Au Parlement Européen, danger mortel pour l’internet

par Indépendance des Chercheurs
dimanche 16 mars 2014

La liberté de l'internet et la neutralité du réseau feront-elles bientôt partie du passé ? Le mardi 18 mars, la Commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE) du Parlement Européen doit voter sur un projet de rapport législatif qui évaluera la proposition 2013/0309 (COD) de règlement du Parlement Européen et du Conseil « établissant des mesures relatives au marché unique européen des communications électroniques et visant à faire de l'Europe un continent connecté, et modifiant les directives 2002/20/CE, 2002/21/CE et 2002/22/CE ainsi que les règlements (CE) n° 1211/2009 et (UE) n° 531/2012 ». D'après les informations diffusées par La Quadrature du Net, le pire est à craindre de ce vote. La réunion récente du Forum de la Gouvernance Internet France (FGI – France), FGI 2014, apparaît également pleine de dangers en la matière à l'approche de la réunion imminente de la Commission ITRE et, dans un mois, de la Conférence Mondiale sur la Gouvernance du Net qui doit avoir lieu à São Paulo les 23 et 24 avril. Pourtant, les grands médias français et le monde politique restent étrangement silencieux dans un contexte électoral (municipales, européennes) qui devrait rendre un large débat sur ces questions particulièrement pertinent. Craindrait-on que la majorité des citoyens s'en mêle ?

Qui peut valablement se désintéresser de l'avenir de l'internet, des travaux en cours de la Commision ITRE du Parlement Européen ou du FGI 2014 tenu à Paris le 10 mars au Conseil économique, social et environnemental (CESE), des menaces croissantes sur l'internet en Europe tel que nous le connaissons aujourd'hui, du danger imminent d'une prise de contrôle par les grands fournisseurs d'accès... ? Pourtant, la situation est devenue critique dans un contexte de désinformation et de démobilisation de la grande majorité des internautes.

Et peu importe qu'un avertissement très clair nous soit arrivé des Etats-Unis ce mois de janvier avec la décision de justice désavouant la Federal Communications Commission (FCC) au profit des grands opérateurs, suite à la plainte de Verizon. Le 24 février, au même moment où se réunissait la Commission ITRE pour reporter finalement son vote au 18 mars, L'Expansion diffusait un article intitulé « Le partenariat Netflix-Comcast, un danger pour la neutralité du Net ? », estimant notamment que l'accord passé entre Netflix et Comcast est de nature à rendre obsolète le principe de neutralité du net. Simultanément, le même média écrivait « Comcast - Time Warner Cable : un mariage à 45 milliards de dollars pour la télé américaine ».

Malgré ces évidences, qui, chez nous, se soucie des travaux de la Commision ITRE où les interêts des opérateurs se trouvent directement confrontés aux droits des "petits internautes" ?

Notre premier article sur ce sujet, Parlement européen et neutralité du net (I), date du 24 février et son introduction (en gras sur notre blog La Science au XXI Siècle) a été diffusée entre autres dans plusieurs listes militantes. Nous avons été surpris par le manque de réaction de la part de milieux "engagés" pour qui la liberté de l'internet et la neutralité de la Toile sont censées être des enjeux essentiels. Mais apparemment, aucune information ni consigne n'était "descendue" des coupoles politiques, syndicales et associatives.

La situation n'a pas vraiment changé avec la diffusion de ces autres articles que nous avons mis en ligne sur notre blog précité et sur celui de Mediapart :

Parlement européen et neutralité du net (I)

Parlement européen et neutralité du net (II)

Bientôt, l'apocalypse de l'internet ? (I)

Bientôt, l'apocalypse de l'internet ? (II)

Menaces sur l'internet : pourquoi ces silences politiques et médiatiques ?

Situation dans les laboratoires du CNRS, menaces sur l'internet...

Certes, ces articles semblent avoir été pas mal lus. Mais aucune réaction concrète ne leur a fait suite. Parallèlement, c'est en vain que nous avons cherché des informations et des prises de position "visibles" sur les sites des partis politiques. Ou des articles dans les médias "grand public", à de rares exceptions près. Le rapport de la Commission ITRE et le FGI 2014 semblent constituer un sujet "réservé".

Il est vrai que dans l'actuel contexte de dégringolade de la situation économique et sociale dans les pays jadis "riches", conséquence directe de la mondialisation, du "marché mondial de la main d'oeuvre" et de la "libre circulation des capitaux", la libre expression des "contestataires" peut devenir indésirable pour les pouvoirs économique et politique. Constatant l'actuelle fragilité de l'internet, le vice-président chargé des politiques publiques au Center for Democracy and Technology (CDT) Jim Dempsey déclarait récemment (source : AFP) :

« Le problème est qu’on peut limiter la capacité des gens à critiquer le gouvernement, ou créer un internet à plusieurs vitesses dans lequel il est plus difficile aux innovateurs, aux critiques, ou aux défenseurs des droits de l’Homme d’atteindre un public mondial »

Des dangers que nous soulignons encore dans notre appel d'hier :

URGENCE : l'internet en danger au Parlement Européen (I)

 

Le site Save the Internet résume ainsi les dangers que comporte la proposition en cours d'examen par le Commission ITRE :

http://savetheinternet.eu/fr/

http://savetheinternet.eu/fr/#regulation

Vous pourriez avoir à payer des frais supplémentaires pour chaque service Internet.

