Rien qu’une goutte d’eau
par C’est Nabum
lundi 9 juin 2025
Et pourtant, quelle aventure !
Il se peut que tu sois timide ce qui expliquerait grandement ton désir de vivre cachée par chez nous, terrée parmi toutes tes copines dans le secret d'une nappe qui permet elle aussi de nous mettre à table. C'est là que tu puises cette énergie magnifique que tu restitueras à qui parvient à te puiser sans pour autant épuiser nos ressources.
Si la vérité sort toute nue du puits, toi tu t'habilles de bien des oripeaux quand ton séjour sur et sous terre t'a hélas chargée de bien des fardeaux. Ton désir de pureté en prend là un sale coup et tu conserveras longtemps les traces de ces vilenies, toi dont la mémoire est pourtant encore sujette à caution dans les milieux scientifiques.
Pourtant, tu te souviens comme si c'était hier de ce merveilleux périple qui t'a conduit à attendre ton heure dans les entrailles du sous-sol de Beauce. Tu passais un merveilleux séjour balnéaire, profitant pleinement des joies de la baignade quand une saute de vent soudaine sous un soleil dardant t'a enlevée à l'affection de tes camarades. Tu as versé une larme, manière astucieusement pour toi de te lester de ce sel qui t'irritait quelque peu.
Puis tu as pris les airs, allant au gré du vent en compagnie d'autres petites gouttes qui se sont agglomérées à toi pour former un nuage. La tête dans les étoiles, tu attendais ton heure pour revenir sur cette Planète qui te doit la vie. Tu as ainsi visité de merveilleux paysages et d'autres qui ne te laissèrent qu’un goût amer en te chargeant de méchantes particules.
Alourdie certes mais aussi pressée de retourner sur terre, tu as profité d'une modification de l'atmosphère pour te laisser aller à la gravité. Plaisante sensation que cette chute trop rapide à ton goût, une pluie d'impressions agréables avant que de finir par t'écraser sur un sol fort peu accueillant. Le béton n'étant pas de nature à ce que tu remplisses ta mission nourricière.
Tu t'es laissé aller, portée par une mauvaise pente qui te conduisit dans un tunnel nauséeux. Tu pris ton mal en patience, persuadée que tu ne pouvais ainsi disparaître à jamais dans les miasmes d'une société qui aime tout souiller y compris le plus précieux de tous les trésors. Tu avais sans doute raison de te montrer optimiste puisque tu as eu droit à un lavage conséquent, des bains salvateurs pour te purifier à nouveau avant que de te confier à une rivière.
De loin en loin, tu repris ton chemin à rebours, retournant d'où tu venais quand par inadvertance tu fus aspirée par une pompe qui mit fin à ta nouvelle randonnée. Tu fus avalée puis pulvérisée pour aller nourrir une terre qui t'absorba prestement pour finir par te retrouver dans cet immense réservoir de la nappe de Beauce.
À franchement parler, tu ne gouttas que modérément cet enfermement qui pourtant constitue une grande part de tes multiples voyages. C'est là que tu as pu revivre tous les épisodes de ton interminable existence ; ce cycle de l'eau qui t'offre à chaque fois de nouvelles aventures, de formidables rencontres, de merveilleux paysages et parfois de troublantes colères.
Tu as compris que rien ne pouvait t'arrêter quand avec tes copines tu décidais de semer l'effroi et la terreur sur la terre. Tu préfères de beaucoup tous les rôles que la nature t'a confié pour lui permettre de s'épanouir tout en apportant ta part à la si vitale photosynthèse. Tu as regretté parfois de servir de terrain de jeu à de drôles d'animaux, couverts de crèmes grasses, qui profitaient de ta douce tiédeur sans la moindre reconnaissance.
Tu repointes ton nez cette fois dans cette vaste plaine de Beauce pour te retrouver projetée par un canon qui contrairement à ses homologues, apporte la paix et le réconfort. Tu vas permettre la croissance de quelques grains de blé dont tu sais les bienfaits qu'ils apportent de par ce vaste monde. Tu reprendras ta route, ton travail effectué, pour de nouvelles aventures en ce cycle sans fin qui t'honore et te ravit.