Vivent les zones humides !
par Bruno de Larivière
jeudi 26 janvier 2012
Le rétablissement de la continuité écologique des zones humides signifie que les collectivités locales, avec l'aide du préfet, œuvrent pour rétablir l'écoulement des eaux dans leur configuration originelle. C'est le cas dans la vallée de la Touques, en Basse Normandie. Mais le retour à l'état de nature implique t-il la négation du facteur humain ? Exemples comparés dans l'Ouest.
Même les aménagements apparemment les plus anodins déclenchent la contestation. La Sélune (photo) est un fleuve côtier d'un peu moins de cent kilomètres de long, au centre d'un bassin-versant d'environ 1.000 km². Celui-ci s'étend sur la partie méridionale du département de la Manche, débordant légèrement sur les deux départements voisins. La Sélune se jette dans la baie du Mont-Saint-Michel (fiche). De la propreté des eaux continentales dépend la qualité des coquillages exploités dans la baie (moules et huîtres). En 1993, lors du dernier curetage des lacs de barrage, les exploitants ont nettement ressenti l'impact de la pollution.
Les deux barrages hydroélectriques de la Sélune datent de l'entre-deux-guerres, exploités encore aujourd'hui par EDF. A l'amont (carte), des lacs occupent depuis lors le lit majeur, comme le lac d'Assouan la moyenne vallée du Nil. La comparaison s'arrête évidemment là car la vallée du fleuve normand ne contient ni potentiel agricole majeur, ni vestige archéologique. Le régime hydrographique de la Sélune ne justifie pas un soutien des eaux d'étiage, en pleine zone océanique. Le cours d'eau traverse une zone rurale en déprise démographique, loin des grandes agglomérations régionales (Caen ou Rennes). Dans ces conditions les lacs attirent une petite activité touristique saisonnière appréciable en terme d'emplois.
Deux problèmes se posent toutefois, d'inégale importance. D'une part, les retenues ont accumulé limons et dépôts toxiques, reliquats d'activités industrielles et artisanales depuis longtemps suspendues. Ceux-ci menacent de se déverser dans la Baie si l'on ne prend pas garde à traiter les boues avant la vidange des retenues (source). D'autre part, les ouvrages empêchent la remontée des poissons de mer, et en particulier du saumon ; sur ce point précis, je pense qu'un aménagement latéral pourrait aplanir la difficulté. En outre, les saumons arriveront, mais les carpes, brochets et autres poissons des lacs disparaîtront.
Après l'annonce de la destruction des barrages en 2009, la polémique a enflé, malgré la visite de la ministre de l'Ecologie de l'époque. WWF jubile (source). Sur place, la bataille fait rage (source), alors que le dossier n'avance guère (source). Deux éléments me retiennent de me prononcer en faveur du maintien en l'état du fleuve, contre les décisions ministérielles qui se dessinent. Le premier est que le maire d'une des communes du secteur - par ailleurs à la tête du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) de la Sélune - plaide intelligemment en faveur de la réhabilitation de la vallée (source). Le deuxième est une réticence de principe face au réflexe des opposants ('Pas dans mon jardin' / Nimby ).
Du point de vue des écologistes, je comprends bien la logique d'une levée des barrages, même si la perte d'emploi conséquente ne peut être balayée d'un revers de main. Je bloque en revanche face au volet énergétique du dossier. Le potentiel hydroélectrique de la région reste en deçà des besoins : 'Pacte-à-quatre'. Le barrage de Vezins produit une électricité propre et renouvelable, contrairement aux centrales nucléaires de la Manche ou de Seine-Maritime. Les défenseurs de la nature, en combattant à la fois le nucléaireet l'hydroélectricité se privent du soutien du plus grand nombre. Il est vrai qu'avec le prix unique de l'électricité, personne ne se souciera vraiment de l'arrêt de la production de la Sélune.
Une carte mise en ligne en décembre 2011 par le journal Ouest-France ramène la Sélune à sa juste proportion, un mince trait bleu au sud-est de la mention 'Baie du Mont-Saint-Michel'. Sur cette carte figurent les principales zones inondables de l'Ouest ('par débordements de cours d'eau et submersions marines'). La guerre des barrages bas-normands prend sa dimension picrocholine. Ainsi les services de l'Etat se penchent sur le cas d'une micro-vallée, quand de vastes secteurs restent sous la menace des éléments. Je vise ici précisément la hiérarchie des priorités...
Les côtes de la Vendée et de la Charente-Maritime ('Ne pas confondre 'jeter un pavé dans la mare' et 'ne pas se mouiller'), le Golfe du Morbihan et ses environs immédiats ('Oiseaux migrateurs contre mouettes opportunistes'), la Baie du Mont-Saint-Michel et les marais du Cotentin et du Bessin ne connaissent pas les mêmes niveaux d'occupation humaine. Tous se retrouveront un jour ou l'autre envahis par les eaux océaniques. A l'intérieur des terres, l'urbanisation des lits majeurs de la Loire et de ses principaux affluents a largement progressé, comme le montre l'exemple de Tours à la confluence de la Loire et du Cher ('Déjouer les tours').
Dans le département de la Loire-Atlantique (carte au-dessus), les risques peuvent potentiellement se cumuler, parce que l'océan pénètre à marée haute dans le large estuaire de la Loire. A ce titre, l'agglomération de Saint-Nazaire souffre d'un double handicap. Le PPR (plan de prévention des risques) résiste pourtant à tout alarmisme, c'est le moins que l'on puisse dire... Aucune digue ne barre le littoral ni ne longe l'estuaire (carte). Dans la moitié occidentale, rocheuse, le bâti domine les eaux mi-salées mi douces de quelques mètres (carte).
Au centre en revanche, dans le prolongement du cœur de Saint-Nazaire, une large plage assure la transition entre l'estuaire et la ville. Un peu à l'est se situe l'entrée du bassin à flots (carte). Sur la route à l'arrière de la bande sableuse - à l'ouest comme à l'est - le piéton distingue la pente douce de la plage et la continuité avec les rues qui rentrent à la perpendiculaire dans la ville. Avec une mer démontée le flot ne rencontra aucun obstacle (voir schéma ci-après).
La presse hésite à agiter le chiffon rouge, comme ici en mars 2010. A quelques kilomètres s'étendent les marais de la Brière inondés en 2000-2001 (photo en fin / Noroîs)... Sur les 70.000 habitants de la commune de Saint-Nazaire (200.000 pour l'aire urbaine), une majorité sont concernés, qui ne connaissent pas forcément l'histoire de la ville. Avec le dépassement du site premier, il est difficile de se référer à un épisode de crue majeure. Dans sa configuration actuelle, Saint-Nazaire date de la construction du port de haute mer à partir du Second Empire (source). Je doute que la protection d'un nouveau mur de l'Atlantique suscite l'enthousiasme de la population, mais imagine d'ores et déjà qu'au lendemain de l'inondation - submersion, le discours sur le rétablissement de la continuité écologique des zones humides, de la Brière à Saint-Nazaire passera mal sur place.
Pour l'heure, rien n'empêche l'océan de rentrer dans les terres, loin de la Sélune.