Randonnées « poubelles » : un reportage citoyen

par Olivier FRIGOUT
mardi 14 février 2006

A la porte des Cévennes lozériennes, où le Tarn se sépare du Tarnon, Florac porte l’image de la nature, des vacances « écolos » et des activités en plein air. A la sortie de la sous-préfecture, dans le bourg de Saint-Julien du Gourg en direction de Mende, une déchetterie toute neuve, flanquée de son quai de transfert, relaie de façon plus forte encore une volonté de respect de l’environnement, que l’affiche du SICTOM, en charge de la gestion des déchets des Bassins du Haut Tarn, énonce clairement.

Même si cette politique peut trouver des raisons économiques, notamment au travers de l’impact touristique du Tarn comme en aval, à Sainte-Enimie, l’action des élus locaux est louable. Nous partons alors en balade sur une ancienne route serpentant dans un vallon, dans lequel les eaux de ruissellement alimentent le ruisseau d’Issenges, se jetant après avoir traversé la route dans le Tarn en contrebas. Il fait bon, malgré le gel de la nuit, et nous ne sommes pas au bout de nos surprises.

Abords du chemin
Crédit : Olivier FRIGOUT

En effet, rapidement, les abords du chemin changent d’aspect, des dépôts d’ordures commencent à éclore. Un panneau ancien nous indique qu’en haut, une décharge autorisée est installée. Est-elle toujours en service, en dépit de la déchetterie flambant neuve située juste en dessous ?

Le nombre de gravats et d’encombrants salissant le bord du chemin semble indiquer le contraire, les nombreux indélicats ayant visiblement renoncé à poursuivre sur la route défoncée jusqu’au lieu de décharge.

L’incinérateur
Crédit : Olivier FRIGOUT

Pire, après un lacet, nous découvrons, encore debout, lançant toujours fièrement sa cheminée vers les cieux, une usine d’incinération désaffectée, éventrée, des monceaux de sacs d’ordures ménagères en partie calcinées "dégueulant" des quais de chargement.

Nous poursuivrons malgré tout notre ascension, pour découvrir enfin la décharge, ouverte aux vents comme au public, abandonnée visiblement par ses exploitants, mais pas par ceux qui, quelles que soient leurs raisons, préfèrent ce site à la déchetterie de Florac.

Comme elle est située en amont du ruisseau d’Issenges, on peut craindre que les pluies, après avoir " lessivé " les ordures, ne rejoignent le cours d’eau avant de se jeter dans le Tarn. L’idée de me baigner à Sainte-Enimie, si elle m’avait effleuré, s’est dissoute à jamais.

Coeur de l’incinérateur.
Crédit : Olivier FRIGOUT

Le Tarn et l’incinérateur
Crédit : Olivier FRIGOUT


L’incinérateur de la honte

Comme beaucoup d’autres, l’incinérateur de Florac a été fermé en 2002. Polluant, d’une capacité insuffisante, il a malgré tout distillé ses poisons dans l’atmosphère pendant près de vingt ans. Aucune trace de la moindre étude d’impact n’est disponible, pour quelle raison ? Ce qui est sûr, c’est que sa destruction n’a jamais été conduite à son terme, le SICTOM, propriétaire du terrain sur lequel il se trouve, ne donnant pas de raison à cela, malgré nos questions.

Pollutions, non réhabilitation du site, manque d’études d’impact et absence d’informations interrogent sur la valeur qu’on accorde aux populations de cette Lozère du Sud, où l’argent public a fait si souvent défaut. Le plus inquiétant est que nombre de familles cultivent cette terre riche dans cette partie des gorges. Quels risques courent-elles à consommer ces produits du jardin ? Autour de cette question plane l’ombre du cancer qui fauche des femmes et des hommes que la vie plutôt saine aurait dû préserver. Les habitants résignés invoquent la fatalité et le mode de vie moderne et ses inconvénients. Mais des retombées de Tchernobyl aux dioxines, en passant par les anciens sites d’exploitation de l’uranium, ce territoire cumule un certain nombre de handicaps de santé publique.

