux dire qui soit supérieur à ce que l'on reçoit lors d'un vol long courrier. Voici pourquoi.

La couverture média des évènements comportant tellement d'erreurs et de mésinterprétation des fait que cela m'a décidé à écrire un article sur le sujet, ne serait-ce que pour expliquer les principes de base concernant la mise en oeuvre, la production et la sécurité autour de la production d'électricité par le nucléaire. Ensuite, nous verrons le scénario de ce qui a pu se passer.

Avertissement au lecteur : c'est passablement long, technique et un peu compliqué.

Construction de l'usine nucléaire de Fukushima.

Les réacteurs de Fukushima sont de type à eau bouillante (BWR - Boiled Water Reactor). Comme un peu tous les modèles, ce ne sont en fait que des cocottes minutes, et dans ce modèle, c'est une cocotte vapeur. Dans la cocotte, le combustible nucléaire chauffe de l'eau, qui génère de la vapeur en bouillant. La vapeur est ensuite envoyé dans une turbine qui entraine un alternateur pour produire de l'électricité. Ensuite la vapeur est refroidie puis condensée pour se retransformer en eau et réinjecté dans la cocotte qui la réchauffe, et ainsi de suite. La température de fonctionnement de cette cocotte étant aux alentour de 250 °C.

Le combustible nucléaire est de l'oxide d'uranium. C'est une céramique qui possède un point de fusion très haut, aux alentours de 3000 °C. Ce combustible est fabriqué en petits disques de la taille d'une brique de légo. Ces disques sont ensuite empilés sérrés dans de long tubes fait d'un alliage de zirconium-étain, dont le point de fusion est de 2200 °C. C'est cet ensemble que l'on appelle "une barre de combustible". Elles sont ensuites assemblées en paquets, et c'est ces paquets de barres qui forment ce que l'on appelle "le coeur" du réacteur.

Ces tubes de zirconium sont la première couche qui sépare le combustible atomique de l'extérieur, c'est la première enveloppe de protection.

Le coeur est ensuite placé dans la "cocotte" dont je parlais précédemment, et qui est le second confinement du combustible. Par la suite, je l'appelerai "le réacteur". Il est fabriqué pour contenir le coeur à des températures de plusieurs centaines de degrés bien plus hautes que la température de fonctionnement normal, à la condition que l'on puisse tout le temps maintenir une circulation d'eau minimale pour refroidir. Je détaillerai plus tard ce point.

L'ensemble cocotte (réacteur) et tous ses tuyaux, pompes, réserves d'eau est placée dans une 3ème enveloppe. Cette dernière est faite avec de grandes épaisseurs des meilleurs aciers, et hermétiquement close. Cette dernière enveloppe est construite dans un seul but - le pire scénario : contenir indéfiniement un coeur et un réacteur qui a totalement fondu. Le réacteur est en fait posée dans une "bassine" remplie de graphite. Si le coeur fond et le réacteur explose ou fond aussi, le graphite va attraper et disperser le combustible nucléaire, ce qui va lui permettre de refroidir.

Autour de ce 3ème compartiment il y a le batiment réacteur, qui est juste là pour protéger l'installation de l'extérieur, et permet également le grutage des élements dans le batiment réacteur, notamment lors du changement de combustible, mais rien de plus que cela. Et c'est cette partie qui a explosé, nous verrons plus tard pourquoi.

Les fondamentaux des réactions nucléaires.

Le combustible génère de la chaleur par fission nucléaire. Les gros atomes d'uranium sont cassés en atomes plus petits. ça génère de la chaleur plus des neutrons (qui sont une des particules constituant un atome). Quand le neutron touche un autre atome, celui-ci se casse, générant encore de la chaleur et d'autres neutrons, et ainsi de suite. C'est ce que l'on appelle la "réaction nucléaire en chaine".

Lorsque l'on attache un paquet de barres de combustibles l'une à coté de l'autre, elles se mettent instantanément à chauffer et atteignent leur température de fusion en environ 45 minutes. La réaction doit alors être controlée afin d'éviter cela. Pour cela, les opérateurs disposent de "barres de modération" qui coulissent entre les barres de combustible, absorbent les neutrons et éteignent instantanément la réaction en chaine. Un réacteur nucléaire est fabriqué de telle manière que lorsqu'il est en fonctionnement les barres de modération sont totalement sorti du réacteur. L'eau passe alors au travers des barres de combustible en les refroidissant ce qui génère de la vapeur et fait tourner la turbine.

