Quelle malédiction pèse sur la géothermie ?

par En.marge
mardi 28 février 2006

Savez-vous que la géothermie pourrait chauffer la plupart de nos édifices, et que la Suisse, qui s’est engagée dans cette voie depuis dix ans, a déjà la facture de chauffage par habitant la moins élevée de toute l’Europe de l’Ouest ? Savez-vous que des expériences menées à Soultz-sous-Forêt (Bas-Rhin) pourraient révolutionner la production d’électricité ? Probablement pas, car « Tchernobyl ne pourrait avoir lieu en France » et l’on vous a montré - en guise de prouesses techniques - Airbus et le pont de Millau.

Et pourtant, à Soultz-sous-Forêt, l’aventure continue malgré le manque de soutien et la technologie des roches fracturées chaudes fait ses premières preuves comme moyen de production d’électricité. Et pourtant, les pompes à chaleur commencent à intéresser le public, même en France, où ce mode de chauffage domestique dispose maintenant d’avantages fiscaux .

Comment, dès lors, expliquer le silence des médias, la modestie des projets ? Inutile de chercher du côté des insuffisances techniques : la géothermie a déjà fait largement ses preuves, et les technologies « avancées », comme celle mise en œuvre en Alsace, manquent d’investissement, pas de perspectives. Les deux problèmes majeurs, la corrosion et le refroidissement de la ressource, sont maîtrisés. Dès 1982, un spécialiste affirmait : "La vingtaine d’opérations existantes permet d’affirmer que les problèmes de corrosion, s’ils doivent être considérés avec attention, ne constituent nullement un obstacle majeur en géothermie." (Jacques Varet, Géothermie basse énergie, éd. Masson, 1982, p.95)
La Maison de la Radio à Paris est chauffée depuis les années 1960 sans perte d’efficacité de son puits.

L’explication réside donc évidemment dans un manque de cette volonté politique essentielle en matière énergétique. On est tenté, en consultant l’histoire, de s’énerver un bon coup face à l’imposition de la solution atomique à laquelle la génération des baby-boomers a jadis consenti, choisissant le confort au changement quand la crise du pétrole de 1973 lui ouvrit les yeux sur la pérennité de son mode de vie. Quel retard pris dans la civilisation, que cette nième application civile d’une nouveauté guerrière, et en faveur de structures décisionnaires aussi centralisées qu’obscures ! Or, si la géothermie a souffert du choix nucléaire-pétrole de l’époque, c’est par des biais qui en disent long sur les véritables intérêts qui président aux décisions gouvernementales.

Selon les bruits qui circulent dans les couloirs des deux principales institutions en charge de cette énergie - le BRGM (Bureau des recherches géologiques et minières) et l’ADEME (Agence pour le développement et la maîtrise de l’énergie) - la géothermie pâtirait aujourd’hui encore dans les milieux décisionnaires d’une image liée aux "porteurs de valise" et au financement occulte des partis. La volonté d’affaiblir le PCF (grand bâtisseur de réseaux de chaleur dans les villes qu’il administrait) expliquerait en partie le discrédit dont elle a souffert auprès des « partis de gouvernement » des présidents Giscard, Mitterrand et Chirac.

La concentration des moyens et pouvoirs que permet le nucléaire a aussi joué contre la géothermie, plus décentralisée... Jacques Varet, qui fut directeur du BRGM : "Quelles que soient les méthodes de travail adoptées dans le futur, le développement de la géothermie résultera essentiellement de la volonté des usagers collectifs locaux. Les incidences de cette possibilité de choix laissée en matière d’énergie au plan local n’est pas sans incidence sur l’organisation de la société." (ouvrage cité, p.199) La décentralisation conduira-t-elle à inverser la tendance ?

Les Français seraient bien inspirés de pencher en ce sens, car ils possèdent un trésor géothermique sous leurs pieds, dont une infime partie est exploitée. On dénombre 65 installations dédiées au chauffage urbain, réalisées principalement dans les années 1980 dans le Bassin parisien.
On pourrait centupler ce nombre et développer le chauffage géothermique dans bien d’autres régions (Bassin aquitain, Pyrénées, Midi, couloir rhodanien...). De la même manière, il n’existe qu’une seule centrale électrique géothermique, à Bouillante en Guadeloupe, alors que le potentiel existe pour un véritable pôle énergétique dans les Caraïbes.

