Bombe Humaine

par Citizen-Web
vendredi 2 mai 2014

On apprend dans les livres d’Histoire que c’est dans la Grèce antique qu’apparut la démocratie, il y a environ 2800 ans.

Puis celle-ci disparut dans les oubliettes de l’Histoire pendant une petite vingtaine de siècles au cours desquels l’humanité connut bien des malheurs, asservie par une classe guerrière qui prit le pouvoir avant d’être contrainte de le rendre à partir du 18ème siècle. Sauf qu’elle ne l’a pas rendu aux bonnes personnes.

Démocratie grecque

La démocratie grecque n’était pas parfaite, loin s’en faut. D’abord, elle ne concernait que les hommes libres, qui ne représentaient qu’environ 10% de la population d’une cité-état. Les femmes n’en faisaient pas partie, pas plus que les esclaves ou les métèques (les étrangers). Les hommes libres débattaient de tous les choix importants pour la cité : la guerre, les accords et alliances ; ils devaient argumenter pour ou contre. On voit d’ici les grandes joutes verbales auxquelles devaient se livrer les orateurs. On pourrait presque imaginer qu’il y eut co-création du système politique grec et de l’art de raisonner, la philosophie. A cette époque, quand une cité décidait de partir en guerre contre une autre cité-état, ce sont les décideurs qui partaient. Choisir la guerre c’était de facto devoir affronter la mort. Il y avait donc un intérêt pour chacun à débattre avant de commettre l’irréparable, ne serait-ce que pour être convaincu de risquer sa vie avec de justes raisons.

De nos jours, la politique est devenue une profession qui s’est, comme beaucoup d’autres, industrialisée. Il y a toute une organisation, des institutions, des instances, des rôles, un équilibre des pouvoirs, un système d’élections. Il aura fallu 225 ans pour construire ce système depuis qu’eut lieu, en France, la Révolution. Lui non plus n’est pas parfait, loin s’en faut. Mais des progrès ont toutefois été réalisés. Par exemple, les femmes sont des hommes libres depuis 70 ans. Les esclaves également (quand ils ont des papiers). Les métèques, eux, ne sont toujours pas des hommes libres. On leur agite ce chiffon sous le nez depuis bientôt 30 ans en France, mais les promesses électorales restent désespérément lettres mortes une fois les scrutins clos.

On constate également que les décideurs ne sont plus les payeurs. Quand un état déclare la guerre, ses responsables ne caracolent plus en tête. Ceux qui vivent la guerre n’ont pas pris part aux délibérations en règle générale. Et les statues qui nous rappellent, 100 ans après, leurs actes héroïques et leur courage, nous montrent souvent des soldats faisant preuve d’entrain et de volonté, alors que seules la peur et la contrainte étaient vraies.

N’en va-t-il pas de même de nombreuses décisions qui sont prises dans nos pays européens au plus haut niveau ? Certes nos responsables politiques sont, sauf exception, logés à la même enseigne que tous leurs administrés, ils paient des impôts. Mais quand un parlementaire vote, par exemple, le gel des traitements des fonctionnaires de catégorie C (le plus bas niveau, l’ouvrier administratif en quelque sorte) ou encore celui des retraites, y compris les plus petites pensions, il doit rester conscient que lui-même gagne au minimum 4 ou 5 fois plus (un cumulard comme J.C. Gaudin perçoit 20.000 € de traitements mensuels). Il ne s’agit pas de crier au scandale en ce qui concerne les traitements des parlementaires ou d’enfourcher le cheval de bataille démagogue du “tous-pourris”, juste de souligner le fait que les conséquences d’une décision de modération salariale sont plus impactantes quand on est au minimum que 4 ou 5 fois au-dessus. Comme les grecs d’alors, il vaut mieux avoir de bonnes raisons de faire certains choix afin de limiter au maximum les souffrances des autres.

