Thon rouge : bientôt la fin...

par Albert Ricchi
jeudi 10 janvier 2008

Si la mondialisation met en péril les économies de nombreux pays, elle fait également des ravages en matière de protection des espèces animales.

Le thon rouge, ce gros poisson qui peut vivre jusqu’à 20 ans, atteindre 600 kilos et mesurer plus de 2 mètres, fait actuellement l’objet de grandes manœuvres économiques entre Etats riches et pays émergents.

L’assemblée annuelle de la Commission internationale de gestion des thonidés de l’Atlantique (ICCAT), réunie en novembre dernier à Antalya en Turquie, a bien pris quelques décisions mais elles ne répondent absolument pas à l’enjeu de la survie de cette espèce...

Parmi les nombreuses menaces qui pèsent sur la Méditerranée, la pêche aux thons rouges, faite au large, notamment par les flottes espagnoles, françaises et turques, relève souvent de pratiques illégales et dédaigne les réglementations.

Mais cette pêche entre flottes de thoniers-senneurs des pays riverains de la Méditerranée est aussi une histoire de gros sous entre grands cuisiniers japonais et fins gourmets... Car le thon rouge vaut de l’or au Japon et il est même préparé tout spécialement pour les restaurants japonais de Londres ! C’est ainsi que le morceau suprême, la ventrèche du thon, pourra atterrir dans certaines assiettes à 450 € le kilo et l’excellent cœur de filet à 230 € !

Début janvier 2007, à Tokyo, un spécimen de 214 kilos, long de plus de trois mètres, s’est vendu plus cher qu’une Ferrari 456 GT : 230 000 €, soit 1 074 € le kilo (7 045 F pour les nostalgiques du franc). Bien sûr, il s’agissait des traditionnelles enchères - surmédiatisées - pour le premier thon de l’année nouvelle. Mais, même avec la baisse actuelle des prix due à la récession, les amateurs sont prêts à faire des folies pour un sashimi gras à souhait. Le nec plus ultra des 500 000 tonnes de poisson cru que le Japon consomme chaque année. Un marché minuscule par les quantités (7 000 tonnes) mais un marché Majuscule pour sa valeur !

En Turquie, l’assemblée annuelle de la Commission internationale de gestion des thonidés de l’Atlantique, qui s’est terminée le 18 novembre dernier à Antalya, n’a pas voulu prendre les décisions qui s’imposaient devant l’effrondement du stock évoqué par tous les scientifiques et les experts, plus palpable que jamais.

Les quantités prises par les thoniers-senneurs demeurent en effet très au-dessus des quotas alloués chaque année. L’IFREMER et le WWF estiment qu’on en pêche 52 000 tonnes pour les 32 000 autorisées et les 28 000 recommandées par les scientifiques !

Déjà, le plan adopté à Dubrovnik en 2006, qui a pourtant montré toutes ses limites et carences (surpêche record des pays européens, pratiques illégales persistantes, pêche pirate), est reconduit à l’identique.

« Avec le plan de 2006, on allait droit dans le mur... En 2007, avec les non-décisions d’Antalya, on y va toujours, mais le sourire aux lèvres et la main sur le klaxon » s’indigne Stéphan Beaucher, responsable de la campagne Océans de Greenpeace France. « Ce qui s’est joué cette semaine en Turquie est inacceptable et nous oblige une fois de plus à mettre en cause les méthodes de travail des conférences de gestion des pêcheries. Celles-ci doivent être réformées de fond en comble ! »

Le total autorisé de captures (TAC) pour 2008 sera équivalent à celui de cette année (29 500 tonnes) alors qu’il devait baisser de 10%... Délégation américaine et organisations écologistes demandaient pour leur part un moratoire.

Le Japon a obtenu l’autorisation d’organiser en mars prochain une réunion parallèle réunissant tous les acteurs commerciaux du thon rouge. Ce type de démarche émanant d’un tel acteur aura pour seule conséquence de privatiser un peu plus encore une ressource emblématique des peuples méditerranéens. La bénédiction donnée par l’ICCAT au « Tuna business » mené par les autorités japonaises pour se substituer à l’autorité de gestion et de régulation est très préoccupante.

L’Europe restituera sa surpêche de cette année à raison de 1 400 tonnes par an à partir de 2009... La question de savoir quelle sera la base de calcul retenue (intégration des excès espagnols et italiens notamment) reste entière. Quant à la supposé « sous-pêche » déclarée par les pays du Maghreb pour les années 2005 et 2006, elle leur sera restituée à hauteur de 50%.

L’organisation Greenpeace demande un moratoire sur la pêche aux thons rouges, afin de prendre le temps de procéder à une évaluation approfondie de l’état des stocks et propose de créer des réserves marines équivalentes à 40% de la surface des océans. C’est la seule solution pour protéger les écosystèmes marins et sauver des espèces qui, comme le thon, disparaissent.

Mais sans mesure concrète de contrôle et de régulation, la ressource en thons rouges aura bientôt été pillée et la disparition du prédateur majeur de la Méditerranée risque de provoquer un chaos écosystémique sur l’ensemble du bassin méditerranéen dont personne n’est en mesure d’évaluer l’ampleur, sans compter la perte d’un formidable trésor économique mais aussi culturel...


Lire l'article complet, et les commentaires