Un contestataire à la dent dure
par C’est Nabum
mercredi 28 février 2018
Au pied de la lettre.
Il était une fois un fort curieux animal qui avait l’intention d’exprimer sa désapprobation devant les abus de toutes natures qu’une autre espèce, invasive celle-là et particulièrement envahissante, faisait subir à toute la faune et la flore de l’endroit. Ceux qui allaient debout sur les pattes arrières ne respectaient décidément plus rien et Brebos, car c’est de lui qu’il s’agit, voulut taper un grand coup de queue sur la table pour exprimer sa colère et son dépit.
Mais comment diable se faire entendre de ces tristes personnages, plus prompts à tout plier à leurs désirs qu’à s’inscrire dans la grande chaîne de la vie. Le castor voulait exprimer sa colère et la voix lui manquait. Il chercha bien des moyens d’envoyer des signes et des revendications à ses frères les humains sans que longtemps, il ne parvienne à en trouver un. Il se dit qu’il pouvait barrer la Loire, construire un immense barrage en mettant à contribution tous ses congénères, mais le Castor européen est plus cossard que son cousin d’Amérique, son idée tomba à l’eau.
Il se désespérait de trouver une procédure efficace, l’époque était à la communication, il fallait frapper les esprits en exposant à tous ses griefs. C’est un jour qu’il rongeait son frein et un tronc de saule qu’il eut l’illumination. Dieu, sans doute mécontent de la tournure des événements sur terre, lui avait insufflé l’esprit saint. Il aurait mieux fait de ne pas donner tous les pouvoirs à homo-sapiens, il était sans doute trop tard pour échapper à la catastrophe.
Néanmoins Brebos était un tenace, un pugnace de la pire espèce, toujours sur les dents. Il ne lâcherait rien et ce qu’il avait entendu, de cette voix mystérieuse tombée du ciel, était de nature à lui redonner courage. À ce stade de mon récit, je tiens à préciser qu’en Orléans, entendre des voix célestes ne surprend personne, y compris dans la gente animale. Il en est même certains à qui cela fait tourner la tête, mais ceci est une autre histoire …
Brebos avait compris le sens du message envoyé par le très haut. Il avait la dent dure, autant en profiter pour graver sur la base des arbres, des slogans de nature à réveiller la conscience des hommes, si par hasard, ceux-ci en avaient encore une. Le seul point délicat dans cette suggestion résidait dans le nécessaire apprentissage de l’écriture et le choix de la police de caractère. Voilà bien là deux épineux écueils qu’il fallait résoudre avant de se mettre en campagne.
Pour apprendre à écrire, Brebos dut se contraindre à lancer un appel d’offres sur toute la rivière. Quel animal était assez savant pour maîtriser une connaissance qui fut si longue à être acquise par les humains ? Il en était d’ailleurs de plus en plus parmi ceux-ci qui avaient désormais bien du mal à écrire autrement qu’en mangeant leurs mots. Une pensée qui fit sourire notre Castor du reste !
C’est une vieille chouette qui se proposa à tenir le rôle de la maîtresse d’école. Elle avait de sa position haute, appris à lire en parcourant les innombrables panneaux publicitaires qui souillaient les grandes cités et les bords de route. La chouette, animal curieux que rien n’effraie, s’était mise en demeure de comprendre ces étranges signes. Elle y parvint aisément ce qui explique qu’elle enseigna à ? notre castor en colère.
Si déchiffrer la langue des hommes de ce pays fut assez simple, écrire se releva être une autre paire de manches. Ce ne pouvait pas être un apprentissage qui s’acquiert haut la main pour Brebos, c’est justement là que le bât blessait. Il lui fallait mettre au point une calligraphie adaptée à ses compétences, se mettre en bouche des lettres lisibles pour les humains. Ainsi naquit l’écriture « Croctique », un succédanée de la police Gothique.
Brebos fut un élève brillant et un remarquable scripte. Il laissa bien vite de petits messages éloquents au pied de tous les arbres. Hélas, il se trouvait confronté à des impondérables qui annihilaient le plus souvent ses efforts. La végétation rendait souvent invisible ses petits slogans. Les variations de la Loire lui jouaient des tours, ne lui laissant parfois pas le temps d’achever sa phrase. Le pire résidait dans la faible lisibilité de ses écrits sous la double contrainte de la forme des troncs et de leur faible taille. Tous ces efforts pour pas grand chose, il y avait de quoi se désoler. Brebos n’était pas certain qu’un seul humain ait même songé à lire ses premiers messages.
