Affaire « Icesave » : la fronde des islandais contre l’immoralité des directives européennes

par Vincent Benard
mardi 12 janvier 2010

Le président Islandais, M. Olafur Ragnar Grimsson, vient de mettre son véto à un texte voté par son parlement concrétisant un accord intergouvernemental Islando-anglo-Néerlandais, forçant les islandais à rembourser les états britanniques et bataves qui sont venus au secours de leurs épargnants piégés par la faillite des trois grandes banques de l’île nordique. La presse internationale, et notamment française, présente l’affaire comme un dangereux reniement de parole et un quasi défaut sur la dette Islandaise, et les agences de notation dégradent la dette du Pays. Cette présentation des faits est elle la bonne ? La question est bien plus complexe qu’il n’y parait, et le président Grimsson ne mérite pas l’opprobre dont il est couvert hors de son île.

 
"We’re told if we reject the terms, we will be the Cuba of the North.
But if we accept, we’ll be the Haiti of the North"

Einars Már Gudmundsson
 

La presse économique bruisse (oh, légèrement) de l’affaire "ICESAVE". Pour le lecteur à qui elle aurait échappé, en voici les grandes lignes.

Résumé de l’affaire IceSave

Durant la période récente de formation de bulle financière de grande ampleur, les trois "grandes" (à l’échelle du pays) banques islandaises, qui se trouvaient à l’étroit dans leurs frontières, sont aller chercher de nouveaux épargnants à l’étranger, et notamment aux Pays Bas et en Grande Bretagne. Glitnir, Kaupthing, et surtout LandsBanki ont été particulièrement actives en ouvrant des succursales étrangères, et surtout en recrutant via Internet plusieurs milliers de nouveaux clients. Ainsi Landsbanki s’est elle faite connaître via une filiale en Ligne, IceSave, qui proposait aux investisseurs des rendements très attractifs, fondés sur les revenus de produits structurés de crédit et un jeu habile sur les taux de change.

Seul problème : les placements collatéraux qui alimentaient en cash IceSave et les autres se sont révélés moins surs que prévu, et les banques Islandaises ont dû se déclarer en Faillite en octobre 2008, faute de trésorerie, et de capitaux propres.

Le gouvernement Islandais a annoncé qu’il ferait jouer, pour ses citoyens, la garantie législative d’état sur les comptes bancaires, au mieux de ses possibilités, mais qu’il était hors de question pour lui de prendre en charge les pertes sur investissements via les filiales étrangères de ces banques, pertes privées qui n’avaient pas à être supportées par le contribuable Islandais.

Sur des arguments juridiques contestés, les dirigeants des gouvernements anglais et néerlandais, qui se sont portés au secours de leurs épargnants, ont exigé que les prêts du FMI accordés à l’Islande soient conditionnés à un remboursement de 3.8 Milliards d’Euros de l’Islande aux fonds d’assurance bancaire de Hollande et du Royaume Uni. Cette somme peut paraître "modeste" et ne modifiera pas les grands équilibres financiers internationaux, mais la population de l’Islande étant faible, cela représente tout de même une augmentation de la dette de 15 000 Euros par Islandais ou 40 000 Euros par ménage. Soit presque autant que la dette Française, excusez du peu... Beaucoup d’observateurs pensent qu’un tel poids supplémentaire sur le budget déjà exsangue de l’Islande ne pourrait à terme que provoquer un second écroulement de l’économie de l’île.

Pourtant, sous la pression de l’UE, le gouvernement de Reykjavik a fini par accepter de négocier un accord sur ces bases, en Août 2009. Mais le premier texte voté par le parlement Islandais à cette époque a été jugé trop riche d’exemptions par les gouvernements britanniques et néerlandais, qui ont usé de leur influence pour obtenir une renégociation de cet accord. De guerre lasse, le parlement Islandais a fini par voter ce second accord à une très courte majorité, par 33 voix contre 30, fin décembre 2009.