Un règlement proposé par la Commission européenne pourrait permettre aux fournisseurs d'accès à internet (FAI) de faire payer une participation pour chaque service Internet. Ce qu'ils appellent des « services spécialisés » pourrait conduire à un Internet à deux vitesses, où seules les entreprises en ayant les moyens pourraient bénéficier de la voie rapide, laissant tous les autres sur le carreau.

Les FAI veulent décider ce que vous pouvez faire en ligne ou non.

À moins que le règlement ne soit modifié, les fournisseurs pourront bloquer du contenu sans aucune contrôle du pouvoir judiciaire. Ils ne devraient pas devenir la police d'Internet, ni pouvoir décider des contenus auxquels nous pouvons ou non accéder.

La liberté d'expression sera restreinte et l'innovation entravée.

Pour le moment, les grandes entreprises comme Microsoft ou Facebook sont logées à la même enseigne que nos blogs ou podcasts. Mais si la définition des « services spécialisés » n'était pas délimitée, ces sociétés pourraient bénéficier de la voie rapide de l'autoroute de l'information, laissant derrière elles les start-ups et les sites à buts non-lucratifs comme Wikipédia.

(fin de l'extrait du site Save the Internet)

De même, une pétition internationale sur Avaaz a dépassé le million de signataires avec ce texte :

http://www.avaaz.org/fr/internet_apocalypse_loc/

A l'attention des décideurs américains et européens :

Nous vous appelons à utiliser votre pouvoir pour bloquer l'émergence d'un internet à deux vitesses et garantir que toutes les données soient traitées de la même manière. Autoriser les fournisseurs d'accès à prioriser certains contenus et s'ériger en censeurs menacerait la nature ouverte et démocratique d'Internet. Nous comptons sur vous pour montrer à quel point vous vous mobilisez pour garantir la neutralité du Net.

(fin du texte de la pétition)

Pourquoi, dans ce cas, les regrettables silences politiques, médiatiques, syndicaux, associatifs... que l'on peut constater chez nous ?

Malgré leur succès évident, l'appel de Save the Internet et la pétition en cours sur Avaaz ne semblent pas suffire pour infléchir la politique des milieux dominants à l'approche du vote de la Commission ITRE. On se trouve donc confrontés à une URGENCE pour dépasser le stade actuel des campagnes d'information, débats citoyens, mobilisations... et impliquer dans cette controverse la majorité de la population et des internautes. 

Car qu'adviendra-t-il de la civilisation humaine elle-même sans la liberté de l'internet ? Alors que la plupart des citoyens reste dans l'igorance de cette situation, on a clairement affaire à un enjeu historique sans précédent.

 

Le site de la Commission ITRE http://www.europarl.europa.eu/committees/fr/itre/home.html annonce le vote de prévu pour le mardi 18 mars sur le rapport législatif concernant le marché unique des communications électroniques.

Le projet de rapport de Pilar del Castillo Vera se trouve à l' adresse http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fNONSGML%2bCOMPARL%2bPE-522.762%2b01%2bDOC%2bPDF%2bV0%2f%2fFR

La proposition initiale de Neelie Kroes pour la Commission Européenne est accessible sur le lien http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2013:0627:FIN:FR:PDF.

Les 830 amendements sont en ligne à l'adresse http://www.europarl.europa.eu/committees/fr/itre/amendments.html?linkedDocument=true&ufolderComCode=ITRE&ufolderLegId=7&ufolderId=13786&urefProcYear=&urefProcNum=&urefProcCode=#menuzone .

Dés décembre dernier, La Quadrature du Net dénonçait les dangers de la proposition de Neelie Kroes dans un article détaillé, http://www.laquadrature.net/fr/neutralite-du-net-le-parlement-europeen-doit-amender-la-dangereuse-proposition-de-kroes, où on peut lire d'emblée :

Neutralité du Net : le Parlement européen doit amender la dangereuse proposition de Kroes

Paris, 5 décembre 2013 – Ce lundi 9 décembre, la rapporteur Pilar del Castillo Vera (PPE - Espagne) présentera à la commission « Industrie » (ITRE) son projet de rapport sur la proposition de Neelie Kroes pour le règlement du Paquet Télécom. Les citoyens doivent appeler les eurodéputés à amender ce rapport afin que la notion de « service spécialisé d'un niveau de qualité de service supérieur » y soit précisement définie et qu'il garantisse une véritable et inconditionnelle neutralité du Net.