Le problème est que lorsque on a totalement inséré les barres de modération et stoppé la réaction en chaine, le coeur continue à produire de la chaleur. L'uranium a bien stoppé la réaction en chaine, mais un nombre d'éléments radioactifs intermédiaires ont été créé par l'uranium lors du processus de fission, principalement du Césium et des isotopes d'Iode. Ces éléments radioactifs produisent eux-même des fissions et donc de la chaleur, jusqu'à arriver à des atomes plus petits et non radioactifs. En pratique, il faut quelques jours pour que le réacteur épuise ses éléments intermédiaires et refroidisse totalement.

Mais c'est cette chauffe résiduelle qui pose problème actuellement, et nécéssite la persistence dans le réacteur d'une circulation d'eau pour continuer à le refroidir juste après un arrêt d'urgence.

Donc, le premier type de matériau radioactif dans une centrale est l'uranium plus des éléments intermédiaires produits par la dégradation de l'uranium tels que le Césium-137 et l'Iode-131, qui sont enchassés dans les barres de combustibles.

Il y a un second type de matière radioactive crée, mais elle en dehors des barres de combustible. En fait certains neutrons sortent des barres de combustible, et sont "capturés" par des molécules d'eau, ou d'air emprisonnée par l'eau, et se transforment en isotopes radioactifs. C'est principalement de l'azote (N-16) et du Xenon (Xe-133 et 135), qui ont des périodes très courtes (7 secondes pour l'azote, 5 jours pour le Xenon 133 et 9H pour le 135), ils perdent dont rapidement leur radioactivité.
Et c'est ces élements là, mélangés à de la vapeur d'eau qui ont été relaché de Fukushima, pour des raisons que nous allons maintenant voir.

Que s'est-il passé à Fukushima ?

Il faut commencer par féliciter les ingénieurs qui ont construit cette centrale, sur l'hypothèse d'un tremblement de terre d'une force de 8.2. Il fut en fait de 8.9. Etant donné que l'échelle est logarithmique, ce qui est arrivé est en fait 7 fois plus puissant que l'hypothèse retenue, et les centrales ont quand même tenu, ce qui est remarquable.

Lors de la secousse, les réacteurs se sont automatiquement coupés. Dans les secondes qui ont suivi le début, les barres modératrices ont été insérés dans le réacteur et la réaction en chaine s'est interrompue. Le système de refroidissement devait alors évacuer la chaleur résiduelle, qui est de environ 3% de la chaleur dégagée en fonctionnement.

Le tremblement de terre a détruit la source de courant externe du réacteur qui en a besoin pour maintenir les pompes du circuit de refroidissement. En fait au début les choses se sont déroulées correctement. L'un des mutiple générateur de secours au diesel s'est mis en route et a fourni l'électricité nécéssaire. Mais le Tsunami est arrivé, plus gros que ce qui avait été jamais envisagé, et a détruit la totalité des génératrices diesel de secours. Lorsque c'est arrivé, le controle opérationnel a mis en route des batteries de secours, qui sont suffisantes pour fournir l'énergie necessaire au refroidissement du réacteur pendant 8 heures, et c'est ce qu'elles ont fait.

La société disposait donc de ce temps là pour trouver une autre source d'énergie et la connecter à l'usine. Mais à cause des destructions engendrées par le séisme et le tsunami, il n'a pas été possible de remonter assez rapidement une fourniture électrique à l'usine, ni d'acheminer des génératrices diesel compatibles dans les temps.

Et c'est là que les choses se sont mises à mal tourner. Lorsque les batteries se sont retrouvées déchargées, la chaleur résiduelle du coeur ne pouvait plus être évacuée. A ce moment là, les opérateurs de l'usine ont commencé à appliquer les procédures d'urgence applicables en cas de perte totale de refroidissement du coeur.

Dans cette configuration, la cocotte se comporte comme si elle est sur un feux doux, mais que l'on ne peut pas arrêter. Le but étant d'éviter autant que possible que l'enveloppe du combustible (les tubes de zirconium) n'en viennent à fondre, et à faire en sorte que le réacteur reste intact et opérationelle le plus longtemps possible pour donner le temps nécéssaire à la réparation du circuit de refroidissement. Pour cela, il est necessaire de relacher de temps en temps de la vapeur à l'extérieur pour faire tomber la pression à l'intérieur, ce qui est exactement ce que fait une cocotte minute sur le feu. A ce moment là, la température du coeur était de environ 550°C.