Mais le peuple Islandais a beau être petit en nombre, il a sa fierté. Tout d’abord, les islandais n’entendent pas se laisser plumer pour des causes dont il ne se sentent en rien responsables, et pour rembourser des investisseurs qui ont voulu jouer sur des hauts rendements sans vouloir admettre que des rendements élevés supposaient des risques plus élevés.

De plus, les Anglais ont commis l’erreur, que dis-je, l’infamie, d’utiliser une loi destinées aux nations soutenant les terroristes pour bloquer les avoirs islandais en Grande Bretagne en octobre 2008, parce que le risque existait que les banques islandaises utilisent les déposits anglais pour renflouer leurs clients islandais. Or, selon les lois britanniques, lorsqu’une nation est inscrite sur la liste noire des pays qui aident le terrorisme, nombre de facilités financières lui deviennent interdites, ce qui, outre le caractère insultant pour les islandais, a exacerbé les difficultés des entreprises islandaises et de la population au plus mauvais moment. Inutile de dire que de tels agissements ont alimenté un ressentiment émotionnel très fort chez les Islandais.

Mais c’est la renégociation de l’accord pourtant voté en Août, sous la menace explicite de couper les robinets du FMI faite par le Royaume uni, qui a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Des pétitions ont été lancées pour demander au gouvernement de ne pas faire supporter au contribuable Islandais l’ardoise d’IceSave, et la dernière en date a recueilli la signature de 25% du corps électoral !

Dans ces conditions, comme le rend possible la constitution Islandaise, et pour la deuxième fois seulement depuis 1944, le président en exercice, M. Grimsson, a posé son veto au texte voté par l’assemblée et a annoncé que le texte de l’accord serait soumis à référendum.

Naturellement, les réactions courroucées de l’Europe, et pas uniquement des deux pays qui devaient recevoir les sommes concernées, ne se sont pas faites attendre. "Un vote négatif du peuple Islandais sonnerait le glas des espoirs de l’Islande d’entrer dans l’UE", lit on un peu partout. "Cela va miner la confiance des investisseurs", entend on également. Fitch a dégradé la note de l’Islande au niveau d’une Junk bond (BB+). S&P s’pprête à faire de même. Les ministres des finances concernés remettent en cause leur accord à l’octroi de prêts du FMI dont l’Islande a désespérément besoin pour boucler ses fins de mois.

La morale

Il est très compliqué, à la lecture de la presse, de savoir qui est dans son bon droit, entre le président Grimsson et les ministres des finances anglo-néerlandais. De plus, il n’est pas certain, dans cette affaire, que la morale et le droit se rejoignent.

Du point de vue moral, la position du président Grimsson est parfaitement défendable : des épargnants ont fait un mauvais placement, alléchés par des taux élevés, et ont perdu : c’est malheureux, mais c’est la vie, et on ne voit guère pourquoi le contribuable Islandais (ni n’importe quel autre, d’ailleurs), qui a lui même souffert, puisque les banques concernées ont été incapables de tenir leurs engagements sur leurs comptes courants et leurs compte d’épargne traditionnels, devrait payer pour l’incurie de banques privées et d’investisseurs britanniques peu vigilants. Nous avons suffisamment dénoncé la tonte du contribuable français dans l’affaire du crédit Lyonnais pour tenir un autre discours aujourd’hui. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui se demandent si, au départ, il était normal que les gouvernements de Londres et la Haye volent au secours de leurs nationaux.

Cependant, du point de vue du droit, la question n’est pas si simple. Et lorsque le droit et la morale ne se rejoignent pas... Mais n’anticipons pas.

Le Droit

A première vue, la position de M. Grimsson ne pose pas de problème de droit : la constitution Islandaise parait respectée, et il est normal qu’un accord engageant internationalement l’Islande sur au moins deux dizaines d’années soit soumis à un processus de ratification législative. La constitution Islandaise donne le droit au président de faire confirmer un vote par référendum. Point barre ?

Pas si simple. Il est un autre principe tout aussi important qui dit que toute entité, de droit public ou privé, est engagée par ses signatures antérieures, et que ni les instances représentatives parlementaires, ni le peuple, ne peuvent se délivrer de leurs engagements par un simple vote si cet engagement a été souscrit et validé suivant un processus législatif valide.

