Québec : le projet de dérivation de la rivière Rupert

par Pierre R. Chantelois
jeudi 18 janvier 2007

Les ressources naturelles et leur patrimoine sont-ils la propriété des gouvernements ?

Préambule exprimé sous forme de questions

Environnement et développement économique font-ils bon ménage ?


Est-ce que tout grand projet qui engage la gestion ou l’exploitation des ressources naturelles à des fins économiques peut, ou non, servir les générations futures dont se réclament les défenseurs et les pourfendeurs ?

En général, les gouvernements gèrent-ils sagement les ressources naturelles de leur pays en fonction des générations à venir, ou les gèrent-ils à courte vue avec une seule obsession : la rentabilité économique ?

Le projet suivant fait l’objet d’âpres discussions au Québec sur la protection de l’environnement en regard de grands projets de développement économique.

La rivière Rupert, qu’est-ce ?

Située à environ 250 kilomètres au nord de Chibougamau, la rivière Rupert prend sa source dans le plus grand lac d’eau douce du Québec, le lac Mistassini, et se jette dans la baie de Rupert, au Sud de la Baie James. Elle s’étend sur quelque 700 kilomètres. C’est l’une des dernières grandes rivières vierges du Québec encore accessibles, conservée dans un état sauvage : il n’y ni habitation, ni industrie, ni trace d’homme. Son eau est si pure qu’elle est comestible sans devoir subir de traitement préalable ! La Rupert a environ 65 rapides spectaculaires et des chutes splendides, sans compter des ruisseaux et de petites rivières qui s’y jettent, de même qu’un riche, mais fragile, écosystème. Elle héberge des espèces uniques dont la géante Rupert, une truite mouchetée dont la souche génétique sert de base à bien des piscicultures. Ses paysages et ses ressources extraordinaires, cette rivière jouit d’ailleurs d’une solide réputation continentale chez les amateurs de plein air, de pêche, de canot et de kayak. Bref, la Rupert, c’est un petit joyau du patrimoine écologique québécois.

Il y a plus de trois cents ans, c’était une voie de communication pour la traite de la fourrure. Cette rivière historique fut longtemps le garde-manger de neuf communautés cries de la Baie James pour qui elle est, bien évidemment, une fierté.

Le projet de dérivation de la rivière Rupert

Le projet Hydro-Québec consiste en la construction de la centrale de l’Eastmain-1-A, d’une puissance de 768 MW, à proximité de la centrale de l’Eastmain-1, en cours de réalisation, et en l’ajout de la centrale de la Sarcelle, d’une puissance de 120 MW, à la sortie du réservoir Opinaca. Le projet prévoit également la dérivation d’une partie des eaux de la rivière Rupert vers ces trois centrales ainsi que vers trois centrales du cours inférieur de la rivière La Grande (Robert-Bourassa, LG-2A et LG-1). La dérivation Rupert serait mise en service vers la fin 2009 et les centrales seraient mises en service en 2010 et 2011. Au total, le projet ajouterait 888 MW de puissance et une production énergétique annuelle de l’ordre de 8,5 TWh au parc d’Hydro-Québec Production. Le coût unitaire de production est estimé à 4,44 cents le kWh, en 2011.

Résumé :

deux centrales hydroélectriques

dérivation des deux tiers du débit de la rivière Rupert dans le bassin versant de la rivière Eastmain


quatre barrages

75 digues

un tunnel de trois kilomètres


des canaux totalisant 12 km

inondation de 445 km2

coût : quatre (4) milliards de $ (évaluation de 2004)

Fait à noter : les coûts de l’aménagement sont maintenant estimés à cinq milliards de dollars, soit un milliard de plus que prévu. Les Cris se sont vu promettre des retombées économiques équivalant à 15 % du coût du projet, soit 240 millions. Le Nord-du-Québec, l’Abitibi-Témiscamingue et le Saguenay-Lac-Saint-Jean devraient se partager des retombées estimées à 532 millions.

