Xynthia, un an après...

par Bruno de Larivière
lundi 21 février 2011

La ministre de l'Environnement a fait le déplacement pour l'occasion. Elle assume à sa façon la gestion de la tempête hivernale par son prédécesseur : vague sur les responsabilités directes, ferme avec les propriétaires inondés puis expropriés, et imprécise pour le reste.

Chacun pourra se reporter à l’intégralité de l’interview donnée par Nathalie Kosciusko-Morizet [vidéo] aux journalistes de ‘Sud-Ouest‘ Marie-Claude Aristégui et Sylvain Cottin [1]. Avant de m’attaquer au fond, il convient de rappeler le contexte. Les 25 et 26 février 2010, une tempête hivernale traverse le centre de la France. Passant par la Vendée et le nord de la Charente-Maritime, elle pousse devant elle des vagues de plusieurs mètres et inonde les terres basses, pour partie gagnées sur la mer au Moyen-Âge et à l’époque moderne. Une partie de la population refuse de considérer la menace et demeure sur place. Certains habitent dans des pavillons sans étage et se retrouvent piégés par une brusque élévation du niveau des eaux. La sécurité civile arrive trop tard. Près de soixante personnes ont perdu la vie [source].

Cette catastrophe résulte d’une conjonction triste de facteurs improbables. J’ai écrit sur le coup que l’on se tromperait en annonçant des mesures sensationnelles, en terminant sur une interrogation :

‘Matignon annonce la publication rapide des arrêtés de catastrophe naturelle pour les communes ravagées. Le ministère de l’Intérieur se félicite du déploiement des pompiers et des gendarmes. Tout le monde s’en réjouira. Mais compte tenu de l’annonce météorologique, il y a de quoi s’attrister du nombre de morts. Rien ni personne ne pourra l’effacer. Lors du passage de la tempête Katrina, la garde nationale américaine est intervenue à la Nouvelle-Orléans pour vider des quartiers. Dans certains cas, la population a profité des moyens militaires mis à leur disposition. Mais il a fallu aussi forcer les récalcitrants, ceux qui se fermaient les yeux ou se bouchaient les oreilles. Beaucoup craignaient de perdre plus que leur vie, leur bien le plus cher, leur maison. En France, on déclenche les opérations à l’issue du cataclysme. Mon amertume est grande. L’armée française a bien d’autres tâches à accomplir, en Afrique ou en Afghanistan… La sécurité civile ne dispose pas des moyens pour ratisser un département à l’approche d’une tempête hivernale, certes exceptionnelle (surtout ?). Des dizaines de morts. Quelle tristesse.’  [’Communes-sous-mer‘]

Un an plus tard, je ne vois rien à modifier. Dans l’entretien susdit, Mme Kosciusko-Morizet appelle de ses vœux une ‘culture du risque’. Qui soutiendrait le contraire ? Il ne s’agit visiblement pas du risque politique. Il y a eu lors du premier septennat de François Mitterrand un secrétaire d’Etat chargé de la prévention des risques technologies et naturels majeurs (Haroun Tazieff). Les plus âgés se souviennent des quolibets à l’encontre du vulcanologue (Thierry Le Luron). Un commentateur du journal ‘Sud-Ouest’ remarque à juste titre que la ministre ne remet justement pas en cause l’introduction dans la Constitution du principe antagoniste dit de ‘précaution’. La ministre refuse d’incriminer son prédécesseur ? Elle n’a de toutes façons aucun avantage à ‘charger’ Jean-Louis Borloo : c’était son ministre de tutelle alors qu’elle n’était ‘que’ secrétaire d’Etat. Aucune enquête parlementaire n’a été dépêchée sur place pour déterminer les circonstances du drame.

Bien sûr, personne ne peut désigner un coupable. Mais il est aberrant de ne pas passer au crible la chaîne hiérarchique. Or le préfet est demeuré en place, celui-là même qui a employé le surlendemain du désastre l’expression de ‘zone noire’, plus tard soigneusement évitée par les membres du gouvernement. Les responsables de la sécurité civile ne sont même pas cités. Je ne parle même pas des habitants des communes sinistrées, des voisins de personnes noyées dans leurs propres maisons… Mais qu’aurais-je fait moi-même à leur place ? L’art de bien faire devant son ordinateur par temps calme procure d’intenses satisfaction. Il a ses limites : je n’édulcore ni la question ni la réflexion.

Sur la responsabilité des maires des communes littorales - ils sont décrits par la ministre comme globalement peu regardants lors de la vente de terrains - personne ne peut se faire une idée. Quelles fautes ont été commises (si faute il y a) ? Des procédures existent, certes exceptionnelles - à l’issue desquelles un préfet peut démettre un maire et organiser de nouvelles élections. Ne serait-ce pas parfois la meilleure solution que de renvoyer les électeurs à leurs responsabilités ? Voulez-vous reconduire l’équipe en place, ou lui préférez-vous une autre, prête à prendre d’autres décisions, plus responsables ? On pourrait ainsi entendre des candidats proposer une densification de leurs communes par expropriation-reconstruction des parcelles ‘hors d’eau’, par exemple. Soyons sérieux. C’est totalement improbable. Ceux qui se hasarderaient sur ce terrain perdraient l’élection.