L’Islande n’est pas membre de l’UE mais a adhéré à l’ European Economic Area, tout comme la Norvège et le Liechtenstein. Sans cette adhésion, IceSave et lees autres banques Islandaises n’auraient pu obtenir l’agrément pour opérer depuis Londres ou Rotterdam. A ce titre, comme les règles de l’EEA l’exigent, les islandais ont accepté de promulguer une législation de garantie des comptes bancaires similaire à celle de l’union. L’Islande, au titre de cette adhésion, se doit d’adopter une législation conforme à la directive 94/19 (texte), ce qu’elle a fait en 1999 en créant l’équivalent local de la FDIC américaine, au nom imprononçable de Tryggingarsjodur.

Mais l’Europe et l’Islande ont une interprétation différente de la directive sur deux points : d’une part, l’Europe estime que la directive interdit toute distinction entre la nationalité des déposants (au sein de l’EEA du moins) dès lors qu’une couverture des comptes est instaurée, ce qui parait exact en première lecture de la directive. Reykjavik n’est pas de cet avis, et considère que les pertes anglaises et néerlandaises de ses banques doivent être couvertes par le système de couverture de ces pays. Il semble aussi qu’un certain flou existe aussi sur la nature d’Icesave, succursale ou filiale de Landsbanki ? Et donc soumise à quel droit ?

D’autre part, l’Islande estime que la directive oblige à couvrir le risque de défaut d’une banque, pas le risque systémique, alors que les Européens considèrent que la directive impose de facto une garantie souveraine de dernier ressort, et que la reprise des actifs et des comptes en banques des citoyens islandais par le gouvernement en novembre 2008 crée de facto cette garantie.

La Banque Royale de Suède a ajouté à la confusion en publiant un rapport (cité par Ambrose Pritchard, du Telegraph) indiquant que selon eux, la directive européenne était très mal rédigée, n’obligeait absolument pas de créer une garantie souveraine fondée sur l’effort des contribuables, et que les régulateurs anglais et néerlandais, trop heureux d’accueillir les banques Islandaises quand tout allait bien, étaient autant à blâmer que celui d’Islande pour son manque de supervision et de clairvoyance vis à vis de banques opérant sur son sol. Bref, selon eux, la responsabilité est tout à fait partagée. Solidarité Nordique ?

Et puis pourquoi les gouvernements néerlandais se sont ils empressés de voler au secours de leurs épargnants ? Ont-ils eu peur que leur propre manque de clairvoyance quant au contrôle de l’activité de banques étrangères opérant sur son sol n’apparaisse au grand jour ? La question est ouvertement posée par le Wall Street Journal.

Je ne suis pas juridiquement suffisamment au fait de ces questions pour savoir qui dit vrai, et comment une cour de justice interpréterait le différend. Mais il existe une probabilité pour que l’état Islandais soit législativement engagé de par les traités internationaux qu’il a signés, à couvrir au moins partiellement (en fait, jusqu’à 20 000 Euros) les pertes des épargnants européens (et pas seulement anglais et néerlandais) qui ont souscrit aux placements d’Icesave.

Pour ne rien arranger, l’octroi de prêts par le FMI et d’un prêt par les gouvernements anglo-néerlandais permettant de faire face aux difficultés du gouvernement Islandais est soumis à la pression des gouvernements anglo-bataves quant au règlement de ce différent. Est également dans la balance l’entrée de l’Islande dans l’Union, qui serait retardée pour une longue période si elle venait à annuler l’accord conclu par référendum.


Mais, solidarité nordique là encore, la Norvège, pays le plus riche d’Europe par habitant (avec le Luxembourg) vient de réaffirmer son soutien le plus ferme à Reykjavik, et enjoint le FMI à continuer son soutient aux islandais. Bref, le droit s’efface, et l’affaire tourne au rapport de force géopolitique — pour ne pas parler de pugilat — pur et simple entre grandes nations et petit Poucet Islandais. Quant à la morale...

La politique

Dans cette affaire, deux principes d’une même morale sont apparemment en contradiction.

