Brexit, a success story...

par Serge ULESKI
lundi 27 juin 2016

 ... quand les classes populaires retrouvent le chemin des urnes, et que la Commission et le Parlement européen tremblent.

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 Le vote du jeudi 23 juin 2016 qui a vu la victoire du « oui » à la sortie de la Grande Bretagne de l'U.E, sera-t-il un moment historique ? La question est posée car, avec un taux de participation supérieur à 72%, une majorité des électeurs britanniques a choisi de sortir de l’UE à 51,9% à la grande surprise du Continent européen et de quelques Britanniques indifférents au malheur d’un grand nombre de leurs concitoyens.

On n’oubliera pas de saluer le civisme et la maturité des électeurs qui ont répondu « présent » à cette consultation référendaire sans se laisser terroriser (le terrorisme, encore et toujours le terrorisme !) par les Cassandre patentés de Bruxelles et de Strasbourg et leurs relais médiatiques ainsi que les faux sondages le jour du scrutin qui donnaient les partisans du "non à la sortie de l'U.E" vainqueur comme pour dissuader les partisans du "oui" de se déplacer ; un référendum conduit par un apprenti sorcier qui répond au nom de David Cameron ; à son sujet, on peut parier que l’oligarchie mondiale n’est pas près de lui pardonner cette erreur grossière ; Cameron devra rendre des comptes à une oligarchie qui n’aime pas qu’on la prenne à revers même par mégarde ou par sottise ; oligarchie qui n’a aucun penchant pour les imbéciles qui perturbent le déroulement d’une Histoire pré-écrite par ses soins car il n’est pas très difficile de comprendre que la sortie de la Grande Bretagne de l’UE dessert l’étau sur la France et la Russie – deux nuisances potentielles aux yeux des Etats-Unis ; de plus, ce vote majoritaire crée un précédent (les Pays-Bas et le Danemark lorgnent aussi vers la sortie !) et menace une construction européenne instrumentalisée au profit d’un mondialisme qui n’est qu’une guerre contre les Etats nations, les salariés, l’Etat providence et la démocratie ; une guerre qui a pris pour cible en priorité le continent européen, là où les droits individuels et collectifs sont les plus développés et les mieux protégés.

 

 Privée de la Grande-Bretagne, c’est alors que l’Allemagne se retrouve seule pour porter le projet européen tel que les USA ont pu le définir au sortir de la seconde guerre mondiale avec leurs deux agents : Monnet et Schuman.

A deux ou trois pour conduire la grande affaire européenne, l'Allemagne pouvait toujours brouiller et le message et les pistes ; seule, difficile de se cacher derrière son petit doigt. On peut donc, dans les mois à venir, s’attendre à une Allemagne au profil bas. La France sera-t-elle en profiter ? Ne rêvons pas ! Depuis plus de 20 ans, parmi le personnel politique, il n’y a pas une figure qui aurait la carrure d'un chef d’Etat ni la conscience visionnaire politique et historique d’un de Gaulle pour assumer et saisir, dans l’intérêt de la France, une telle opportunité qui ne se représentera pas si tôt car, il serait maintenant question de bouger très vite, avant que l’Allemagne, pilotée par les USA, ne reprenne le dessus : chassez le naturel, il revient au galop ! Nul n’ignore que l’Allemagne est un des meilleurs fusils de l’Occident tout en étant une excellente cavalière.

 

 

  Avec ce référendum, contre toute attente, ce sont les classes populaires qui se sont mobilisées… ces classes seules capables de fournir une majorité de voix en faveur de la sortie de la Grande Bretagne : les mal-logés, les mal-payés ; ceux qui n’ont accès à aucune éducation digne de ce nom pour leurs enfants ; des syndicats brimés ; des salaires plancher au ras du parquet ; une couverture sociale au rabais dans un système sous financé comme autant de conséquences des politiques néo-libérales des années 80 jusqu’aux années 2000, quand unTony Blair élargissait l’U.E jusqu’à l’Est… parachevant ainsi l’œuvre de Thatcher avec un élargissement destiné à tuer toute idée d’une « Europe puissance » tout en marginalisant la Russie, asphyxiant ainsi la France prise en étau entre le diktat économique allemand et l’agenda politique anglo-saxon.

Ceux qui pilotent cette Europe-là depuis le traité de Maastricht ont commis une erreur capitale ; ils ont oublié de supprimer les élections et toute possibilité de recours au référendum ; un compromis était pourtant possible : il suffisait de rétablir le suffrage censitaire en y ajoutant un critère supplémentaire : le diplôme  ; aussi, seuls les diplômés en emploi (on ne se méfie jamais assez des diplômés au chômage !) auraient été autorisés à participer aux consultations électorales.