- La meilleure des énergies ?

Sa vapeur permet de produire de l’électricité (40% de l’énergie finale consommée en Occident), son eau d’alimenter le chauffage (15%). Elle ne produit pas de déchet, sinon parfois de faibles émanations de gaz facilement filtrables (soufre utilisable, CO2 séquestrable).
Elle est renouvelable : l’eau puisée retourne à la terre après avoir perdu ses calories, soit directement dans les cours d’eau (eau douce), soit par réinjection dans le sous-sol par un autre puits (eau chargée en sels minéraux). Elle est partout : les ressources géothermiques sont présentes sur tous les continents. Elle est locale, illustrant parfaitement l’adage : “produire et consommer localement”. Elle est constante, contrairement à l’énergie solaire ou éolienne. Elle est bon marché, même si elle demande un investissement à long terme : c’est d’ailleurs son drame, car les investissements publics qu’elle nécessiterait ne sont plus à l’ordre du jour... et les capitaux privés appartiennent à d’autres lobbies plus pressés. Elle est l’avenir, car l’avenir est électrique : à nous de savoir en profiter afin d’éviter la guerre pour les énergies fossiles et la prolifération du risque nucléaire civil.

Brisons le silence et faisons un avenir à la géothermie !

MAIS QU’EST-CE DONC QUE LA GEOTHERMIE ?

La reine oubliée des énergies renouvelables

- La chaleur de la Terre ne vient pas toujours du magma !

Sous nos pieds la Terre est chaude, de plus en plus chaude à mesure que l’on s’enfonce. Les premiers mètres sont réchauffés par le soleil. Ensuite, c’est la désintégration des éléments radioactifs présents dans les roches (uranium, thorium, potassium..) qui produit de la chaleur. En moyenne, la température augmente ainsi de 3 à 4 degrés tous les 100 mètres en France (c’est le gradient géothermal, qui est de 10°/100m en Alsace). Mais il faut descendre plus encore - ou se trouver sur une faille de l’écorce terrestre - pour que ce soit le magma (roche en fusion) qui chauffe les roches du manteau terrestre.

- D’où vient la géothermie ?

La chaleur emmagasinée dans les roches chauffe les eaux souterraines qui les traversent. Quand elles remontent à l’air libre, c’est une bénédiction pour les hommes ! Les sources chaudes les ont aidés à supporter les dernières glaciations, les thermes sont des lieux privilégiés depuis la plus haute antiquité. Au XIXe siècle, on ne s’est plus contenté d’utiliser l’eau chaude affleurant à la surface. Forts d’une meilleure connaissance du sous-sol et des techniques de forage, on a été capables de faire remonter l’eau artificiellement. C’est le principe de la géothermie (du grec géo : terre et thermos : chaud). Le premier réseau de chauffage urbain a été installé en 1930 à Reykjavik en Islande, et la première centrale électrique en 1904 à Larderello en Italie.

- Des clopinettes pour la géothermie.

La France participe depuis 2000 au programme européen de géothermie des roches chaudes fracturées, à Soultz-sous-Forêts en Alsace, où une centrale expérimentale s’est montrée capable de produire 6 MW. L’exploitation de 3% de l’énergie potentielle du sous-sol alsacien fournirait l’équivalent de 10 centrales nucléaires. Des roches chaudes fracturées existent dans le Massif central, le Couloir rhodanien et de vastes étendues en Europe. 80 millions d’euros ont été investis à Soultz (UE 30, France et Allemagne 25) - contre 290 figurant en provisions dans les comptes EDF 2003 pour le démantèlement de chaque centrale nucléaire.

LES DIFFERENTES TECHNIQUES

Elles dépendent essentiellement de la température de l’eau.

- Plus de 150°C : la géothermie haute énergie est une technologie bien maîtrisée (l’Islande produit 20% de son électricité ainsi, bientôt l’hydrogène de ses bus). Des réservoirs d’eau et de vapeur à plus de 150° existent dans toutes les régions volcaniques et tectoniques de la planète, à une profondeur située entre 1500 et 3000 m, parfois même en surface. La vapeur d’eau qui jaillit du tube sert à produire de l’électricité, directement ou via un échangeur de chaleur, puis retourne refroidie en eau dans le réservoir. Problème : ne pas refroidir celui-ci..