Le premier principe, qui est absolument incontournable pour tout état de droit, est que nul ne peut être tenu de prendre à sa charge la réparation des dommages causés par autrui... Sauf s’il s’y est engagé, par exemple en se portant caution. Mais à titre individuel, aucun Islandais n’a signé un tel engagement.

Le second nous dit que tout engagement pris sans coercition ni tromperie doit être respecté. Or l’état Islandais, dûment et démocratiquement mandaté par sa population, a signé des accords qui l’ont - peut-être - engagé à prendre en charge certaines pertes qu’il aurait aimé éviter.

Le respect de ces deux principes est absolument fondamental dans la morale libérale, celle qui permet le fonctionnement d’une société composée d’individus libres, mais dont la liberté est limitée par l’exigence de responsabilité. Mais en l’occurrence, ces deux principes semblent se contredire.

Cette dualité pose problème, puisque le droit est censé être le prolongement législatif de la morale en vigueur. Où est l’erreur ?

Cette erreur vient de ce que tant en Grande Bretagne, qu’en Hollande, ou en Islande, et ailleurs, les états se sont crus obligés de garantir les dépôts bancaires, exposant par la même, au nom sans doute de "la solidarité", leurs contribuables à devoir renflouer les déposants de banques mal gérées. L’état a-t-il le droit d’exposer ses contribuables non responsables d’un dommage -i.e., innocentes-, à en assumer la réparation, au motif qu’il en assume la représentation issue du suffrage universel et qu’une majorité de la population le lui demande ? Un état peut-il obliger ses citoyens à se porter caution pour les mauvaises affaires d’une de ses entreprises ? Y compris vis-à-vis des clients étrangers de cette entreprise ?

Dans ce cas, pourquoi pas une assurance publique des dettes aux fournisseurs lorsqu’une PME fait faillite ? Pourquoi ne pas demander au trésor américain de se porter au secours des victimes françaises de Bernard Maddoff ? Un état, en agissant ainsi, commet un abus contre la propriété des individus au nom de sa préséance majoritaire. Ce qui pose une fois de plus la question de la limite constitutionnelle du champ de la démocratie, débat très vaste s’il en est.

On le voit, le problème vient de ce que les états, en créant des garanties publiques des dépôts bancaires, obligent des personnes juridiquement totalement innocentes vis-à-vis des erreurs commises, à prendre en charge le coût de ses erreurs.

Tout état doit respecter ses engagements, certes. Mais si cet engagement se révèle immoral car fondé sur une injustice flagrante, doit-il être respecté ? Ou ceux qui ne l’ont pas signé doivent-ils avoir le pouvoir de le dénoncer ? Le président Grimsson a visiblement choisi cette seconde option en proposant l’accord de règlement de l’affaire IceSave au référendum.

A ce jour, 6 Islandais sur 10 voteraient contre l’accord IceSave. Le référendum aura lieu avant le 6 mars. Gageons que l’UE va mettre sur l’Islande une pression qui n’aura rien à envier à celle mise sur la presque homonyme Irlande pour obliger cet autre peuple, insulaire et insoumis aux diktats des élites bruxelloises, à voter "dans la bonne direction". Pas sûr que cela fasse bonne impression à Reykjavik !

Victimes consentantes et responsables de leur propre malheur ?

"Halte là", me direz vous, non sans raison. Le peuple Islandais a élu les parlementaires qui ont dûment ratifié l’entrée dans l’EEA, et qui ont, de ce fait, en parfaite connaissance de cause admis l’applicabilité de la directive imposant la création de garanties publiques des comptes bancaires, fut-elle la plus immorale qui soit. Cette entrée dans l’EEA a permis aux Islandais de réaliser de très juteux profits quand tout allait bien : les règles communes doivent donc être appliquées (sous réserve de l’éclaircissement des différends sur l’interprétation du droit européen).

Que ne se sont ils mobilisés lorsque tout allait bien, me direz-vous, ces islandais à l’époque si contents de leur expansion, contre le risque que représentait pour eux cette caution publique des comptes en banque ?