 

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 Ruraux, ils survivent dans des campagnes sans services publics, d'une agriculture en déshérence ou de petits métiers qui n'offrent plus aucune perspective d'avenir. Urbains, ils sont maltraités dans des emplois de service ou de commerce ; ils ramassent les poubelles ; récurent les toilettes des touristes des hôtels de luxe ; ils assurent l’entretien de millions de m2 de bureaux chaque matin, font la plonge dans les restaurants jusqu'à pas d'heure ; tantôt ils sont chauffeurs livreurs ; tantôt ils « toilettent » les pensionnaires dépendants des maisons de retraite et des hôpitaux ; ils balayent les rues ou bien ils occupent un emploi de nounou chez la petite et grande bourgeoisie des centres villes…

Les diplômés et les classes moyennes supérieures ont regardées ces classes paupérisées trimer pour des salaires de quelques livres de l’heure, dans l’indifférence.

Il y a des politiques de "plein emploi" qui glacent le sang d’autant plus que les restrictions qui entourent le statut de « chômeur » sont draconiennes  : une quasi interdiction de droit au chômage. Les sans-formations, les sans-diplômes ou les mal-diplômés n’ont que du souci à se faire, pour eux et leur famille. Quid de la nouvelle société numérique avec ses emplois tout aussi numérisés, propres et ludiques ? Il ne leur faudra pas compter dessus ni pour eux ni pour leurs enfants. Les écoles privées en revanche ne désemplissent pas ; la bourgeoisie n’a pas à s’inquiéter ; les classes populaires veillent au grain contraintes et forcées en assumant le principe d’une réalité têtue : celle de l’occupation d’emplois sans lesquels les pays développés cesseraient tout simplement de fonctionner.

Manifestement, les perdants d’une construction européenne sans les Européens ont voté pour la sortie de la Grande Bretagne ; faut croire alors qu’ils étaient plus nombreux que les gagnants.Et puis, on se venge et on prend sa revanche comme et là où on peut en prenant pour cibles le confort matériel et la tranquillité d'esprit de ceux pour lesquels cette Europe au service du mondialisme est faite, même si tous ces laissés-pour-compte ne doivent rien attendre d'un gouvernement qui serait dirigé par des Conservateurs... maîtres chez eux qui plus est.

Une chose est certaine : quand les classes populaires retrouvent le chemin des urnes, ce sont les classes supérieures qui tremblent.

 Ironie suprême : l’Angleterre est venue en Europe et a triomphé en imposant le libéralisme économique sous la direction du trio infernal – Thatcher, Reagan, Friedman : sape des syndicats, paupérisation de l’Etat et des services publics, dictature médiatique à coups de « Il n’y a pas d’alternative » ; et avec Tony Blair : neutralisation de l’Europe avec l’élargissement.

La Grande Bretagne a triomphé et voilà qu’elle se retire du jeu, mission accomplie ; mais ce sont les classes populaires qui provoquent ce retrait avec l'appui d'un vieux front anti-européen qui a pour origine la Seconde guerre mondiale ; la Grande Bretagne n’a jamais vraiment pardonné à ce Continent capable de toutes les turpitudes de l’avoir laissée seule contre le nazisme quatre années durant ; le Royaume-Uni sortira ruiné de cette guerre ; il y perdra son Empire ; soyons assurés qu'il y a encore des hommes et des femmes pour transmettre cette mémoire-là et ce ressentiment-là.

 Ce vote d’une majorité de Britanniques pour la sortie de l’U.E n'annonce pas simplement "le réveil des classes populaires" ; c’est aussi la marque d’un caractère national : une grande confiance en soi car les Britanniques ont toujours pensé qu’ils méritaient mieux qu’une Commission européenne au service d’une oligarchie internationale sans frontière ni patrie ni culture, ni Histoire dont une bonne partie des réglementations, déréglementations, lois et autres directives contraignantes et menaçantes peut leur être attribuée.

 

 Que les médias se rassurent : personne n'a besoin de la lanterne des partis dits "populistes" pour évaluer avec justesse la qualité de sa vie, sa dégradation et pour désigner ceux qui doivent en être tenus responsables !

Alors, c’est sûr : le danger pour cette Europe-là, partout sur le Continent, c’est que les classes populaires cessent de se réfugier dans l’abstention ou dans un vote protestataire sans lendemain sur la question de l’immigration car l’ennemi des classes populaires n’est pas le Musulman… mais bien plutôt cette bourgeoisie des centres-villes qui regarde travailler les autres car par travail on entend ce qui suit : assumer des tâches ingrates qui relèguent des pans entiers d'une population à la marginalisation, au mépris ou bien, à la condescendance : pas de logement décent, pas d’éducation performante pour leurs enfants, pas d’environnement propice au développement d’un potentiel humain.

 

  Jean Quatremer journaliste-groupie-européen qui est, à lui tout seul, une bonne et sérieuse raison de vouloir quitter cette Europe qu’il n’a de cesse de soutenir, lui et tous ses confrères presse-radio-télé, a twitté quelques heures après l’annonce de la victoire du « oui » à la sortie de l’U.E : « Pour éviter l’effet contagion, il faut que le départ de la GB soit douloureux ».