Décharge illégale mais autorisée
Le SICTOM en charge des terrains, interrogé par fax, n’a pas encore répondu à nos questions. La décharge est fermée depuis quelques années. Mais les anciens panneautages qui indiquent sa direction, et également les recommandations présentes in situ ne précisent l’interdiction formelle de quelque dépôt que ce soit. Visiblement abandonnée, l’ancienne décharge publique continue à recevoir des détritus et encombrants, n’est pas nettoyée et ne semble pas faire l’objet d’une future réhabilitation. Elle fait partie de la liste des décharges non autorisées déclarées toujours en activité, publiée par le ministère, mais les 3000 m2 ne font visiblement l’objet d’aucune surveillance ni gestion.

Pourtant, les circulaires ministérielles sont claires et fermes. Depuis celle du 23 février 2004 qui intimait l’ordre aux préfets de mettre un terme aux infractions que représentent les décharges non autorisées, celle du 4 juillet 2005 relevant qu’un certain nombre de préfectures n’avaient pas transmis la liste des sites illégaux de leur département, la volonté des ministres de l’environnement et du développement durable est, en la matière, indiscutable. Mais sur le terrain, représentants de l’Etat et élus locaux n’y semblent que peu sensibles.

Décharge légale ?
Crédit : Olivier FRIGOUT

Coupable immobilisme ? Quelles peuvent en être les conséquences sanitaires dans le ravin d’Yssenges ? Alors que la DDASS précise qu’un captage d’eau potable est réalisé sur un terrain contigu en amont, rien n’est prévu pour éviter que les eaux de pluie se chargent en traversant les tas d’ordure avant de rejoindre en aval le Tarn. Un Tarn qui, par ailleurs, est régulièrement victime de pollutions, et où les eaux stagnantes représentent un risque mortel pour les canidés, comme les morts suspectes de chiens chaque été le montrent. En cours d’inspection, les réseaux d’eau pluviales et d’égout de Florac semblent interconnectés, alors que leur réfection complète date de quelques années seulement. La station d’épuration au Pont du Tarn, dont la capacité est insuffisante, est régulièrement responsable de pollution de la rivière. Enfin, aux dires des riverains, la commune de Florac dépose et repousse régulièrement au bulldozer des branchages au bord du lit du Tarn, déchets végétaux que les crues ne manquent pas d’emporter plus loin en aval.

La décharge toujours accessible.
Crédit : Olivier FRIGOUT

Cette situation montre qu’au-delà du comportement de certains citoyens, trop d’élus locaux n’ont pas encore la protection de l’environnement dans leurs priorités. Hélas, la qualité de l’environnement est une condition nécessaire à une bonne santé publique.

Responsabilité diluée entre les différents acteurs publics, inaction justifiée par un manque de moyens financiers, le plus inacceptable est le choix de ne pas informer la population de cet état de fait, alors que c’est auprès d’elle que les comptes doivent être rendus.

Or la dernière circulaire du ministère précise : "Comme ceci avait été signalé lors de la circulaire du 23 février 2004, une procédure pré-contentieuse a été engagée par la Commission européenne pour infraction à la réglementation communautaire. La France est désormais sous le coup d’une saisine de la Cour de Justice des Communautés européennes".

La situation de Florac n’est hélas pas une exception en France. En fait, 606 sites non autorisés, recensés sur une vingtaine de départements, fonctionnent toujours, dont celui d’Yssenges, déclaré pour les encombrants. Les syndicats intercommunaux de gestion des ordures ménagères (SICTOM) sont des structures trop souvent inertes et devant faire face à des dépenses importantes imposées par l’évolution de la réglementation européenne. De report en report, les déchets s’accumulent, sont parfois triés pour rien, seule la facture d’enlèvement des ordures évolue à la hausse. L’état des cours d’eau et des nappes phréatiques impose qu’un réel effort soit conduit par les pouvoirs publics décentralisés et les élus locaux, pour apporter de vraies réponses à des pollutions insidieuses, mais non négligeables.


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