En raison des craintes d’impacts négatifs sur l’environnement, le projet prévoit la mise en place d’un régime modulé de débit réservé écologique sur la rivière Rupert qui vise à préserver les poissons et les habitats qui s’y trouvent. Hydro-Québec a conçu huit ouvrages qui préservent non seulement le caractère naturel de la rivière dans les tronçons qu’ils influencent mais aussi la navigation, la pêche, des frayères ainsi que des herbiers aquatiques. (http://www.hydroquebec.com/eastmain1a/fr/index.html)

À son embouchure, à 314 kilomètres du plus éloigné des barrages qui en réduiront le débit, la rivière Rupert ne conservera que 51 % de son volume habituel. À l’inverse, le réservoir créé dans le bassin versant de la rivière Eastmain inondera 445 kilomètres carrés supplémentaires. À titre de comparaison, l’île de Montréal a une superficie de 500 kilomètres carrés. Le Comité provincial d’examen (Comex), composé de trois membres du gouvernement québécois et de représentants nommés par l’Administration régionale crie, après vingt mois d’études et d’audiences publiques, appuyait dans son rapport de septembre 2006 la dérivation des deux tiers de la rivière Rupert vers le bassin versant de la rivière Eastmain, ainsi que la construction des deux centrales, quatre barrages, 75 digues, douze kilomètres de canaux et le tunnel de trois kilomètres que prévoit le projet. Il reconnaissait toutefois que le harnachement de la Rivière Rupert imposerait des restrictions de consommation pour plusieurs espèces. Les niveaux de mercure seraient également importants mais devraient, selon le Comex, revenir à la normale entre 2016 et 2028, selon l’espèce.

Notons enfin que ce projet emploiera jusqu’à 4000 personnes et que les deux nouvelles centrales pourront produire assez d’électricité pour alimenter 425 000 foyers.

Les avis favorables

Pour la Conférence régionale des élus de l’Abitibi-Témiscamingue, la croissance de la demande énergétique du Québec est évaluée à 1 % par année, et ceci jusqu’en 2018. Le projet de construction de la centrale de l’Eastmain-1-A et dérivation Rupert comblerait l’augmentation des besoins énergétiques du marché québécois pour une période de cinq ans. L’aménagement de ces installations aurait pour avantage d’accroître les exportations d’électricité, tout en permettant d’avoir une marge de manœuvre suffisante pour participer aux appels d’offres de long terme. De plus, cet ouvrage contribuerait à exporter davantage d’énergie aux États-Unis et en Ontario, ce qui procurerait des bénéfices indéniables sur les plans économique et environnemental. (http://www.conferenceregionale.ca/documents%20publies/Memoires/m%C3%A9moireEastmain1A-Rupert113.pdf)

Une coalition d’organismes

Association canadienne de l’hydroélectricité

Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec

Association de l’industrie électrique du Québec

Association des ingénieurs-conseils du Québec

Conférence régionale des élus de la Baie-James

Fédération des chambres de commerce du Québec

Manufacturiers et exportateurs du Québec

ont, en décembre dernier, demandé au gouvernement canadien de donner les autorisations nécessaires pour la réalisation du projet hydroélectrique Eastmain-1-A-Rupert, estimant qu’il s’agissait là du plus important projet de production d’énergie propre et renouvelable au Canada.

La Commission fédérale d’examen du Canada a déjà formulé des recommandations favorables à la réalisation du projet.

Les avis défavorables

Lors de consultations publiques, les Cris de la Baie James ont dit non au détournement de la rivière Rupert pour la construction de la centrale hydroélectrique Eastmain. Près de 75 % des trois mille Cris du Nord-du-Québec se sont prononcés contre le projet après l’avoir inclus dans l’entente de la Paix des braves, signée en 2002 et approuvée également par référendum. Les chefs de ces communautés ont pris la décision de tenir, après coup, des référendums sur la question. Selon le chef de la communauté de Nemaska, Josie Jimiken, la Paix des braves permettait l’étude du projet de dérivation, mais ne donnait pas le feu vert à sa réalisation.

Pour leur part, les environnementalistes dénoncent ce projet jugé plutôt inutile et nuisible. Environnementalistes et autochtones dénoncent également la contamination au mercure de l’eau de la rivière et du réservoir qui sera formé par sa dérivation. C’est sans compter les impacts de la dérivation de la rivière sur la vie des autochtones du secteur de la Baie James. La Fondation Rivières, qui a tenté sans succès de sauver la Rupert du détournement, croit que ce projet ne s’explique que par l’approche des élections.

Un citoyen exprimait, dans le quotidien Le Devoir de Montréal, son exaspération : « Comme dans beaucoup de projets d’exploitation des ressources naturelles, seuls les avantages faciles et immédiats sont considérés, soit, ici, la création d’emplois et le profit généré par l’exportation de l’électricité. Malheureusement, les conséquences désastreuses, tant sur les populations cries et leurs vestiges que sur l’impressionnante beauté de cette dernière rivière vierge du Québec et ses écosystèmes, sont ignorées non seulement par notre gouvernement mais aussi par la population, qui reste indifférente à une telle annonce. C’est inadmissible ! »

Que faut-il penser de tout cela ?



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