Sushis et sashimis, des espèces menacées

par simon.ld
lundi 10 mai 2010

La malbouffe nous guette, presque à chaque coin de nos rues commerciales. Les lieux de restauration rapide, souvent considérés comme facteurs importants du problème d’obésité en Amérique, produisent des repas avec des taux excessivement élevés de lipides, de sucres, de sodium, etc. Heureusement, depuis quelques années déjà sont apparues des alternatives. La solution parfaite pour un dîner rapide, santé et écolo est certainement un repas de sushis, parfois dispendieux mais idéal pour une conscience tranquille. Les poissons ont une excellente réputation alimentaire : fort apport énergétique, peu de gras, apport important en oméga-3. Malheureusement, les sushis et sashimis n’ont pas une conscience aussi tranquille que la nôtre. C’est que bien qu’elle soit très en demande, la pêche n’est pas l’industrie la plus en forme par les temps qui courent. Et les sushis ne sont que la pointe d’un iceberg considérable dont les conséquences pourraient bientôt être irréversibles si des mesures concrètes ne sont pas prises rapidement à l’échelle planétaire.

Parlons sushis
 
L’avenue du sushi est souvent exploitée pour aborder le problème de surpêche depuis quelques années. C’est probablement parce que l’approvisionnement de l’industrie du fast-food santé se fait principalement auprès des populations de saumon de thon rouge, deux espèces qui sont sérieusement surveillées. Le thon rouge fait d’ailleurs partie de la liste des poissons menacés, pour diverses raisons. Il existe trois espèces de thon rouge : du Nord, du Sud et du Pacifique. Toutes trois vivent dans des bassins distincts du globe et chacune d’entre elle est considérée comme surpêchée. Le thon rouge du Sud, particulièrement, est classé en danger critique d’extinction. Or, 80 à 90% des stocks de thon rouge pêchés sont destinés au marché japonais, berceau planétaire du sushi et plus grand producteur mondial. Ce convoité poisson est très recherché pour sa partie ventrale appelée thon gras. Ce même poisson est également sur le point de disparaître de nos océans.

En plus de subir le problème de surpêche, le thon rouge est gravement atteint par celui de la pollution. Comme il se trouve tout en haut de la chaîne alimentaire, une quantité impressionnante de substances toxiques se retrouvent souvent stockée dans sa chair, à cause de l’accumulation de ces mêmes substances dans l’alimentation de ses propres proies. Dans un thon rouge se trouve donc plusieurs produits polluants présents dans les océans et solubles dans le gras tel que HAP, PCB, dioxines, ainsi qu’une quantité impressionnante de mercure, essentiellement sous forme de méthylée, la plus toxique pour l’homme. Selon l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), la quantité de mercure total présent dans cette chair excèderait dans 61,1% des cas le taux de mercure maximal permis en Europe, avec un taux variant entre 0,16 et 2,59 mg/kg. Ce mercure, nocif pour l’homme, peut être extrêmement dangereux pour les femmes enceintes et particulièrement pour leur fœtus ou embryons qui y sont très sensibles. Toujours selon l’Ifremer, la quantité de mercure ingérée hebdomadairement pour un consommateur moyen dépasse largement le seuil d’ingestion hebdomadaire tolérable établi par l’Organisation Mondiale de la Santé.

À ce compte, les petits poissons comme la sardine ou le hareng qui se trouvent tout au bas de la chaîne alimentaire, en plus d’être encore aujourd’hui à l’abri des excès de pêche, sont les plus sains à manger pour l’homme, contrairement aux gros poissons à la tête cette chaîne comme le thon ou le saumon, des poissons-poison.

Les stocks s’effondrent

Mais la problématique des sushis et du thon rouge ne représente qu’une partie des problèmes de pollution des océans et de surpêche qui sont en constante et inquiétante augmentation. Les organismes nationaux et internationaux s’entendent tous pour dire que la pêche commerciale telle qu’elle est pratiquée présentement à travers le monde menace sérieusement une grande partie des écosystèmes marins et océaniques. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA), la proportion d’espèces de poissons impactées à différents degrés par le phénomène de surpêche s’élèverait à 77%. Ainsi, 8% seraient épuisées, 17% surexploitées et 52% exploitées à leur maximum. Le poisson constitue 16 % des protéines absorbées par l’homme ; la chute drastique des stocks, particulièrement dans les pays du Sud, aurait un impact énorme sur l’alimentation et l’économie de plusieurs peuples dont les conditions de vie sont déjà précaires pour nombre de raisons.