Force est de constater que Jean Quatremer et tous les médias dominants rancuniers de nature, ont la défaite amère et mauvaise car, dans les faits, aucun pays de l’U.E n’a intérêt à mettre en difficulté la Grande Bretagne : commerce oblige !

Comme de juste, la Grande-Bretagne est débitrice vis-à-vis de ses partenaires européens en termes de balance commerciale : elle importe plus qu’elle n’exporte.

 

 Après cette défaite cinglante de l’U.E - Commission, Conseil européen (qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement), Parlement de Strasbourg, tous concernés ! -, nombreux sont ceux qui souhaiteront prétendre que l’on peut changer l'UE de l'intérieur ; nul doute, ils tiendront des discours sur « l'Europe sociale » ; d’autres parleront de la nécessité d’une Europe fédérale dans une fuite en avant funeste…

Il faudra sans relâche dénoncer l'indigence intellectuelle et/ou la fumisterie de toutes ces interventions : que l’on oublie donc jamais de rappeler que l’on ne change pas d’Europe sans remettre en cause le mondialisme économique, politique et militaire des places boursières et des Capitales militaro-industrielles : principalement la City, Wall-Street, les grandes banques tentaculaires d'affaires, les Multinationales et Washington qui ne veut partager le monde avec personne.

Avec cette sortie de la Grande Bretagne, il se pourrait bien que l'on réalise très vite qu'il y a une vie après l'U.E. D'aucuns iront même jusqu'à affirmer que le retrait n'est pas la mort mais une renaissance, voire une résurrection d'autant plus que l'U.E est définitvement une entité géographique et politique trop exiguë pour la France qui a besoin de déployer à nouveau ses ailes ; sa vocation c'est de parler à la Russie, à la Chine et à l'Afrique sans intermédiaires, hors de l'Otan et du diktat étasunien qui décide de qui est autorisé à parler à qui ; les pays du sud de l'Europe sont sans chef d'Etat ; les pays scandinaves sans ambition ni vision ; les pays de l'Est sont appelés à jouer le rôle de sous-traitants de l'économie allemande ; dans un tel environnement, la France ne peut que dépérir d'ennui et d'impuissance.

 

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  Reste alors à évoquer la gauche française qui, des écologistes, s’étend jusqu’aux communistes en passant par les dissidents de cette nouvelle SFIO des années 50 qu’est le PS ; cette pauvre, cette pauvre gauche donc privée d’un électorat populaire ; électorat totalement pré-occupé par la question de l’immigration : immigrés d’hier, d’aujourd’hui et de demain. A son sujet, peut-on formuler quelque espoir d’être à même de capter à nouveau son attention en sachant intégrer cette préoccupation qui est la leur aujourd’hui : une préoccupation d’ordre souverainiste ? Les classes populaires et les classes moyennes déclassées ne sont-elles pas en première ligne face à l’offensive mondialiste ?

N’ayons aucune illusion : sans ces classes populaires, il nous sera impossible de « renverser la table » et de repenser cette nouvelle gauche dont la mondialisation a totalement bousculé les frontières car, force est de constater que la ligne de partage aujourd’hui se situe entre ceux qui soutiennent, encouragent et abdiquent face au rouleau compresseur d’une mondialisation a-morale, et les autres : ceux qui ne renoncent pas à la remettre à sa place… à savoir dans les urnes et dans une mobilisation sur le terrain, là où la volonté populaire décide de son destin ou plus précisément, là où elle peut encore faire échec à une grande partie de tout ce contre quoi elle n’a de cesse de se révolter : tout ce qui la fragilise, la blesse et l’humilie.

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  Avec la victoire du "oui" à la sortie de la Grande Bretagne de l’U.E, la députée britannique Jo Cox qui faisait campagne en faveur du "non" est donc morte pour rien.

La violence sociale et culturelle de cette construction européenne et de son mode de fonctionnement est telle depuis trente ans que plus personne ne peut se considérer à l'abri d’un geste irréversible car, aujourd’hui, soutenir la construction européenne c'est cautionner cette violence sociale ; affirmer qu'il n'y a pas d'alternative à cette Europe qui nous est proposée, c'est là encore valider cette violence sociale et reconnaître que cette violence ne peut pas ne pas s’exercer sur nous tous ; tenter par tous les moyens de discréditer ceux qui proposent une rupture avec cette Europe-là c'est, là encore, valider cette violence sociale et reconnaître la nécessité de cette violence...

Aussi, violence pour violence, le personnel médiatique et politique inextricablement lié, en charge de nous faire accepter sans condition leur Europe comme un mal pour un bien, ferait bien de redouter l’effet boomerang d’une telle violence. Pour cette raison, on ne saurait que trop lui conseiller de se tenir à l’écart d’une construction européenne à l’origine d’une violence dont plus personne ne peut se tenir à l’abri car, confrontés à ses conséquences, tous sont en danger, victimes et protagonistes pareillement.

 

Pour prolonger, cliquez : Jacques Sapir et les leçons du "oui" au brexit


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