Et c'est là que les premier rapport de "fuites radioactives" sont apparu. En relachant de la vapeur en provenance du coeur, les opérateurs ont donc relaché de l'azote et du xenon radioactif mélangé à cette vapeur, sans que cela n'ai une grande incidence en matière de pollution nucléaire, du fait de la trés courte demi-vie de de l'azote radioactif relaché...

Mais c'est lors de cette opération de relâchement de vapeur que l'explosion que tout le monde a vu est intervenue. Ce qui s'est passé n'est pas encore très clair mais voici un scénario possible. Les opérateurs ont décidé de lâcher la vapeur non pas dans l'atmosphère directement, mais dans l'espace du batiment réacteur, probablement pour laisser un peu plus de temps à la vapeur pour perdre sa radioactivité. Le problème est que avec la température atteinte par le coeur, les molécules d'eau se dissocie en oxygène et hydrogène, en formant un mélange explosif. Et il a explosé, en dehors de l'enceinte de confinement du réacteur, dans la coiffe du batiment réacteur, qui heureusement n'a aucune fonction concernant la sécurité nucléaire de l'installation.

Dans le cas de Tchernobyl, c'est ce même mélange qui a explosé, mais dans l'enceinte de confinement du réacteur, ce qui a soulevé la coiffe de béton de 120 tonnes qui en retombant sur le réacteur lui même l'a fracturé laissant échapper directement le combustible nucléaire, avec les conséquences que l'on sait.

Le problème de la formation d'hydrogène - oxygène est crucial dans les centrales nucléaires, et contrairement à Tchernobyl les réacteurs du type BWR sont concus pour que cela ne puisse pas arriver à l'intérieur des enceintes de confinement. On ne peut empêcher dans des cas comme cela cette formation et ces explosions, mais ça se passe en dehors des enceintes de confinement, et ça ne mets pas en danger l'installation dans son ensemble.

Revenons à notre cocotte dont on lâche de temps en temps de la vapeur. Elle continue de bouillir, de telle manière que à l'intérieur, le niveau d'eau va baisser. Le coeur est recouvert par plusieurs mètres d'eau ce qui donne un délai avant que les barres de combustibles ne se retrouvent hors d'eau. A partir de là, les parties des barres ainsi exposées vont alors se retrouver à 2200 °C en une quarantaine de minutes, température à laquelle le tube contenant le combustible nucléaire va commencer à fondre.

Et c'est ce qui a commencé à arriver. Le refroidissement ne pouvant être rétabli à temps, il y a eu des dommages sur un ou plusieurs tubes de combustibles qui ont commencé à fondre, et les sous-produits de la fission de l'uranium ont commencé à se mélanger à la vapeur qui a été ensuite relaché dans l'atmosphère.

La présence de Césium et d'Iode dans la vapeur relachée - ce qui a été confirmé de manière officielle - est une indication claire que le réacteur a commencé à fusionner. Donc pour ceux qui se posaient la question, oui, le réacteur a fondu, du moins il a commencé à le faire.

Et c'est le signal pour appliquer le plan B. Le plan A - restaurer l'un des multiple système de refroidissement de secours - ayant échoué pour une raison encore inexpliquée. Une hypothèse plausible est que le Tsunami a également emporté les citernes d'eau très pure qui sont utilisés pour les circuits de refroidissement du réacteur.

Entre parenthèses, la raison de l'utilisation d'un eau très pure et déminéralisée est qu'elle prend très peu la radioactivité. L'utilisation d'une eau "sale" ou de mer va réagir plus activement avec les neutrons, ce qui va créer d'autres isotopes radioactifs aux effets indésirables, mais pour ce qui est de la fonction de refroidissement du réacteur, il n'y a pas de problème que l'eau soit propre, de mer et/ou modérément sale, il y a quand même des limites là aussi mais c'est un autre sujet.

Le plan A ayant échoué - pas de système de refroidissement et pas d'eau propre - alors le plan B est entré en action. Voilà ce qu'il s'est passé, a priori :

Pour éviter la fonte du coeur, les opérateurs ont commencé à utiliser de l'eau de mer comme liquide de refroidissement. Il est un fait que maintenant, le combustible nucléaire s'est refroidi. Comme la réaction en chaine a été stoppée depuis un bon moment, il ne reste qu'une part minime de chaleur résiduelle produite. La grande quantité d'eau qui a été utilisée suffit à elle seule à refroidir cette chaleur résiduelle, sans générer de pression suffisante pour qu'un relachement de vapeur supplémentaire ne soit nécéssaire. De l'acide borique a été aussi rajouté à l'eau de mer, ce qui a pour effet de capturer encore plus de neutrons (donc le même effet que les barres de modération) et d'éteindre encore plus rapidement la réaction et refroidir le réacteur.