Vous pourriez rajouter que le fait que l’état se soit rendu redevable des éventuelles pertes de ses banques a justifié qu’il ait un droit de regard sur les règles prudentielles de gestion qui leur étaient et leur sont encore applicables - ce que l’on appelle généralement "régulation" de nos jours - et qu’en la matière, l’état Islandais s’est montré particulièrement mauvais, c’est difficilement contestable. La Banque Centrale Islandaise est restée trop longtemps sourde à tous les avertissements lancés par des observateurs extérieurs sur la trop grande prise de risque des banques de l’Ile, et a même relâché les standards prudentiels au moment où elle aurait dû réévaluer à la hausse les exigences de fonds propres des banques dont elle assure le rôle de prêteur de dernier ressort.

Mais la régulation, ça ne peut pas fonctionner sur le long terme. Le régulateur est moins compétent que le régulé, se laisse souvent manipuler (voire pire), et la norme supposée protéger l’entité régulée ou ses clients devient opérationnellement obsolète bien plus vite que son cycle politique de renouvellement. On peut toujours réclamer "plus de régulation", plus d’inspecteurs allant fouiller dans les disques durs, des règles plus sévères, à terme, la régulation est condamnée à l’inefficacité, aux contournements et aux effets pervers non anticipés. Les régulations issues des accords de Bâle en sont un des exemples le plus criant.

De plus, les débats européens chez nous (ou plutôt les non-débats, rapport au non-référendum du traité de Lisbonne...) ont montré que de toute façon, sur des questions très techniques, les citoyens se font vendre à peu près n’importe quoi par la technocratie, et de ce fait, il me parait difficile d’affirmer que si les gouvernements islandais ont signé de mauvais accords, et si ils ont mal usé du droit de regard qu’ils se sont octroyés sur leurs banques, les citoyens de la Terre de Glace partagent une co-responsabilité morale dans l’affaire, et devraient donc de ce fait payer les pots cassés.

La protection publique des dépôts bancaires, immorale, pousse-au-crime, et...

Vouloir protéger les déposants bancaires par une assurance publique parait à première vue, et à première vue seulement, louable. Le citoyen de base n’a pas les connaissances nécessaires pour jauger de la solidité de sa banque simplement en lisant son bilan (c’est effroyablement complexe).

Mais les moyens législatifs de cette protection deviennent immoraux lorsqu’ils poussent les politiciens à engager leurs mandants à couvrir des risques selon des principes que tous les droits civilisés privés proscrivent : en droit strictement privé, nul ne saurait être tenu de réparer les fautes dont il n’est pas responsable ou pour lesquelles il ne s’est pas personnellement porté caution.

Pis même, et surtout, ces assurances se révèlent "pousse au crime", puisqu’elles incitent les citoyens à ne pas se montrer trop regardants sur la sécurité réelle de leurs investissements, poussant par la même les dirigeants bancaires, eux mêmes en partie protégés par le parapluie public, à la surenchère et au mensonge quant au rapport rendement/sécurité de leurs offres : si une banque veut être "raisonnable", elle perd ses clients, puisque ceux-ci, "protégés" par l’état, ne se soucient pas suffisamment du risque supplémentaire représenté par le taux plus élevé offert par le concurrent.

Rendre redevables les contribuables, "privatiser les profits et socialiser les pertes", tend à rendre irresponsables les parties prenantes de l’échange. C’est ce que la littérature anglo saxonne appelle le "Moral Hazard", mal traduit par aléa moral en français.


... Politiquement incontournable ?

Mais la demande politique pour de telles assurances semble incontournable. Lorsqu’au plus fort de la crise de Lehman Brothers, on a vu l’Irlande annoncer qu’elle relevait considérablement sa limite de couverture des dépôts bancaires, l’Angleterre vit ses banques commencer à perdre très rapidement ses clients au profit de leurs concurrentes de Dublin et dut annoncer un relèvement identique pour éviter un bank run sur ses établissements. En ce domaine, la mauvaise politique chasse la bonne, et il suffira qu’un état annonce une mieux disant démagogique en matière de garantie des comptes bancaires pour que les banques des pays suivant une politique plus orthodoxe ne souffrent de leur honnêteté, quand bien même les "garanties" offertes par les états démagogues n’aient guère plus de valeur que les discours creux des politiciens qui les ont décidées.

