Prénom Héloïse

par Tatiana Yansor
mardi 27 septembre 2005

J’ai eu l’occasion de rencontrer une jeune éditrice de talent, qui vient de lancer sa maison d’édition. Elle porte un nom célébre...et parvient parfaitement à se faire un prénom. :) Voici l’interview dans son integralité...

Prénom Héloïse

Héloïse d’Ormesson, 42 ans, la fille de Jean, vient de lancer sa propre maison d’édition : « Editions Héloïse d’Ormesson ».Elle vit à Paris avec sa fille Marie-Sarah, 10 ans. Et son fiancé, Gilles.

C’est la voix de ma fille qui me réveille à 7h30 tapantes : « Bonjour ! » Une obsédée des horaires. Et moi, une laxiste des horaires. Du coup, la pauvre, elle est traumatisée à l’idée d’arriver en retard et c’est donc elle qui prépare le petit-déjeuner —céréales Kellogs, Earl Grey— pour être absolument certaine d’être à l’heure. Marie-Sarah est fière de ma nouvelle aventure éditoriale, elle m’a même confié un manuscrit : Histoire de Bella : Bella est élevée par une marâtre à verrue qui s’appelle Dictée, un très joli conte, on doit en parler toutes les deux !

Gilles dort encore. Je ne suis pas particulièrement pour l’institution du mariage, je n’avais pas épousé le père de ma fille, et je ne suis pas mariée à mon fiancé, Gilles, avec qui je vis depuis 2 ans. Si Gilles n’avait pas été là, je n’aurais jamais fondé cette maison d’édition. On l’a montée ensemble, c’est notre bébé d’amour. J’ai une phobie de tout ce qui est administratif, j’ai hérité ça de mon père. Lors du premier papier fiscal reçu, j’étais quasiment sous Prozac. Ça date de l’époque des inscriptions en fac : je devais me détendre une journée entière et après je mettais deux jours à m’en remettre ! Gilles (qui connaît bien l’édition, il a été représentant en librairie) s’est occupé de tout le côté financier, la machinerie, c’est lui. Moi, je gère l’éditorial.

L’oeil rivé à sa montre, Marie-Sarah ne me lâche pas avec ses : « Maman, ta douche ! » alors, je m’exécute, puis j’enfile ma tenue habituelle : pull, jean et Pumas. Des secrets de beauté ? Je ne me maquille pas, je ne supporte pas les parfums capiteux et je me fous royalement de mes fringues, de ma coiffure. Seule coquetterie : mes boucles d’oreilles, j’en raffole, j’en ai des dizaines. On part à vélo, ma fille sur le porte-bagages. L’école est à 10 minutes, on triche en roulant sur les trottoirs. J’habite dans le 5e, je m’y sens vraiment chez moi.

Ensuite, direction mon bureau sous les toits, boulevard Saint-Michel, où je retrouve Gilles. Ça fait 20 ans que je suis dans l’édition, après avoir fait des études de lettres modernes à Nanterre et à Yale (aux USA). J’ai travaillé chez Laffont, Flammarion et Denoël, mais me voici pour la première fois à mon compte ! J’assume mon Œdipe : je ne suis pas éditeur par hasard. J’aime mon père qui est un auteur, donc j’aime par essence et génériquement l’auteur. Et j’ai envie de faire son bien. La richesse d’une maison d’édition, c’est l’auteur. Je ne peux pas concevoir que l’intérêt d’une maison d’édition aille contre l’auteur. Le rapport si particulier entre l’auteur et l’éditeur, c’est une part d’affection, une part d’estime, une part d’échange.
Je vais publier cette année une dizaine de livres, de la littérature générale : romans, récits, essais, traductions. On imagine parfaitement la difficulté de l’écriture d’un livre, mais personne ne pense aux prises de tête de sa fabrication ! Le choix du papier, — blanc, ivoiré, texture, grammage ? — de la couverture -mate ou brillante ?—, de la police de caractères-il y en a des centaines, alors imaginez les différences subtiles entre « adobe Garamond » et « century Garamond » ? J’y passe des matinées entières.
Les manuscrits s’accumulent au courrier, et l’autre jour, un jeune inconnu est venu déposer le sien, ça m’a fait très plaisir ! La matinée se passe à répondre aux mails, voir les affaires en cours, discuter avec notre remarquable directrice artistique Anne-Marie Bourgeois, pour les visuels. Ca n’a l’air de rien, un livre, mais on n’imagine pas ce que c’est que sa fabrication, le choix du papier, de la police, et le temps que cela prend de tout choisir.