Quand une directive européenne comme la directive Bolkestein (sur les travailleurs détachés) organise le dumping entre les pays de l’UE, quels sont les objectifs à long terme poursuivis par les décideurs, d’autant plus qu’il est à présent admis que les stratégies économiques basées sur la concurrence sont destructrices ? A l’aune de quel indicateur l’objectif sera-t-il considéré comme atteint ? Une balance commerciale positive ? Le taux d’emploi ? Le salaire moyen ? Le taux global d’imposition ? De nombreux économistes admettent que l’économie de la concurrence est une erreur ou que les cure d’austérité sont mortifères pour les peuples autant que pour la croissance. Pourtant, on a parfois l’impression, quand on écoute certains responsables politiques, nationaux ou européens, qu’ils ne nous parlent pas de nous, mais d’une doctrine qu’ils servent du mieux qu’ils peuvent.

Cela rappelle, dans le Nouveau Testament, des descriptions de pharisiens, pire : de sadducéens, ces docteurs de la Loi qui vivaient dans une extrêmement stricte observance des commandements religieux tels que Dieu les avaient transmis aux Hommes. Dans ce contexte, Jésus, lui, détonne en critiquant ces extrémistes qui obéissent à la lettre de la loi, mais pas à son esprit. Si Dieu n’a pas son sacrifice ou son quota de prières, so what ? De toute façon, tous ces sacrifices n’étaient devenus qu’une affaire de gros sous qui enrichissait la caste sacerdotale. On se souvient de l’épisode des marchands du Temple. Et bien n’est-il pas temps, dans nos pays mais aussi en Europe, de mettre fin à ces sacrifices et de mettre dehors les marchands du Temple ?

Pour cela, il faut aller voter et ne pas se laisser aller à la tentation facile de l’abstention. Et voter non pas contre l’Europe, mais pour une autre Europe. Les citoyens ont, pour les éclairer dans leur choix, besoin de débats et de temps. Ils ont besoin que des idées s’affrontent dont ils soient au cœur, puis il leur faudra les assimiler et se positionner.

Mais dans ce cas, qu’est-il alors advenu de la campagne des européennes ? De quoi nous parlent nos partis politiques ? Que nous proposent-ils pour ces élections, quels programmes ? Les citoyens s’inquiètent de l’accord transatlantique sur le point d’être signé (TAFTA) ; les citoyens s’inquiètent du dé-tricotage de leur état social dans un contexte de cure d’austérité, de mondialisation des échanges (libre-échangisme mondial) ; les citoyens s’inquiètent également des dénis répétés de démocratie dont se rendent coupables les gouvernements (Hollande vient de trahir ses promesses de campagne ; sur un autre registre, Orban limite la liberté d’expression en Hongrie ; les traités européens rejetés par référendum sont finalement validés par les états au mépris de la décision populaire). Que répondent à cela ceux qui nous gouvernent ? Que pensent-ils de la dérive bonapartiste dont ils se rendent coupables en imposant autoritairement des arbitrages pris par eux mais ne faisant sens pour personne ? Comment pensent-ils pouvoir susciter l’adhésion de la masse des individus qu’ils nomment “le peuple” le temps de le séduire ? En nous rabâchant encore et toujours que la croissance va revenir (on l’attend depuis 40 ans) ? En nous demandant toujours plus d’efforts pour aider les entreprises à devenir plus compétitives afin de retrouver le chemin de l’emploi alors que nous savons pertinemment que cet espoir est illusoire et que les gains de productivité incessamment croissants nous condamnent à trouver un autre modèle de financement de notre état-providence que le travail ?

Malheureusement, il semblerait que les deux principaux partis “traditionnels” que sont, en France, le PS et l’UMP soient en panne, en rase-campagne. Tous les deux doivent en effet faire face à une fronde. Mais pas des vraies frondes qui font peur, avec de vraies conséquences pour les individus qui les incarnent. Juste des frondes rhétoriques, des petites “frondounettes”, pour faire comme si on était fâchés alors qu’en fait non, et occuper le terrain médiatique non pas avec des propositions mais avec des querelles stériles. A gauche, les frondeurs demandaient l’assouplissement des mesures libérales décidées par Hollande et Valls ; à droite, les frondeurs Wauquiez et Guaino s’insurgent contre cette Europe de l’austérité qui tue la croissance et l’amour de l’Europe. On le voit : non seulement les discours sont creux mais de surcroît les clivages deviennent flous. Un lecteur peu averti pourrait en effet penser que je me suis mépris en attribuant à la droite des critiques sur l’austérité et, à la gauche, des velléités ultra-libérales.

