Rhétorique de l’anti-écologie politique

par Orélien Péréol
mardi 2 juillet 2019

En matière d’écologie, nous ne manquons pas de prophètes, nous en avons depuis longtemps. Nous en avons beaucoup en ce moment. Les prophètes ne sont pas des devins, ce sont des analystes performants, qui savent prendre en compte le maximum des informations disponibles et qui, de ce fait, peuvent mieux dire l'évolution probable d'une situation donnée.

En 1931, Gina Lombroso écrivait dans « La rançon du machinisme » : « Les forêts que nous avons coupées n’avaient pas été plantées par nous ; les animaux que nous avons chassés n’avaient pas été nourris par nous ; ils ne se reproduiront pas, non plus que les métaux, le pétrole, le charbon que nous avons retirés de la Terre. »

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » a dit un président de la République en 2002.

Le principe de précaution qui est dans la loi française en matière d’environnement depuis 1995 (loi Barnier) et dans la Constitution depuis 2005 stipule qu’il faut agir avant d’avoir les preuves du dommage en train de croître. C’est une extension politique d’aphorismes que tout le monde connait : « dans le doute, abstiens-toi » et « mieux vaut prévenir que guérir ». En entendez-vous parler à propos du glyphosate, par exemple ? Non.

Nous croyons que les comportements sont contenus dans les idées, et ce n’est pas tout à fait vrai. Les idées jouent un rôle dans les comportements mais les comportements ne sortent pas tout droit des idées comme des flèches sortent des arcs pour atteindre leur cible, obtenir ce que tout le monde déclare vouloir. Cela vaut pour tout. En matière d’écologie, nous savons et continuons d’agir de la même façon, d’épuiser la Terre et l’atmosphère. Savoir ne nous informe pas, ne modifie pas notre attitude, ne nous modifie pas.

Il n’empêche que l’idée persiste : inscrire dans la Constitution une idée, un principe, lui donnerait une valeur quasiment absolue et la sortirait du débat public, quand bien même tout le monde peut voir que cela ne fonctionne pas.

La politique est investie depuis une dizaine d’années par l’idée que notre vie sort des décisions de nos dirigeants : ils peuvent tout (et ne font rien). C’est ce qu’on appelle le populisme : un peuple uni par un « intérêt général » qu’il connait et des dirigeants qui trahissent sans cesse cet intérêt général pour s’enrichir personnellement, ce qui est leur seul but (caché). Soi-disant caché parce qu’on parle beaucoup de ça à leur propos. L’action politique consiste à se tourner vers les dirigeants pour leur faire avouer leurs torts, afin qu’ils modifient leurs décisions dans un sens favorable au peuple uni et qui sait ce qu’il veut. Il y a des partis qui se réclament du populisme, cette tendance lourde, cette mentalité les a tous atteints cependant.

Or les problèmes écologiques, pas plus que le reste, ne dépendent des décisions des dirigeants, pas d’abord, pas exclusivement. Le problème écologique, c'est l'avidité de chacun et de tous ; ce n'est pas les mauvaises décisions des affreux dirigeants. Inconsciemment, le reproche fait aux dirigeants est qu’ils ne savent pas prendre des décisions qui compenseraient les dommages créés à la nature par notre activité énergivore. Par exemple, Anne Baldens va être jugée : elle a décroché un portrait du président dans une mairie pour, dit-elle « que les gouvernants et les décideurs économiques fassent leur part et cessent de détruire la planète et tout ce qui y vit. » Quelle est cette part ?

A un certain niveau, l’écologie est une science. La science, c'est l'observation. Dans l'observation, il y a ce qu'on voit, perçoit, ressent, il y a des observations qui nécessitent des instruments, lesquels sont fabriqués à partir d’observations dans d’autres domaines. Par exemple, Galilée a créé des lentilles nouvelles et performantes pour l’époque, ce qui lui permit des observations jusqu’alors impossibles. La science enfin, est le calcul des relations entre les observations. Personne ne voit de forces, personne ne voit la gravitation universelle, on en voit des effets, ou plutôt on voit des phénomènes qui deviennent compréhensibles, réguliers, logiques, fonctionnels par la création de systèmes de pensées contenant des « objets intellectuels » qu’on ne voit pas. Et ça marche. On se déplace à grande vitesse, on mange des fruits venant de l’autre côté de la Terre, on bâtit des constructions de très grande taille, on se parle, on se voit de loin, on vieillit plus, et mieux… L’écologie est une science, parait-il difficile. Il vaut mieux ne parler que d’écologie politique, fondée sur une bonne connaissance de l’écologie scientifique, la plus grande possible, et tournée sur des faits nouveaux sur la planète avec leurs conséquences sociétales. Un peu comme les médecins ne sont pas à proprement parler des scientifiques, ce sont des techniciens avec un gros bagage en biologie.

Les réticences de certains acteurs économiques qui voient dans l’écologie politique une insupportable remise en cause de leur intérêt, le profit, doivent être traitées dans ce cadre. Mais nous voyons tous une insupportable remise en cause de notre intérêt, un mode de vie agréable et facile…

Les industriels, sous le nom de lobbies, ont commencé une atteinte à ce cadre de pensée : ils induisent l’idée que ce qui n’est pas prouvé est faux, ce qui n’est pas quantifié n’est pas prouvé… ils induisent l’idée que la science, c’est le doute, que les scientifiques ont changé d’avis plusieurs fois dans leur interprétation de certains phénomènes… qu’en admettant le réchauffement, la part de l’homme n’est pas certaine, pas quantifiée, suggérant que si ce n’est pas lui la cause, il n’a pas à être le remède…

Parce que les hommes préfèrent les mensonges rassurants aux vérités dérangeantes. Est déjà apparu l’expression « écologie punitive ». Toute demande d’effort serait une punition. L’offensive des entreprises gênées par les écologistes ne fait que commencer. Ne pouvant contredire les faits, les lobbies vont imposer un certain type de langage, avec son vocabulaire, sa « morale »… Il est fondamental de ne pas se faire embarquer par ces ruses.

Il est fondamental de s’en tenir à l’observation (scientifique) et de ne pas spéculer de trop dans le langage.

Les neiges du Kilimanjaro

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