Il me parait, en l’état actuel des opinions, utopique de rêver un monde où les assurances des comptes bancaires ne seraient pas d’une façon ou d’une autre sous parapluie public. La psychologie des masses s’y oppose, et nous devrons bien faire avec. Il convient donc de se demander sur quel compromis acceptable par les contribuables l’on pourrait s’entendre pour que cette protection des comptes soit aussi peu porteuse de risque de spoliation que possible.

La "solution" européenne, impraticable et dangereuse

La directive EC 94/19, surtout si son interprétation par les anglo-néerlandais devait être confirmée, pose dans les faits nombre de problèmes techniques difficilement surmontables, hors l’aspect immoral déjà évoqué.

Imaginons qu’une juridiction européenne confirme que c’est à l’état d’origine de la banque de couvrir les pertes des déposants de toutes l’Union. A l’ère d’Internet, et à l’ère de l’ouverture au niveau européen des marchés financiers (qui sera à moyen terme totale), rien n’interdit à un Européen de placer son argent en Islande, au Luxembourg, ou en Slovénie, tous pays soumis à la directive. Si on applique le raisonnement des européens contre l’Islande, une banque slovène qui aurait réussi à gagner beaucoup de clients en Europe occidentale, et qui ferait faillite, obligerait la Slovénie à faire appel à ses contribuables pour renflouer des épargnants français ? Mais que peut la petite Slovénie dans ce cas ?

Les régulateurs des petits pays seront donc contraints d’interdire à leurs banques de grandir de façon trop importante à l’étranger : autant dire que ce principe va totalement à l’encontre du principe d’ouverture à la concurrence du marché des services européens. Nul doute qu’au Luxembourg ou en Autriche, le résultat de l’affaire Islandaise est suivi de très près.

La prise en compte des dommages subis par les déposants en fonction de leur pays de résidence pose presque autant de problèmes : les gens qui vont chercher des placements à haut rendement à l’étranger, parfois en oubliant quelques déclarations fiscales (oh !), sont des adultes, qui savent ce qu’il font. Pourquoi le père de famille qui n’a qu’un livret A pour toutes économies devrait il voir des fonds publics, ou sa part de dette nationale, augmenter dans d’importantes proportions, pour permettre à l’investisseur mal avisé de rentrer dans ses frais ?

D’autre part, comment le régulateur anglais pourra-t-il exiger d’une banque Islandaise opérant sur son sol depuis Reykjavik via Internet qu’il doit renforcer ses fonds propres ? Et si on donne à chaque pays le droit d’exiger de certaines banques des changements prudentiels dans leur gestion, comment s’assurer que ces leviers ne soient pas utilisés à des fins protectionnistes ? Et comment éviter la cacophonie des régulateurs ?

La réponse qui vient à l’esprit est celle d’un équivalent de la FDIC à l’européenne, doté de pouvoirs trans-frontaliers. C’est dans cet esprit, sans doute, que la création d’un "régulateur systémique européen", aux contours encore flous, a été annoncée. Cet organisme pourrait être alimenté par des primes d’assurances versées par les banques comme une fraction de leur total de bilan, avec une modulation en fonction des risques détenus en portefeuille, sans doute par le biais de la cotation de ces actifs par les agences de notation. Un tel dispositif reproduirait les qualités et défauts du système américain de la FDIC, qui, de très loin s’en faut, n’a pas été efficace pour prévenir la crise actuelle, est au bord de la cessation de paiement (source bloomberg), et n’a pas empêché le gouvernement américain de faire lourdement pression sur ses contribuables pour éponger les pertes des grandes banques, de Fannie Mae, Freddie Mac, AIG, etc... En outre, ce sont les banques sans déposants, donc hors du système d’assurance de la FDIC, qui sont à l’origine des plus gros désastres financiers de la crise : Bear stearns, Lehman, Merill. Mais étendre un système semblable à la FDIC à tous les acteurs de la finance, en plus des banques de dépôt, augmenterait sans doute les primes d’assurance versées par les banques dans des proportions insoutenables.