On ressort de l’entretion de Mme Kosciusko-Morizet avec l’impression que d’un côté, les responsables portent mal leurs noms, et que de l’autre les résidents doivent assumer. J’ai suffisamment fustigé les imprudents pour que l’on ne vienne pas m’accuser de démagogie [’Guigne à Draguignan‘]. En revanche, les faits plaident d’eux-mêmes à propos de Xinthia : (1) les morts le resteront, punition sans équivalent possible, et (2) les dizaines d’expropriés par l’Etat devront aller voir plus loin si l’herbe est plus verte. Il me semble qu’un an après la catastrophe, les rôles se répartissent mal, et que la ministre ne jette aucun pavé dans l’eau. Certes, 100.000 logements ont surgi en France en zones inondables entre 1999 et 2006 - chiffres rappelés par les journalistes de ‘Sud-Ouest’ - et seuls un tiers des Français ont réalisé que les risques naturels concernaient leur régions : sondage de la Croix-Rouge cité par la ministre dans l’entretien. Mais combien d’observateurs tirent la sonnette d’alarme ?

Au fond, la ministre préfère ‘ne pas se mouiller’, et je ne lui en tiens pas plus que cela rigueur ; moins qu’à la haute administration (parisienne) passée entre les gouttes de l’opprobre publique. Je lui fais juste remarquer deux erreurs fondamentales. Avancer que ”la culture française n’est pas la poldérisation” est une sottise. Car les moines cisterciens puis les ingénieurs hollandais ont aménagé des polders sur l’ensemble des littoraux français. Evidemment, rapportées à la surface totale du territoire, les superficies demeurent incomparables (par rapport à ce que l’on observe aux Pays-Bas). Mais à l’échelle des régions maritimes françaises, les surfaces prises sur la mer sont importantes. A chaque fois, le but était d’exploiter les marais salants ou d’élargir le périmètre agricole. Les techiques employées dans les Provinces Unies fonctionnaient parfaitement plus au sud, les moulins à vent évacuant les eaux terrestres par-delà les digues bâties face à la mer. On trouve des polders en Corse à Porto-Vecchio (carte), en Camargue à l’arrière des Saintes-Maries de la Mer, dans le Médoc [incrustation, sur la rive opposée de la Gironde, à Mortagne], dans la baie du Mont-Saint-Michel, dans le bassin de Carentan, ou sur les bas-champs du Marquenterre dans le Vimeu normand, réputés pour leurs activités pastorales.

En réalité, seules les côtes rocheuses peuvent être qualifiées en France de ‘naturelles’, non transformées par la main de l’homme. Non seulement la ministre donne une mauvaise information, mais appliquée à la Charente-Vendée, l’argument est quasiment délirant. Toute la région a été en effet façonnée par l’homme, qu’il s’agisse du continent ou des îles de l’Atlantique immédiat. Les Pertuis qui s’étendent entre les îles de Ré et d’Oléron se caractérisent par leurs faibles fonds marins et par les activités humaines : mytiliculture dans la Baie d’Anguillon, ostréiculture au large de Marennes. Il y a des centaines d’hectares de polders ou de terres naturellement envasées ou cours de l’ère Quaternaire. Encore faut-il rappeler cet état des lieux aux inconscients. La remarque vaut ici pour les propriétaires de résidences secondaires.

La seconde faute est plus cruelle. Car contrairement à ce que Nathalie Kosciusko-Morizet prétend, ce n’est pas ‘la pression démographique’ qui affecte à elle seule les littoraux français. Celle-ci doit beaucoup - jusqu’à quel point ? - à l’impact de l’envolée des prix de l’immobilier. On me rétorquera que l’héliotropisme provoque la flambée des prix et non l’inverse ; qui de la poule et de l’œuf a commencé ? Je renvoie à ce qui a été déjà écrit sur ce sujet [’Comment être riche sans rien faire ?‘]. Or si l’Etat délimite de nouveaux périmètres inconstructibles, la spirale ne risque pas de retomber. Bien au contraire. Les propriétaires non touchés par la tempête et hors ‘zone de solidarité’ (c’est la terminologie de remplacement, je n’invente rien !) profiteront des effets de la classification, sous la forme d’un enrichissement immédiat, et sans efforts : la valeur de leurs biens augmentera. Les classés dans la mauvaise catégorie pleureront eux sur leur manque de chance. Ou sur l’injustice qui les frappe. Les autres Français s’accommoderont (…) de ne pas être propriétaires dans une commune concernée. Et ils écouteront avec une oreille attentive la charge présidentielle contre l’ISF…

PS./ ‘Geographedumonde’ sur les inondations en Australie [’Le journaliste, le climatologue et l’industriel‘ et ‘Vilaine Niña‘], au Pakistan [’Ni toit, ni portes‘], au Brésil [’Ce n’est pas en France qu’on verrait une chose pareille‘] et en France [’Guigne à Draguignan‘]


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