Avenir de l’UE : l’Europe à deux vitesses comme alternative ?

par Euros du Village
lundi 18 juin 2007

Le prochain Conseil européen des 21 et 22 juin aura pour mission d’indiquer la voie pour dépasser l’impasse constitutionnelle dans laquelle l’Europe est désormais ancrée depuis les « non » français et néerlandais au référendum sur le traité constitutionnel. Il devra notamment établir le contenu du mandat de la conférence intergouvernementale qui travaillera sur la rédaction d’un nouveau texte. Une décision fondamentale à prendre puisqu’un mandat large et non clairement défini pourrait mener à la réouverture de discussions et négociations sur les principales innovations déjà introduites et approuvées par l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement européens lors de la signature du traité constitutionnel à Rome en octobre 2004. Partant de ce constat, plusieurs décideurs ont tenté de relancer l’idée d’une Europe à plusieurs vitesses, concept dont tout le monde parle mais dont l’usage reste encore jusqu’à présent limité.

Le constat : une Europe scindée en deux camps opposés quant à l’avenir constitutionnel de l’Union

Toutefois, les divisions entre les Etats membres sur la voie à suivre pour dépasser cette impasse et relancer le traité constitutionnel divergent considérablement. D’un côté, on retouve le groupe « des amis de la Constitution » composé par tous les pays ayant déjà ratifié le traité constitutionnel, soit par voie parlementaire, soit par voie référendaire, qui n’acceptent pas des bouleversement du traité.

Ces derniers refusent l’idée de tout changement qui pourrait vider le texte de la substance des principales innovations contenues dans le texte actuel comme : la création du poste de ministre des Affaires étrangères de l’UE, la présidence stable du Conseil, la personnalité juridique de l’Union européenne et la Charte des droits fondamentaux. Il faut, disent-ils, « prêter attention aux dix-huit pays qui ont ratifié la Constitution et qui représentent la majorité absoute des Etats membres » et pas seulement à ceux qui s’éloignent aujourd’hui de l’Europe.

Jan Peter Balkenende, Premier ministre des Pays-bas
Le Premier ministre néerlandais, dont le pays a rejetté le traité constitutionnel en 2005, compte bien sur l’adoption d’un traité minimum et aimerait voir certains éléments de la version actuelle modifiés dans le futur texte.

De l’autre côté, les Etats qui n’ont pas encore ratifié le traité ou qui l’ont rejeté par voie référendaire demandent des changements substantiels, soit pour justifier une nouvelle proposition du texte aux électeurs soit pour éviter la voie référendaire et faire adopter le nouveau texte par voie parlementaire. Ainsi, des pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas ont déjà fait connaître très clairement leurs requêtes : absence de la personnalité juridique de l’Union européenne, déplacement de la Charte des droits fondamentaux. Le Royaume-Uni refuse notamment l’introduction de la majorité qualifiée dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieurs ainsi que la suppression de la structure dite en piliers de l’UE (pilier communautaire (communautés européennes) / Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) / Justice et Affaires intérieures (JAI)) sur laquelle est basé l’actuel traité de Nice, prévu dans le texte constitutionnel.

Evidemment les positions apparaissent éloignées et les principales requêtes du second groupe de pays constituent de véritables « red line » (positions sur lesquelles ils ne sont prêts à aucune concession) pour beaucoup des autres pays du premier groupe. L’Europe est de nouveau à la veille d’une énième tentative de réalisation d’un difficile accord qui permettrait d’éviter une énième crise politique. La mission de la présidence allemande s’annonce difficle sachant que l’itinéraire à prendre est incertain, que l’équipage à bord reste divisé et que les conditions météorologiques sont très perturbées.

Dans ce cadre, la solution envisagée par certain pays membres pour éviter un compromis à la baisse, par rapport aux innovations concordées dans le texte constitutionnel, est d’avancer à deux vitesses.

« L’Europe à deux vitesses » comme palliatif aux divergences sur l’avenir de l’Union ?

Romano Prodi, président du Conseil italien
Le Premier ministre italien a souligné dans un discours au Parlement européen à Strasbourg le 25 mai 2007, la nécessité de penser à la mise en place une Europe à deux vitesses si le traité finalement adopté n’allait pas assez loin pour certains Etats membres.