Le système FDIC ne règle pas le problème des incitations perverses à l’imprudence des clients et des banquiers précédemment évoquées, pas plus que la mutualisation des risques n’incite, individuellement, chaque acteur a être plus responsable. En contrepartie, les institutions financières hors FDIC et trop peu importantes pour recevoir un bailout de l’état s’organisent pour régler leurs difficultés en ordre.

Un parallèle peut être établi avec le système du FIPOL, retenu par l’Europe pour assurer les dommages subis suite à des marées noires, qui fonctionne sur le même principe de mutualisation des pertes. C’est ce système que les américains ont abandonné au lendemain du naufrage de l’Exxon Valdez pour revenir à une obligation individuelle d’assurance privée pour chaque navire. Sous le régime du FIPOL, aucun armateur de poubelles des mers n’est réellement incité à retirer ses pires bateaux de la circulation puisque le support des dommages est collectivisé, alors qu’un refus d’assurance de ces bateaux par la Lloyds ou équivalent vaut refus d’accès aux eaux territoriales américaines. Inutile de dire que le parc de navires accostant aux USA a été assaini, ce qui est loin d’être le cas en Europe.



Comment répondre à la demande politique de protection des comptes bancaires ?

Il existe d’autres façons qu’une assurance publique d’envisager une diminution du risque systémique et une bonne couverture des comptes de déposants contre le risque de "bank run" et de dépôt de bilan, et qui n’exposent pas les contribuables à des risques dont ils ne prennent conscience que trop tard.

Ce point mériterait de longs développements, que je reporte à un autre article. Mais en voici les éléments essentiels, tous déjà traités précédemment :
En amont du risque, le retour à une neutralité fiscale entre rémunération de la dette et rémunération des capitaux propres permettrait (déjà évoqué ici et ) de renforcer tant le bilan des banques que celui des entreprises à qui elles prêtent, ce qui stabiliserait grandement les chocs dûs aux aléas conjoncturels.

En outre, serait hautement souhaitable la substitution aux réglementations de type Bâle I et II (ou de leurs équivalents pour les assurances), normatives, d’une liberté totale du choix des placements par les banques et assurances, à condition de se montrer absolument transparent sur les "titres primaires" produisant plus values et intérêts. Cette transparence serait exigée y compris si ces titres primaires sont "encapsulés" dans des produits dérivés de type "structurés". Cela devrait permettre une bien meilleure évaluation des risques de portefeuille par les investisseurs, et une meilleure détection en amont d’éventuels problèmes graves, que le système actuel fondé sur des notations par des agences peu transparentes - et discréditées - de produits dérivés eux mêmes tout à fait opaques, essentiellement conçus pour contourner les règlementation de type bâle II (banques) ou NSDIC (compagnies d’assurances US). Une telle réforme réglementaire ôterait d’ailleurs tout intérêt à la plupart des produits dérivés "structurés" d’obligations, qui ont joué un rôle tellement important dans la mauvaise évaluation généralisée des risques portés par les banques.

En aval de l’occurrence du risque, une gestion différente des faillites bancaires permettrait de limiter considérablement les risques liés à des faillites en cascade. Comme je l’ai évoqué (notamment dans cet article pour l’AGEFI), une procédure de "mise en faillite" express des banques en défaut de paiement avec conversion des dettes en parts de capital suivant des formules définies à l’avance permettrait à la banque de faire face à ses échéances de trésorerie et au nouvel actionnariat de prendre les meilleures décisions pour éviter de léser les déposants. Cela permettrait de répartir équitablement entre détenteurs de capital et détenteurs d’obligation les pertes, et de dégonfler la pyramide de dettes du système financier.