Au final, la tranche est passé très près d'une fonte du coeur. Le scénario catastrophe aurait été le suivant : Si l'eau de mer n'avait pu être utilisé, les opérateurs auraient été contraint de relacher de la vapeur radioactive pour éviter l'explosion du réacteur, jusqu'à ce qu'il n'y ait eu plus d'eau - et dans ce cas là, les dégagements de vapeurs auraient été bien visibles depuis les caméras qui filment maintenant 24H/24 cette centrale. Ensuite la troisième enceinte de protection aurait été hermétiquement scellée pour permettre au coeur de fondre sans laisser échapper de matière radioactive - du moins c'est ça en théorie. En pratique, ce cas de figure ne s'est jamais présenté et c'est très bien comme cela.

Et maintenant, où cela nous amène ?

L'usine est maintenant sauve, et le restera. Il en va de même pour les autres tranches et usines qui ont probablement subit des problèmes similaires, mais si la situation avait dérapé quelque part, nous serions maintenant obligé de le savoir, ne serait-ce que par les manifestations externes que cela aurait provoqué (dégagements violents de vapeur, explosions, radioactivité sans aucune commune mesure avec ce qui a été constaté, etc ...)

Il s'agit d'un incident de niveau 4 selon la classification INES : Accident nucléaire avec conséquences locales. C'est pas bon pour la compagnie qui exploite les centrales, mais rien de plus.

Quelques isotopes radioactifs ont été lâchés avec la vapeur, mais vont très rapidement disparaitre du fait de leur demi-vie (l'azote-16 et le Xenon-135 c'est déjà fait, le Xenon-133 dans 5 jours). Une très faible quantité de césium et d'iode ont été relachés et emportés vers l'océan, on ne les reverra pas. Du fait des dégats limités au premier confinement (les tubes de zirconium), de l'iode et du césium radioactif se sont également retrouvé dans l'eau de mer utilisée, mais pas d'uranium (il ne se dissous pas dans l'eau) ou d'autres saloperies. Cette eau de mer qui est encore dans l'enceinte du réacteur pourra être traité et décontaminée avant d'être rejeté.

Du fait de l'utilisation d'eau de mer, le coeur du réacteur devra être démantelé et l'ensemble des barres de zirconium devront être inspectée. Ces opérations devraient durer entre 4 et 5 ans.
Il est probable également que l'ensemble des sécurités des installations nucléaires seront repensée au Japon afin de résister à des séismes de magnitude 9.0, ainsi qu'à des tsunami de cette ampleur.

Mais dans l'immédiat, le problème le plus grave du Japon consistera en une pénurie électrique prolongée. Il est probable que la moitié au moins des réacteurs nucléaires Japonais doivent subir une inspection lourde, ce qui réduira sa capacité électrique de 15%. Cela sera probablement couvert par des usines de production électrique à gaz normalement utilisé lors de pointe de consommation, avec potentiellement plus de coupure d'électricité.

Je crois que à l'heure actuelle, ce n'est pas le plus important problème du pays.

Source : Communiqué de presse officiel de la TEPCO - la société exploitante de la centrale de Fukushima Daiichi

Post Scriptum : Je crois utile de préciser également que je ne travaille pas du tout dans le nucléaire et que donc il serait érroné de me considérer comme un spécialiste ou un défenseur de cette industrie. J'ai vécu à proximité (3 Km à vol d'oiseau) d'une centrale nucléaire pendant 15 ans ce qui m'as amené à m'interesser à ce sujet, et à dépasser les opinions toutes faites des uns et des autres, afin de savoir que faire et quoi penser si un problème survient, en tenant compte du manque d'information fiable qui est la règle en pareil cas. En conséquence de quoi si mon article contient des erreurs factuelles, je prie le lecteur assidu de me les signaler tout en m'en excusant par avance.
Je précise également que je suis contre le nucléaire, mais en expliquer les raisons n'est pas le propos de cet article.

L'article est une traduction libre de Fukushima Nuclear Accident – a simple and accurate explanation


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