Je déjeune au resto avec mes auteurs, des libraires, des traducteurs, un moment qui réunit deux de mes passions : la bouffe et les bouquins ! J’ai des discussions rares avec tous mes auteurs, certains me suivent depuis mes débuts, lorsque j’étais éditeur pour d’autres maisons. Ils savent qu’ils participent à notre aventure, qu’ils prennent un risque, comme Gilles et moi.
Avec mes parents, on se voit les dimanches soirs, chez eux, à Neuilly. Je suis fille unique et proche d’eux, j’ai eu une enfance bénie, privilégiée, avec de l’amour et de l’intelligence en plus. Petite, je faisais des escapades secrètes dans le bureau de papa afin de parcourir les livres qui n’étaient pas de mon âge : Marx, Gautier, Marcuse. Ces heures à lire à la sauvette des livres empruntés au hasard des rayonnages sont les souvenirs les plus riches de mon enfance.
Pour reprendre le mot fétiche de mon père, une enfance pareille c’est « épatant ». Extraordinaire générosité de ma mère, esprit spirituel et ludique de mon père. Ma mère, c’est « Tout est important » et mon père c’est : « Rien n’est grave ». Je ressemble physiquement à ma mère et intellectuellement à mon père. Ma mère s’occupe de tout, mon père de ses livres, et moi je fais presque la même chose (avec les livres des autres).

L’après-midi, je travaille sur les textes. Je lis. Je relis. Je corrige. Dans la concentration. Découvrir un livre merveilleux, c’est un plaisir extraordinaire, c’est comme la naissance d’un enfant. C’est un moment fort, rare, celui où vous tombez sur un texte si puissant, si beau, que vous en oubliez tout. J’aime cet instant où un livre vous envoûte, comme lorsque j’ai lu « Possession » de A. S Byatt (que j’ai publié en 93 chez Flammarion et qui est devenu un film avec Gwyneth Paltrow en 2003.)

Mes parents sont très excités par mon projet, —j’espère admiratifs— et quand même assez impliqués. Mon nom, c’est à la fois génial et casse gueule pour un éditeur. On va être exigeant avec moi. Je ne suis pas une débutante. Le nom de mon père, c’est comme un label de qualité et je me dois de respecter cette qualité. J’ai hésité à le prendre au début. C’est un ami éditeur qui nous a dit : « Mais enfin, vous êtes fous, servez-vous de ce nom ! »

A 16h30, re-vélo, chercher ma fille, pour passer un moment avec elle. Elle fait ses devoirs avec la baby-sitter, je retourne bosser et je rentre pour 20h. Plusieurs fois par semaine, on dîne à la maison avec des amis, des écrivains. Je ne suis pas une femme d’intérieur, c’est Gilles, la femme d’intérieur. Il invente des sauces tomate sublimes avec du thé, du miel, des écorces d’orange. C’est un grand ours mal léché d’une immense tendresse qui me couvre de fleurs et veut tout le temps me faire des bisous.
J’essaie de ne pas me coucher au-delà d’une heure, mais j’ai du mal, j’aime veiller tard, discuter, rire. Ecrire moi-même ? Ce serait la mort du père ! Ma passion, c’est lire un manuscrit, comprendre comment l’améliorer, ce qui en fait la force, la particularité. C’est ce que je sais faire.

Propos recueillis par Tatiana de Rosnay pour ELLE.

Quelques romans publiés par Héloïse :

« Fred et Mathilde » de Corinne Roche

Voici l’histoire belle et triste de Mathilde et Fred, qui pensaient vivre un amour heureux, tranquille, sans imaginer ce que jalousie et perfidie seraient capables d’ourdir derrière leur dos.
En dépit de la tragédie qui se profile, Corinne Roche ne sombre jamais dans le pathos. Elle garde le cap grâce à un regard à la fois lucide et pétillant qui fait son estampille. Pourquoi Fred et Mathilde nous touchent-ils autant ? Parce qu’ils nous ressemblent, tout simplement, dans leurs choix, leurs espoirs, leurs doutes.
Corinne Roche a tout bon. Elle sait faire rire et pleurer d’une page à l’autre, elle sait rendre ses personnages si attachants, si crédibles, qu’on a l’impression de les connaître, jusqu’au grain de leur peau ou le timbre de leur voix. Elle est la magicienne de ces petits détails qui n’ont l’air de rien mais qui tissent la trame de notre vie quotidienne.
Héloïse d’Ormesson, qui fait ici ses premiers pas d’éditeur à son propre compte a vu juste. Corinne Roche est une valeur sûre.

TR/Psychologies

Editions Héloïse d’Ormesson, 228 pages, 19€

La maison dans les dunes
Vonne van der Meer

Ce livre aurait pu s’intituler La Maison du bonheur. Dressée sur le front de mer, la "Rose des dunes" distille une atmosphère sereine, donnant à tous l’envie d’y séjourner, histoire de se requinquer et d’en repartir allégé, en laissant ses problèmes derrière les volets clos.

Car cette maison possède le pouvoir fabuleux de dissoudre les difficultés du quotidien, voire de refermer les plaies les plus douloureuses. Les vacanciers s’y succèdent, amenant dans leurs bagages leur cortège de soucis. Un couple se déchire pour une triste histoire de tromperie ; un homme est au bord du suicide depuis la disparition de son épouse ; une jeune femme, après son séjour, choisit entre les deux hommes qui se battaient pour elle ; d’autres sont en quête de certitudes...

La Néerlandaise Vonne van der Meer possède le don de capturer ces petits instants du jour, qu’elle restitue de fort jolie manière à travers six savoureux tableaux.

Dominique Grosfils/Psychologies
Editions Héloïse d’Ormesson, 214 p., 20 €

Site Web :
http://www.editions-heloisedormesson.com/

Blog EHO :
http://www.editionseho.canalblog.com/


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