Je me suis en outre fait l’avocat d’un système d’assurance des comptes bancaires purement privé, ou plutôt de plusieurs systèmes assurantiels en concurrence, l’intervention publique se bornant à en définir le cadre et à le faire respecter. Naturellement, les détails d’un tel système doivent être décrits avec plus de précision que je ne saurais le faire à moi tout seul (je ne connais pas les subtilités du métier d’assureur) mais l’évaluation des risques d’actifs ne dépendrait plus de la banque elle même — qui ne paierait donc plus elle même l’agence chargée de l’évaluer, ce qui pose tout de même un important conflit d’intérêt ! — mais de son assureur, qui aurait intérêt à ce que ce travail d’évaluation soit bien fait. Il n’y aurait donc plus besoin d’un agrément public des agences de notation, mais une sélection par le marché des meilleurs évaluateurs, internes aux compagnies assurant les banques ou externalisés, s’opèrerait.

Le système pourrait d’ailleurs être rendu encore meilleur en obligeant les banques à révéler le coût de leurs assurances et leurs taux de couverture réel en pourcentage de leur bilan, ce qui donnerait de précieuses indications aux investisseurs quant à la solidité des placements. On pourrait même imaginer que les épargnants aient le choix entre des placements assurés et d’autres non assurés, mais assortis d’un rendement supérieur, à eux de faire le choix !
 
Je ne prétends pas que les quelques pistes évoquées ci dessus soient les seules, ou qu’il n’y en ait pas de meilleures. Mais elles montrent qu’il existe des pistes pour qu’une faillite bancaire, même importante, puisse être parfaitement "digérée" par le système sans risque d’écroulement généralisé et sans placement en position d’exposition à des risques qui leurs sont étrangers de la plupart des contribuables.

Conclusion

L’affaire islandaise est trop complexe et a trop d’implications internationales pour que l’on puisse émettre des opinions réductrices et abusivement simplificatrices après un examen rapide. D’ailleurs, un élément de droit important a pu m’échapper, qui remettrait en cause une partie de mon analyse.

Mais en tout état de cause, il me semble que le président Grimsson ne mérite pas l’opprobre dont les personnalités politiques européennes se sont empressées de le couvrir. M. Grimsson n’a fait que prendre en compte le réveil d’une population qui se rend compte qu’elle a, elle aussi, été conduite sur une mauvaise voie par sa classe dirigeante, et qui est peut-être prête à sortir de cette voie, quelles qu’en soient les conséquences immédiates sur les finances de l’état Islandais et donc sur les prestations qu’il pourra délivrer aux habitants de l’île, et sur son isolement politique.

Imaginez que demain, la BNP ou la Société Générale, ayant réussi une percée sur le marchés de l’épargne des étrangers avec des produits un peu risqués, se retrouvent par la suite en faillite, et que les gouvernements des autres pays européens viennent trouver notre président et lui disent qu’il devrait éponger une ardoise représentant un doublement de la dette publique française par ménage, pour renflouer le spéculateur de Francfort ou le retraité de Wroclaw.

Estimeriez vous devoir payer les pots cassés d’une banque simplement parce que la France a signé la directive européenne 94/19 et que cette banque a son siège chez nous ?

Non ? Et bien, les Islandais sont du même avis que vous.


A lire également, sur l’affaire IceSave :

l’article de Wikipedia anglais, très bien fait

Une interview plutôt pro-accord de Thorvaldur Gylfason, un économiste Islandais (visiblement social démocrate) qui, entre autres, analyse les actions totalement à contretemps de la banque centrale Islandaise.

Le point de vue pro Grimsson de Mish Shedlock

Bon résumé de la crise islandaise sur le WSJ. Citation :

"Consider what happened. In Britain, the Icesave business was positively welcomed by the government in good times and regulators failed to spot that it was woefully under-capitalised. When it collapsed, the British government, along with the Dutch, decided to bailout its citizens with money in Icesave. They didn’t have to do this ; those who had placed money in an institution rooted abroad were all adults who should have been aware of the risks. Of course, the governments only paid up because it knew that it was vulnerable to the charge that its regulatory regime had failed. They then set about claiming back the money with menaces from Iceland. Until yesterday the tactics were working."
Un point de vue pro Anglo-Néerlandais



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