La proposition pour le règlement du Paquet Télécom, publiée le 11 septembre par Neelie Kroes malgré les vives critiques exprimées tant à l'extérieur1 qu'au sein de la Commission européenne2, prétend défendre le principe de neutralité du Net en exigeant à son article 23.5 que « les services d’accès à l’internet, les fournisseurs de services d’accès à l’internet ne restreignent pas les libertés prévues au paragraphe 1 en bloquant, en ralentissant, en dégradant ou en traitant de manière discriminatoire des contenus, des applications ou des services spécifiques »3.

Ironiquement, la proposition enfreint ce principe avant même de l'avoir mis en place, autorisant à son article 23.2 la fourniture de « service spécialisé d'un niveau de qualité de service supérieur » – c'est-à-dire, des services offrant une priorisation. Alors qu'il pourrait être acceptable que des services soient priorisés sur des réseaux privés – du moment que ces services n'entrent pas en concurrence avec d'autres services Internet existants4 –, la proposition va bien plus loin et réutilise ce concept en l'étendant à Internet dans son ensemble. La Commission entend ainsi confier le contrôle de telles discriminations aux fournisseur d'accès à Internet et aux grands fournisseurs de contenus, les autorisant à « conclure des accords entre eux pour l’acheminement du trafic ou des volumes de données y afférents sous la forme de services spécialisés d'un niveau de qualité de service défini ou d'une capacité dédiée »5. Une telle priorisation de certains services sur Internet affecterait ici des millions de communications, d'individus et d'entreprises, et ne reposerait que sur des accords commerciaux conclus entre les acteurs dominants de l'économie numérique. Dans le même temps, les nouveaux entrants plus petits et des acteurs innovants ne pourraient pas entrer dans de telles négociations et seraient de facto dépriorisés. La liberté de communication fondée sur l'architecture point à point de l'Internet serait aussi sévèrement affaiblie.

(...)

(fin de l'extrait de l'article de La Quadrature du Net, Licence Creative Commons Attribution - Share Alike 3.0 Unported)

Plus récemment, La Quadrature du Net a diffusé deux autres articles particulièrement inquiétants :

Les négociations au Parlement européen sur la neutralité du Net prennent un tournant désastreux

La commission ITRE du Parlement européen s'apprête à prendre une décision cruciale pour la neutralité du Net

Dans le deuxième de ces articles, on peut lire explicitement :

Mardi 18 mars à 10h, la commission « industrie » (ITRE) du Parlement européen prendra une décision majeure pour l'avenir de la neutralité du Net en Europe. L'adoption de ce rapport pourrait marquer un point de non-retour. Deux visions opposées du futur d'Internet divisent les deux plus grands groupes politiques du Parlement européen, le parti social-démocrate (S&D) et le parti conservateur (PPE). L'issue du vote pourrait reposer sur les députés du parti libéral (ADLE), qui semblent n'avoir pas encore choisi quelle version soutenir, bien que leur rapporteur, Jens Rohde, les pousse à l'adoption des dispositions anti-neutralité du Net. Si elles étaient votées, ces mesures mettraient fin à l'Internet tel qu'il existe aujourd'hui, portant une atteinte significative à la liberté de communication et d'innovation.

(...)

(fin de l'extrait, même licence que pour l'article précédent)

Ce vote, destiné à jouer un rôle déterminant dans la décision finale du Parlement Européen, risque donc d'entériner la mort programmée de l'internet libre en Europe.

 

Certes, comme le souligne La Quadrature du Net, des députés européens se sont déclarés contraires aux propositions anti-neutralité du net de Neelie Kroes et Pilar del Castillo Vera. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas avoir largement alerté les citoyens, organisé des réunions publiques et des manifestations... ? Des questions aussi essentielles pour la démocratie que la liberté de l'internet et la neutralité du réseau n'ont pas vocation à être traitées dans des cercles restreints.

Même question pour les partis politiques, syndicats, associations... Comment expliquer ces silences inexplicables ?

Quant aux médias français de grande diffusion, comment comprendre leur large « renonciation » à une thématique clairement susceptible d'intéresser les lecteurs, s'agissant de travaux du Parlement Européen sur l'avenir de l'internet en Europe ?

Dans son article du 12 mars Le créateur du World Wide Web réclame une charte mondiale pour un Internet libre, Radio Vatican emploie le sous-titre Des libertés aujourd'hui vraiment menacées. S'agissant de la liberté de l'internet ; l'article souligne cette réflexion du fondateur du web Tim Berners-Lee : « ... c'est naïf de croire qu'on peut rester les bras croisés et l'obtenir ». Difficile d'être plus clair.

Voir également l'interview de Tim Berners-Lee dans The Guardian et la dépêche AFP de Glenn Chapman Le "World Wide Web" fête ses 25 ans. Un bien triste anniversaire ?

Dans l'urgence, ne restons pas les bras croisés.

 

Le Collectif Indépendance des Chercheurs
http://science21.blogs.courrierinternational.com/
http://www.mediapart.fr/club/blog/Scientia


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