L’une des plus grandes causes de l’avènement de la pêche abusive est la tournure qu’ont prises les techniques et industries impliquées dans le milieu au cours du dernier siècle. La pêche industrielle tend vers des modes de production de plus en plus efficaces et de moins en moins dispendieux ; la pêche industrielle, avec seulement 1% des bateaux, prélève 50% des prises mondiales. Mais ces industries, dont les agissements vont en général fondamentalement à l’encontre des principes de respect des écosystèmes, sont également très lucratives pour les gouvernements qui les hébergent. La conférence des Nations Unies sur les espèces menacées (CITES) a récemment rejeté une proposition qui aurait protégé le thon rouge, une victoire pour les trois pays européens qui le pêchent, et pour le Japon, son principal importateur. Des décisions comme celle-ci ne peuvent que faire surgir des questions au sujet de la prépondérance des impératifs économiques sur les impératifs scientifiques. Parce que concrètement, les gouvernements et conférences internationales seraient en mesure de légiférer pour imposer des quotas ou proscrire la pêche de certaines espèces précises. Évidemment, le côté lucratif de ces industries les dissuade facilement d’agir de la sorte.

Un autre problème majeur se situe dans les techniques de pêche utilisées. La pêche technologique, entre autre, a entraîné une augmentation rapide des prises accessoires. Ainsi, 25% des poissons qui sont pêchés chaque année (27 millions de tonnes) sont rejetés morts à la mer car ils n’appartiennent pas aux espèces souhaitées. Des dauphins, des tortues et des oiseaux marins (environ 100 000 albatros par an) sont aussi capturés et tués par les filets et les lignes appâtées. Les filets perdus ou abandonnés en mer sont aussi la cause d’un nombre élevé de décès qu’il est malheureusement impossible de calculer. Également, les bateaux qui utilisent le chalut de fond sont la cause d’énormes ravages sur les écosystèmes exploités. Directeur du Centre des pêches de l’université de Colombie Britannique à Vancouver et lauréat en 2005 du prix Cosmos, l’équivalent du Nobel pour la recherche en écologie, le biologiste Daniel Pauly considère que si le chalut de fond n’avait jamais été utilisé et qu’on devait aujourd’hui réfléchir à son utilisation, il serait assurément interdit à cause des ravages qu’il fait partout où il passe. Pauly estime aussi qu’une réduction de l’effort de pêche des grandes flottes industrielles, en plus réduire l’impact de la pêche sur la faune et la flore sous-marine, permettrait de conserver un nombre d’emplois plus important dans la pêche artisanale.

Comment y remédier ?

L’une des solutions les plus souvent proposées concerne l’élevage de poissons en aquaculture. L’élevage en bassins de poissons omnivores comme le tilapia ou le cyprinidé pourrait est une avenue extrêmement intéressante, puisqu’il est possible de produire une grande quantité de ces poissons sans utiliser une grande quantité de farines de poissons. Actuellement, la plupart des poissons d’élevage des pays développés sont des carnivores ; il faut pêcher en mer 2kg de poissons pour en élever 1kg. De plus, la fuite de saumons d’élevage met en péril les populations sauvages en transmettant des infections contractées en captivité ou en déplaçant les œufs des poissons sauvages, puisque leur période de fraie se trouve plus tard dans l’année. D’après le World Wide Fund for nature, 500 000 poissons s’échappent des élevages chaque année.

L’ONUAA propose également d’autres solutions pour régler ce problème d’envergure : dans les zones côtières ou sur le plateau continental, prélèver de droits pour l’exploitation des ressources, établir des zones ou saisons de pêche fermée, améliorer de la sélectivité des engins de pêche, encourager les installations aquacoles dans les environnements pouvant les supporter ; en haute mer, réduire les captures accidentelles, maintenir les prises accessoires à des niveaux permettant le renouvellement des populations, favoriser la gestion par des organismes régionaux. Ce sont là autant de solutions qui pourraient faire la différence si des gestes sont posés avant que la situation ne devienne irréversible.

Ce sont les initiatives internationales amorcées par des organismes tels que l’ONUAA qui feront une différence à l’échelle planétaire, mais seulement dans le cas où les mesures proposées sont respectées par les gouvernements nationaux. Encore aujourd’hui, l’économie préside l’assemblée des consciences. L’argent est le dénominateur commun de toutes les problématiques exposées et c’est, malheureusement, ce qui régie encore les lois. Tant et aussi longtemps que les gouvernements fermeront les yeux sur les actes – souvent illégaux – commis par l’industrie de la pêche, celle-ci s’emplira les poches sans remords. C’est aux gouvernements de légiférer. Et c’est aux citoyens de leur faire savoir. L’ordre des choses doit changer. Entre temps, souhaitons que ces pêcheurs artisanaux pour qui la pêche est le seul gagne pain arrivent à subsister jusqu’à la venue de ces lois. Prions pour eux, pauvres pêcheurs.

Simon Landry-Désy


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