C’est un écureuil qui vint à son secours afin de lui tirer cette énorme épine du pied. Il convenait de changer radicalement de stratégie afin de donner une plus grande lisibilité à son travail. La base du tronc n’est pas porteuse ! C’est sur toute la hauteur de celui-ci qu’il faut graver le message afin qu’il soit lu par ceux à qui il est destiné. Quel panache !
Brebos s’enthousiasma à cette idée formidable. « Mais bon dieu c’est bien sûr » ce serait-il exclamé en son langage. Pourquoi n’y avais-je pas songé plus tôt. C’est alors que les contraintes et les difficultés apparurent à sa sagacité. Comment monter aux arbres ? L'écureuil lui enseigna ses techniques, elles s’avéraient inefficaces pour le castor. Des oiseaux vinrent proposer leurs services, là encore, ce fut un échec, Castor était trop lourd pour le maintenir en vol stationnaire durant sa page d’écriture.
C’est une fois encore la chouette, grande observatrice des mœurs humaines qui trouva la solution. Nous n’avons qu’à utiliser des grues ! La belle idée que voilà, saisonnière certes mais la seule applicable à grande échelle. C’est ainsi qu’à chaque survol de la Loire par une troupe de grues, ces dernières acceptaient de faire halte le temps que Brebos grave des revendications sur les arbres du duit.
Le premier message fut un choc parmi ceux qui vont sur leurs pattes arrières. Ils lurent un beau matin sur un tronc : « Ne jetez plus vos détritus dans la Loire ». La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre, les animaux avaient pris le taureau par les cornes et cessaient de subir sans réagir. Le jour suivant, Brebos avait écrit : « Plus d’engins motorisés trop rapides sur l’eau ». Certains crièrent au complot, ceux-là même qui dérogeaient aux règles en usage sur la Loire, d’autres s’en réjouissaient.
Le prochain message fut attendu avec fièvre. On s’interrogeait dans la cité sur ce qui pouvait suivre. La nuit fut fiévreuse dans la ville et au petit matin, il y avait foule sur les quais pour lire le nouveau message, ils ne furent pas déçus ! « Coupez vos lumières la nuit la Loire est notre domaine ». Puis le jour suivant ce fut plus terrible encore « Bande de petits cons ne jetez vos mégots et vos cannettes chez nous ».
Que le message contienne ainsi une insulte fut diversement apprécié par les habitants de la ville Johannique. Pour les uns, cela montrait l’humanité de ce curieux animal, pour les autres son manque d’éducation. Le débat faisait rage parmi les élus pour trouver moyen de faire taire ce journaliste impitoyable. Le pouvoir local risquait de trembler sur ses bases si les animaux se permettaient de prendre la parole dans une cité où pourtant tous les opposants avaient été muselés. Il fut question de raser le duit.
Un personnage peu recommandable se dit qu’il y avait matière à faire des sous. Un bateau proposait chaque matin à l’aube une sortie en Loire à un tarif parfaitement prohibitif pour que quelques privilégiés lisent de plus près le message du jour. Il ne fut pas déçu, car il eut droit à son message :« Cessez de faire des ronds dans l’eau à longueur de journée ». Brebos avait sans doute quelques griefs personnels et une dent contre ce notable du cru.
Les télévisions du monde entier vinrent filmer ce qui prenait l’allure d’une révolution planétaire. Le sixième message fut ainsi traduit dans toutes les langues de la Terre. « La Planète est notre bien commun, préservez-là ! ». On pouvait constater que Brebos avait non seulement appris à maîtriser la ponctuation mais de plus, il prenait une dimension universelle dans ses revendications.
Le message avait porté, l’ONU tint un réunion extraordinaire. Il fallait agir au plus vite. C’était heureux car le jour suivant, les grues ne survolant plus Orléans, il n’y eut pas de tronc gravé. Qu’importe, les hommes avaient compris qu’ils n’étaient pas seuls sur la Planète. Un autre Monde allait être possible. Cette année là, Brebos reçut le prix Nobel de la paix.
Castorement vôtre.