Voitures Médicis à Paris
par Bruno de Larivière
mercredi 5 octobre 2011
Sur le principe des vélos en libre accès dans la capitale, le groupe Bolloré lance la location à l'heure d'une voiture à batterie électrique. Rien de révolutionnaire dans cette opération à fonds perdus... Pendant ce temps-là, les problèmes d'encombrement du réseau routier ne s'arrangent pas.
Grâce à l'article du Nouvel-Obs on retrouve les informations essentielles : 250 voitures en décembre, 2.000 fin juin 2012 réparties entre 33 stations. Les Bluecars pourront rouler sur autoroute (vitesse maxi 130 km/h) et sortir de la ville puisque leur autonomie atteint 250 kilomètres. Il en coûtera 12 euros par mois, auxquels viendront s'ajouter les cinq euros de première utilisation.
A 25.000 euros l'unité (source) les voitures représentent l'équivalent de 2.000 futures cotisations. A quelque chose près, et nul doute que tout cela a été calculé, il faudra répartir le véhicule entre autant de loueurs pour parvenir à l'équilibre financier. Soudain je pense aux clubs de tennis, avec leurs cours vides les trois quarts de l'année, et dans lesquels les abonnés s'écharpent à la belle saison en fin de semaine pour obtenir les créneaux les plus recherchés. Mais dans le cas de la voiture aux 2.000 utilisateurs, la prouesse sera plus remarquable encore. Si l'on part de l'hypothèse de douze créneaux d'une heure multipliés par trente jours, on obtient le chiffre de 360 créneaux. Que les vingt-quatre heures quotidiennes soient distribuées et l'on parvient à l'objectif raisonnable d'un créneau pour trois personnes et par mois. A deux ou trois heures du matin, peut-être pourra t-on jouir seul des rues désertes au volant d'une Bluecar ?
Dans ce calcul primaire, je ne tiens compte ni des dépenses d'entretien, de nettoyage et de réparations, ni du montant de l'assurance (2.500 euros par an et par véhicule d'après le Nouvel-Obs) ni enfin du salaire des personnels affectés aux stations. Car mille ambassadeurs indiqueront avec diplomatie aux conducteurs le soin à apporter à ces voitures pour lesquelles ils dépenseront moins que pour leurs téléphones portables ou que pour leur abonnement télévision&Internet. Ils surveilleront ensuite la passation des clefs à l'heure dite et l'état des pare-chocs et des ailes froissés. Pour 12 euros, l'offre de location présente sur le papier de nombreux avantages.
J'ironise, comme on peut le voir, peu convaincu par les arguments de vente. Qu'importe puisque le ministre de l'industrie tombe à pamoison. "Le pré-lancement d'Autolib, qui constitue le plus grand service mondial d'auto-partage électrique, offre à l'industrie française un très beau succès [...] Depuis 2007, l'Etat a organisé et accompagné une mobilisation sans précédent des industriels en faveur du véhicule électrique et hybride". Mais le Nouvel-Obs donne la clef de ce projet, dont il dit qu'il "constitue une vitrine de choix pour Bolloré, qui a investi près d'1,5 milliard d'euros dans la fabrication de sa voiture et de la batterie qui l'équipe. Cette batterie dispose en effet d'une technologie LMP (lithium-métal-polymère), unique et brevetée par le groupe, qui espère l'imposer aux constructeurs automobiles."
Il y a donc de la part du groupe Bolloré un calcul manifeste. L'opération coûtera cher mais la perte se justifie autrement, comme une étape obligatoire dans la conquête de marchés. Tout porte à croire que l'issue du projet est d'ores et déjà connue (source). L'avenir dira si Bolloré a fait un bon calcul. D'aucuns regretteront la participation des pouvoirs publics à une campagne de publicité grandeur nature. Les élus avanceront que la voiture électrique représente l'avenir. A tort.
Deux réflexions s'imposent pour finir. Il s'agit d'une part du rapport délicat entre les Parisiens et les Franciliens. Les premiers peuvent tout à fait se passer de voitures compte tenu de la densité des transports en communs dans la commune-centre, ce qui n'est pas le cas des seconds. Les premiers circulent aisément tandis que les seconds pâtissent de l'encombrement des axes routiers ['Ceinture et Sainte-Soulle'] et de la saturation du réseau de transports en commun franciliens : 'L'Afrique est dans l'attente, les Franciliens aussi'.
L'offre de voitures électriques ne profitera néanmoins pas aux seconds, mais bien aux premiers. Certes, Bolloré annonce à terme une augmentation du nombre de stations en dehors de Paris. Mais il faudra d'ici à juin 2012 stériliser 2.000 places de parking en surface : pour l'instant, il n'est pas possible de garer les voitures électriques en souterrain (par mesure de sécurité, apparemment). Cela implique la disparition de huit kilomètres (2.000 x 4 mètres) de trottoirs pour les automobilistes, parmi lesquels les Franciliens travaillant à Paris. Le prix du garage risque fort d'augmenter en conséquence ; les propriétaires apprécieront.
Mais le projet Bolloré se heurte d'autre part à un problème plus aigu. Il y a trop de voitures en France. Comme le montraient en avril dernier les statistiques données par le journal Ouest-France ['Une auto, des totaux']. Du point de vue économique, écologique ou spatial, le bilan ne fait pas de doutes. Les multiples incitations à l'utilisation de la voiture ont abouti à une complète saturation. Même si l'on admet la supériorité des véhicules électriques, le projet Bolloré s'inscrit dans cette même logique. Et je pars du principe que les coûts de la fabrication de l'énergie et du retraitement des batteries rentrent dans le total.
Comme en Loire-Atlantique ['Nantes, capitale du bouchon vert'], les Franciliens guettent une solution aux embouteillages : l'étude de l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme d'Île-de-France de 2005 mériterait un toilettage (source). Mais l'agglomération s'étale ['Au fond Dupuy, le Grand Paris'] et le recours à la voiture ne connaît plus qu'une limite, celle du bouchon. Hors dimanches veilles de lundis fériés, pas un jour dans l'année le réseau routier francilien ne laisse filer ceux qui l'empruntent. Sytadin avertit en temps réel des accidents, des chantiers en cours et des embouteillages : autant dire constamment.
La voiture électrique incarnera Paris comme la tour Médicis (incrustation) incarnera la banlieue. Alors quand la première desservira la seconde, on parlera de la voiture Médicis.