Du côté du FN, l’ambition est simple : il s’agit de gagner cette bataille européenne, de former un groupe parlementaire européen pour peser dans le débat européen et, une fois installé, démanteler l’Europe en tuant l’Euro. Ce qui semble bien parti puisque le FN est annoncé en tête avec 25% des voix dans tous les sondages, qu’il a déjà signé une plateforme européenne avec 3 autres pays et que, plus généralement, la droite extrême s’implante partout en Europe, ce qui offrira à Marine Le Pen de faire ami-ami avec de nombreux dirigeants populistes dans les prochaines années.

Le vote FN et la victoire presque certaine de celui-ci résultent de tout ce que nous venons d’évoquer : une panne des idées au sein des principales formations de gouvernement, un enlisement dans la précarité et les difficultés pour des centaines de millions d’individus asphyxiés par l’aveuglement idéologique des économistes et des responsables politiques qui les écoutent, des choix ne faisant pas sens pour le plus grand nombre, le sentiment d’être abusé et d’intelligence méprisée, les dénis répétés de démocratie. Cela demandera des efforts considérables que de faire revenir dans le jeu démocratique la cohorte des abstentionnistes et celle des frontistes.

Il faut chercher du côté des petits partis pour trouver un programme, des propositions et une réelle envie de refaire le monde. Mais combien d’années faudra-t-il à un parti comme Nouvelle Donne pour que ses propositions soient écoutées et enfin prennent corps ?

Europe non-démocratique

De nombreux pays en Europe sont au bord de l’explosion sociale. Un jour, un air printanier aux senteurs de jasmin, venu du Moyen Orient, soufflera sur le vieux continent et annoncera la fin d’un ordre social basé sur la concentration sans limite des richesses entre de trop rares mains, sur le S.T.O. et sur le modèle patriarcal / vertical qui éloigne les individus des centres de décision démocratiques. L’individualisme forcené qui aura marqué de son emprunte ces 30-40 dernières années sera remplacé par un réseau-social “sociocrate” et le libre-échangisme marquera le pas pour laisser toute leur place aux circuits-courts, plus économiquement et écologiquement tenables. Ultimement, l’organisation sociale dans sa globalité sera repensée. En effet, la seule remise en cause du principe même du travail pour vivre n’est pas suffisante. Il faut que ceux qui font le choix du travail soient rémunérés non pas comme des machines que l’on dédommage mais comme de vrais créateurs de valeurs et, à ce titre, destinataire d’une partie de la richesse créée, au même titre que celui qui possède l’outil de production. Or, dans la foulée de la Révolution, ce n’est pas le Peuple qui a repris le pouvoir, mais une autre caste, celle justement de cette ploutocratie de patrons à tendances bonapartiste qui ont remis sur les rails les anciennes traditions, celles-ci cohabitant à présent avec une pincée de démocratie mais guère plus. A croire que nous avons voté pour rétablir le 2nd Empire…

C’est pourquoi, à l’occasion de ces grand-messes électorales que sont les européennes à venir mais pas seulement, il faut que chacun se remémore les paroles de cette chanson de Téléphone : La Bombe Humaine, et décide en son for intérieur que le temps est venu d’initier le changement. Nous sommes nombreux, en 2012, à avoir cru que le changement c’était maintenant, mais nous avons commis l’erreur de croire qu’il viendrait d’un homme, sans doute non dénué de bonnes intentions, mais trop marqué par son habitus, son cadre intellectuel, pour inventer l’étape d’après. Nous, nous sommes prêts.

La Bombe Humaine, tu la tiens dans ta main,
Tu as l’détonateur juste à côté du cœur,
La Bombe Humaine c’est toi, elle t’appartient,
Si tu laisses quelqu’un prendre en main ton destin c’est la fin.

Wake up.

Lovegiver.

 


Lire l'article complet, et les commentaires