Quand en 2020 l’Education nationale véhicule des vieilles histoires de loup

par Roland Gérard
samedi 3 octobre 2020

« … protéger les moutons du cruel animal qui rôde. » Cette portion de phrase tous[1] les enfants de CP de France l’ont entendu lors de l’évaluation qui a eu lieu fin septembre. Elle en dit long soit sur une ignorance crasse des concepteurs de l’évaluation, soit sur une volonté délibérer de ranger l’opinion du mauvais coté quant à la biodiversité.

Un cruel qui rôde !

A « cruel » dans le petit Robert on trouve : « Qui prend plaisir à faire, à voir souffrir ». Mot associé à : « barbare, dur, féroce, impitoyable, inhumain, méchant, sadique… » Pour rôder ce n’est pas beaucoup mieux : « Errer avec une intention suspecte ou hostile. » Voilà à quoi on associe le loup en France en 2020 ! On continue donc avec cette idée du grand méchant loup et à nier une réalité toute autre. Non les loups ne sont pas des prédateurs assoiffés de sang, ni des ennemis à abattre… il faut arrêter avec ça. On se croirait en plein dix-neuvième siècle. Depuis une science s’est développée, elle s’appelle l’écologie.

Le loup élément clé de l’équilibre

Oui la réalité est toute autre. Le loup quand il revient après une longue absence, soigne les écosystèmes. D’abord éradiqués du parc national de Yellowstone aux Etats-Unis, ils ont été réintroduits dans les années 90 pour faire face à une explosion, très dommageable pour le milieu, des populations d’herbivores. A la grande surprise des scientifiques, on a constaté un retour d’un grand nombre d’espèces, et pas seulement végétales, que la dent des cerfs et des wapitis avait éliminé. Arte diffuse un film remarquable sur le sujet. 

Où est la science ?

On peut lire sur le site du ministère « Les évaluations sont conçues par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) en collaboration étroite avec le Conseil scientifique de l'éducation nationale (Csen), l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (Igésr) et la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco). L'implication du Csen permet de bénéficier des dernières avancées de la recherche en vue d'accroître l'efficacité de ces évaluations et ainsi de mieux répondre aux besoins des élèves. ». Voilà bien du monde, bien des sciences bien de la recherche… pour arriver à un tel résultat. Un conseil au passage à l’illustre administration : et si dans ce conseil scientifique nous y mettions un prof d’écologie… Cela éviterait des erreurs non ?

Anthropomorphisme

Prêter un caractère humain à un animal, c’est poursuivre dans l’erreur. Cela fait très longtemps maintenant que nous savons que nous devons regarder les animaux sauvages comme des réalités objectives et ne pas leur prêter des sentiments humains. Les loups ne sont pas « cruels », les lions ne se sont pas méchants, aucun animal n’est sournois... Il y a juste des humains qui en connaissent très peu sur leurs coéquipiers terrestres, les animaux et qui font le lit de tous les délits vis-à-vis d’eux.

Nous n’en sommes plus là

Aujourd’hui les vraies questions en ce qui concerne les animaux et nous, ce sont des auteurs comme Baptiste Morizot qui les pose. Il parle de « retrouver une confiance dans les dynamiques du vivant ». Il nous propose justement de voir autrement notre animalité humaine : « … l’animalité humaine n’a plus rien à voir avec la bestialité, la férocité, le grossier… »[2] Alain Damazio qui a rédigé la post face souligne que : « la crise écologique actuelle est d’abord une crise de nos relations au vivant … » C’est dommage de compromettre cette relation chez des enfants si jeunes, en plus quand on est une institution susceptible de les éduquer. Là on les conduit dans l’erreur c’est une évidence.

En fait c’est cohérent

Si l’on prend un peu de recul on se rend compte que ce nouveau marqueur nous révèle une nouvelle fois combien notre système éducatif est en retard pour tout ce qui concerne les sciences de la nature, tout ce qui concerne la pratique du dehors en classe, tout ce qui concerne l’éducation à l’environnement depuis cinquante ans et maintenant l’éducation à la transition. Non seulement l’Education nationale n’a pas fait son boulot dans ce domaine, mais elle empêche toutes les initiatives et … les plus courageuses et les plus courageux des enseignants … s’épuisent. Il faudra un jour nous fournir les explications à cet état de fait.

 

[1] Certains ayant la chance d’avoir des enseignant.e.s doté d’un certain sens critique y auraient toute fois échappé.

[2] Manières d’être vivant ed : Actes sud.


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