- De 150° à 90° C : la géothermie moyenne énergie utilise une eau puisée à environ 1000 m. Elle peut générer de l’électricité en utilisant un fluide intermédiaire qui augmente la température.

350 installations de haute et moyenne énergie dans le monde produisent actuellement 8 GW, soit 0,2% de la production électrique mondiale, alors que le potentiel est illimité : ceinture du feu du Pacifique, arc méditerranéen, rift africain, Extrême-Orient russe, Indonésie...


- La géothermie basse énergie concerne tous les bassins sédimentaires qui possèdent des nappes aquifères (c-à-d la plupart). L’eau chaude (90°C maximum) est puisée dans des réservoirs situés entre 800 et 2500 m, elle cède ses calories (via un échangeur) à l’eau d’un circuit sanitaire ou de chauffage, avant d’être réinjectée dans le sous-sol. Solution idéale pour chauffer bâtiments publics, habitat collectif, serres, piscines, bassins de pisciculture...


- La géothermie très basse énergie peut être utilisée partout sur la planète pour l’habitat collectif ou individuel. La chaleur du sol à quelques mètres seulement de profondeur peut être récupérée et amplifiée en utilisant une pompe à chaleur (PAC). Cette énergie sert au chauffage, à la production d’eau chaude sanitaire et à la climatisation. En vogue depuis le début des années 1990 en Amérique du Nord, les pompes à chaleur arrivent en force en Europe : 360 000 installations dont 28 500 en France. Depuis une dizaine d’années, la Suisse ne construit plus rien sans prévoir une PAC. Résultat : les plus faibles dépenses de chauffage en Europe de l’Ouest !


- La pompe à chaleur (PAC) : on capte la chaleur du sous-sol par le biais de capteurs horizontaux (de 0,8 m à 1,2 m de profondeur ) ou verticaux (80 m), dans lesquels circule le fluide pompé par la PAC. Cette machine thermodynamique, par un phénomène de compression des gaz, augmente la température de la chaleur récupérée dans le sous-sol pour restituer une chaleur plus élevée dans l’habitation. Tout n’est pas parfait, le fluide frigorigène est souvent un gaz à effet de serre et le compresseur de la pompe doit être entraîné par un moteur électrique consommant lui-même de l’énergie. Mais il suffit de surveiller son installation pour éviter les fuites et, pour 1 kWh consommé, 4 sont restitués sous forme de chaleur.

Pour une maison de 150 m2 : 300 m2 de capteurs horizontaux (85 euros le m2 chauffé) ou deux sondes à 50 mètres (145 à 185 euros/m2 chauffé). Aides de l’Agence nationale de l’habitat, primes EDF, crédit d’impôt et TVA réduite. Ensuite : 60% d’économie sur votre facture de chauffage.

Demain :

La géothermie profonde des roches fracturées vise à récupérer la chaleur qui se cache sous tous les bassins cristallins de la planète (l’essentiel de sa masse continentale), en créant des poches servant de bouilloire. De l’eau froide sous pression est injectée à 3, 4 ou 5 km de profondeur dans une zone fracturée d’un massif granitique. Elle se réchauffe en circulant dans les failles et la vapeur qui s’en dégage est pompée jusqu’à un échangeur de chaleur pour la production d’électricité.

Après-demain : la géothermie magmatique est encore expérimentale. Il s’agit de profiter des remontées du magma dans les régions volcaniques pour y chauffer de l’eau, à l’aide d’un tube dans lequel elle remonte sous forme de vapeur, alimentant une turbine électrique en surface. Méthode testée avec succès dans les années 1980 à Hawaii par le Sandia National Laboratories, abandonnée faute de crédits. Le problème technique est d’éviter la solidification du magma autour du tuyau où l’eau circule. Une gestion mondialisée et rationalisée des ressources mondiales conduirait, à terme, à l’installation des industries lourdes près de centrales thermiques magmatiques.

En.marge

Article publié en partie dans Nouvelles Clés n°48, automne 2005 ,

et aux adresses suivantes

en.marge.free.fr , www.bismi.net

Pour en savoir plus :

Lire : La géothermie, Editions BRGM 3 avenue Claude Guillemin BP 6009, 45060 Orléans cedex 2 Tél : 02 38 64 30 28

Voir :

http://www.geothermie-perpectives.fr

http://www.geothermal-energy.ch/

http://www.soultz.net


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