Le Premier ministre italien, Romano Prodi, lors d’une intervention le 25 mai 2007 devant le Parlement européen à Strasbourg, a clairement manifesté son soutien à l’idée d’une Europe à deux vitesses. Ce dernier a affirmé qu’il serait préférable d’avancer avec une avant-garde de pays plutôt que d’accepter un compromis à la baisse, et de prendre exemple sur des situations telles que l’adoption de l’euro ou encore Schengen. Prodi rappelle que c’est dans ces deux secteurs que certains pays ont avancé plus rapidement mais sans exclure les autres qui n’étaient pas prêts à avancer à la même allure. Prodi souhaite que « dans le futur ce soit l’approche qui prévaudra sur chaque tentation d’imposer le veto », indiquant qu’il n’hésitera pas à appeler à la mise en place de coopérations renforcées dans les secteurs (notamment en Justice et Affaires intérieures) où certains Etats souhaitent transférer des compétences au niveau communautaire.

Dans le même temps le président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering s’est montré sceptique sur une Europe à deux vitesses en affirmant que « nous ne sommes pas arrivés à ce point et espérons que l’ensemble des 27 pays membres aillent dans la même direction avec la même vitesse ». Prodi a souligné qu’il partageait la vision du président Poettering, et que « la double vitesse était un second meilleur choix » dans le cas, plutôt probable, où le prochain compromis serait dirigé vers un dénominateur commun minimum.

La crainte d’un compromis à la baisse sur le nouveau traité a été aussi soulignée par le Commissaire européen pour la Justice, la Liberté et la Sécurité, Franco Frattini (également de nationalité italienne). Lors d’un entretien au European Voice, le commissaire a mis en garde les pays ayant manifesté l’intention de réintroduire le veto national notamment dans le domaine de la coopération judiciaire et policière et de retirer la Charte des droits fondamentaux du nouveau texte. Il a insisté sur le fait que, ce faisant, la cohérence d’ensemble du texte serait menacée. Il a indiqué que si ces derniers éléments n’étaient pas préservés dans le futur texte du traité, un groupe d’Etats membres pourraient avancer par le biais de l’utilisation des mécanismes de coopérations renforcées.

L’Europe à deux vitesses n’est pas non plus la solution favorite du commissaire Frattini. Toutefois, comme il l’a lui-même déclaré : « Je n’aime pas l’idée d’une Europe à deux vitesses », mais « j’aime encore moins l’idée d’être bloqué par un ou deux Etats membres, aussi importants soient-ils, qui m’obligeraient à attendre ». Il remarque aussi qu’il faut être cohérent avec l’idée d’Europe, on ne peut pas choisir l’Europe à la carte, mais seulement l’Europe.

Franco Frattini, commissaire européen en charge des affaires relevant du domaine de la "Liberté, sécurité et Justice"
Le commissaire de nationalité italienne, qui aimerait bien mettre en place un agenda plus ambitieux en matière de Justice et d’Affaires intérieures, a rappelé que l’Europe à plusieurs vitesses restait une solution à envisager dans le cas du maintien de vetos nationaux dans les matières rattachées à son portefeuille.

Une idée uniquement italienne ?

L’utilisation de la démarche à deux vitesses semble donc mettre d’accord les deux Italiens, un fait remarquable si l’on observe le panorama politique actuel en Italie. Franco Frattini est en effet un politicien proéminent de Forza Italia, parti de Silvio Berlusconi, leader de l’opposition en Italie alors que R. Prodi est issu de la Margheritta, à présent composante du Parti démocratique italien. Pourtant, l’idée d’Europe à deux vitesses continue à être regardée avec méfiance dans de nombreux Etats membres. Elle a pourtant été évoquée, en France notamment, par François Bayrou et en Belgique par Guy Verhofstadt, ex-Premier ministre belge.

Bien qu’il puisse être réaliste de voir un jour la mise sur pied d’une Europe à différentes vitesses, la présidence allemande, qui est aux commandes jusqu’à la fin du mois de juin, reste attachée à la recherche d’un accord global sur le nouveau texte qui suscite l’aval de tous les Etats membres. Pourtant, la tâche de trouver un compromis entre un texte moins avancé politiquement et donc plus facile à ratifier par tous les Etats membres tout en évitant de vider le texte de ses innovations apparaît aujourd’hui quasiment comme une « mission impossible ». Toutefois, les cinquante années d’intégration européenne nous ont enseigné qu’ « impossible » n’est ni français, ni européen. L’Europe à deux vitesses a été plusieurs fois la solution pour faire avancer les choses mais ce n’est qu’une seule solution envisageable dont il apparaît aujourd’hui difficile de prédire le destin.

ARTICLE ORIGINAL : www.eurosduvillage.com


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